VictorB
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Publié le 30 août 2011
« Tout le monde a ses raisons » tranchait Jean Renoir. Ce célèbre paradigme prend une dimension impitoyable face aux vertiges qui étreignent à la vision d'Une Séparation : vertige d'un scénario tissé de relations causales en cascade prenant l'allure (et la vitesse) d'une chute libre, d'un engrenage tout entier destiné à broyer les individus, construction tout à fait réminiscente de l'Argent de Bresson. Vertige des cadres à l'épaule nerveux, vertige de la construction en intrigues superposées, celle de la séparation de Nader et Simin et celle du démêlé judiciaire de l'affaire de la fausse couche. Vertige de mise-en-scène dont la vertu est d'occulter le plus important, ces quelques ellipses de plans (chute de Razieh, accident de voiture) dans lesquels le film tout entier va bientôt venir s'engouffrer, et le spectateur à sa suite, tentant de terminer un puzzle aux pièces à jamais manquantes. Vertige, enfin, de logorrhée ininterrompue et de positions morales contradictoires, polémiques et digressions. Regrettons donc d'emblée ce filmage très clichesque qui offre l'urgence et la forme d'un thriller mais qui ne fait pas tout à fait justice aux belles zones d'ombres d'un scénario au pessimisme moral très moderne (j'avais même envie d'écrire : occidental) qui nous ménage une fin en suspension dramaturgique très élégante.
Le spectateur se trouve kidnappé dès le premier plan, par cette mise en scène bousculée qui nous assigne une place curieuse : celle du juge. Heureusement Farhadi assimile cette position à celle du vide qui s'ouvre sous nos pieds : vide juridique et moral évidemment, entre textes de loi de la justice iranienne et les préceptes du Coran, vide du manque de preuves et d'éléments (ces fameuses ellipses!) pour trancher en faveur d'un personnage plutôt que l'autre, nous réservant ainsi une marge bienvenue d'interprétation et de distance -la même marge dans laquelle Farhadi a dû probablement zigzaguer avec la censure du régime pour faire passer un tel propos. Reste alors un nécessaire procédé de reconstitution, au niveau littéral, qui devient le prolongement de l'espace mental du spectateur, tentant lui aussi de recoller les morceaux qu'aucun flashback ou plan mental ne viendra étayer, le film étant pris dans cette précipitation effrénée vers l'avant, un présent qui n'autorise un passé qu'à remodeler au fil de versions contradictoires. Comme dans Close-Up de Kiarostami, une action restée invisible est patiemment mise à plat par la loi des hommes qui veut la (dé)montrer comme si elle s'adressait au spectateur, et au final en régénère une nouvelle qui n'est guère plus satisfaisante et ne permet pas plus de conclusions. La défense de l'honneur du mari, par exemple, dépasse largement le cadre manichéen que certains voudraient plaquer sur le film avec une interprétation religieuse qui tient de l'exotisme, d'ailleurs Farhadi le dépeint comme issu de la petite bourgeoisie et non-pratiquant, opposé à une famille populaire très religieuse. C'est bien en tant qu'homme qu'il veut sauver et laver son honneur, quitte à mentir puisque c'est de toute façon la notion même de vérité que Farhadi questionne et bouscule en nous, exigée et capitalisée à la fin sur le personnage de Termeh, la fille de Nader et Simin, sommée de porter la conclusion à l'intrigue du divorce mise entre parenthèses par l'intrigue centrale. On serait malgré tout en droit d'amener des réserves sur le caractère « démonstratif » de l'entreprise didactique de Farhadi : si Une Séparation laisse une forte impression en sortant de salle, on a le sentiment, quelques jours voire semaines plus tard, d'avoir été mené par un excellent moraliste et un brillant théoricien auquel il manque souvent une plus-value poétique et proprement cinématographique (les qualités du film sont plus romanesques que tout autre chose). De là donc à y voir un plaidoyer trans-culturel pour le rapprochement entre les peuples, il me semble y avoir un gouffre que l'œuvre se garde bien de vouloir franchir. Et s'étonner de découvrir la société iranienne via ce film alors que le cinéma d'Iran a été le meilleur au monde dans les années 90 (avec celui de Taïwan) et a rayonné via les œuvres de Kiarostami (Close-Up, Au Travers des Oliviers, Le Goût de la Cerise), Makhmalbaf (L'Acteur, Salaam Cinema, Gabbeh), Mehrjui (Hamoun, Sara, Pari), Panahi (Le Ballon Blanc, Le Miroir, Le Cercle), Magidi (La Couleur du Paradis), cela me parait un peu forcé ; rien chez Farhadi que l'on n'ait vu chez ses (bien plus illustres) prédécesseurs, la poétique de l'allégorie et la puissance du cadre en moins. Je termine non sans rappeler dans ce film qui nous montre une justice iranienne plus nuancée que celle que nous connaissons, que les cinéastes Jafar Panahi et Mohammed Rasoulof sont toujours assignés à résidence pour six ans pour « propagande contre le régime » et frappés de l'interdiction de réaliser des films et quitter le pays pour les vingt prochaines années.
Publié le 25 août 2011
Merci (en revanche) à l'Écran Total au cinéma Arenberg pour nous avoir permis de revoir Viridiana (1961), ce Bunuel des plus anarchistes et tranchants dans une belle copie restaurée. Luis Bunuel retourne au pays qu'il avait quitté en 1936 avec une rage blasphématoire qui a peu d'équivalents. Silvia Pinal, un clair-obscur objet de désirs y ressemble comme deux gouttes de café noir empoisonné à Kim Novak de Vertigo (chevelure blonde, masque figé, poitrine opulente), surtout dans le premier tiers où l'infortunée Viridiana se voit pliée aux fantasmes nécrophiles d'un Fernando Rey aux amours forcément folles et convulsives. Comme souvent chez l'auteur de L'Age d'Or, les personnages principaux sont des bourgeois suffisants et stupides ou des membres du clergé forcément hypocrites qui se réclament de la vertu puis se révèlent d'affreux pervers infréquentables sous un vernis d'apparences sociales qui se craquèle à mesure que la trame progresse. Maitre du détour et du commentaire surréaliste, de la litote dans la mise-en-scène, de la métaphore appuyée, c'est sûrement un hasard (qui fait bien les choses) si il profite ici plus de la profondeur de champ offerte par son décor, où qu'il accumule les références picturales, de Goya à De Vinci dans une scène de banquet inoubliable. Point culminant du film que cette parodie du dernier repas où l'aveugle rejoue le rôle du Christ, le lépreux pose en robe de mariée, les boiteux se prenant les pieds dans la corde à sauter de l'enfant, le retour de flamme de cette irrévérence suprême s'achevant lui-même dans une destruction anarchiste sauvage. Bunuel finit par fourrer tous ses personnages dans le même panier de crabes, mais sans jamais la cruauté du juge ou de l'observateur entomologiste dont eux peuvent jouir. Ce n'est pas à l'homme qui a réalisé Las Hurdes et Los Olvidados qu'on apprendra ce qu'est l'intégrité et un regard juste et franc sur les faiblesses et les duplicités humaines quelles qu'elles soient. Par sa rigueur et la sécheresse de son style (éducation jésuite oblige), Bunuel reste intraitable avec les aristocrates comme avec les mendiants. La cour des miracles réunie autour de Viridiana ressemble en effet plus à la monstrueuse parade des Freaks qu'à la Dernière Cène mimée. Tout est ainsi partagé, l'objet des sentiments ou des jugements du spectateur retardé sans cesse par des forêts de paradoxes. Il n'y a aucune empathie des classes pauvres entre elles (domestiques et clochards) et leur opposition est soulignée dans un morceau de bravoure purement surréaliste : la prière dans le verger de Viridiana et ses pauvres contre les travaux des ouvriers au château charrie jusqu'au montage alterné de Griffith comme d'Eisenstein. Et Viridiana elle-même s'avère en fin de compte aussi fétichiste que son oncle, dans le culte des objets du calvaire du Christ. L'échec de la morale chrétienne sur tout les plans comme de l'idéologie marxiste ne débouche sur aucune autre sorte de morale de la narration et sera signé par cette épilogue provocateur et inoubliable du jeu de cartes, fermant sur l'impossible conciliation d'un ménage à trois ce manège infernal imposé par les pôles divergents du récit.
La Palme d'Or cannoise (en 1961, ex aequo avec Une Aussi Longue Absence d'Henri Colpi) n'y fera rien et les copies seront saisies en Espagne (le Vatican et Franco jugent le film impie). 50 ans plus tard, il a conservé une force de frappe, un rythme et une acidité satirique que possèdent peu de films contemporains et qu'on rangera sous l'étiquette un peu facile mais exacte de « la marque des grands ». Bunuel n'attend en effet aucune espèce de comparaison ; il est un de ces très grands auteurs qui ont créé dans la nuit du cinématographe une œuvre qui est en tous points personnelle et séminale, et on peut presque compter ces génies primitifs sur les doigts de deux mains : Griffith, Murnau, Flaherty, Chaplin, Feuillade, Eisenstein, Lang, von Stroheim, Renoir, combien d'autres ?
Publié le 22 août 2011
Appendice à la « teen apocalypse trilogy » des années 90 de son auteur après un détour vers le drame (Mysterious Skin), Kaboom en est une version pop flamboyante qui raille les clichés des campus-movies avec le même sens prégnant d'une fin du monde pressentie qui se rapproche inéluctablement, mais rarement vue de façon si jouissive. Cette fois-ci Araki a charpenté son scénario plus solidement, et si la sociologie de groupe reste son fort, qu'il ne résiste pas à une bonne ligne de dialogue au détriment d'une situation, son placement des personnages dans le premier acte et sa résolution éclair et terrifiante d'absurdité laissent éclater un art mûr et sûr de lui, qui a évacué les approximations de son casting (les sarcasmes de Haley Bennett et Juno Temple sont un délice) et mène son film à vitesse supersonique. Maître dans l'art de poser une atmosphère de complot et de catastrophe imminente avec trois décors et quatre comédiens, Araki a laissé l'influence auto-destructrice et freaks de John Waters de côté mais gardé John Hughes et emporté les climats lynchiens dans son maelström foutraque de parodie furieuse et finalement violente du cinéma mainstream. Corps hyper-sexualisés dont le script semble explorer toutes les possibilités combinatoires, primauté du très gros plan frontal, musique incessante (moins bien sélectionnée qu'à l'habitude pourtant) sont les constantes renouvelées du cinéma d'Araki, bien complétées par une photographie en grands aplats de couleurs primaires de Sandra Valde-Hansen joyeusement complétée d'effets spéciaux, irisations et autres traitements à l'étalonnage.
Sorte de face éclairée et hédoniste au Melancholia de Von Trier, Kaboom évite l'exercice de style en zigzaguant dans son propre dédale de rêves enchâssés, seulement brisé dans un réveil luminescent par le démiurge en robe de chambre qui vient appuyer sur le bouton du générique. L'explosion du titre est celle des genres, joyeusement entremêlés pour le dire platement, plus qu'une destruction terminale de l'univers tandis que la Doom Generation s'abandonnerait une fois encore à sa propre volupté. Le film tout entier se trouve désaxé par le magnétisme animal de leur débauche et tend à se rendre à eux, d'où la justice expéditive de la fin. Flirtant avec les limites de la parodie, du pastiche, de l'hommage, avec les genres de la comédie romantique, du thriller millénariste, du teen-movie, Araki est bien le seul cinéaste aujourd'hui qui peut se permettre le luxe de ne pas choisir entre toutes ces normes un ton fixe en misant tout sur la jubilation et l'extase de son spectateur.
Publié le 16 août 2011
Les principaux mérites de Sciamma avec son deuxième long métrage sont bien cette narration « ligne-claire » et ce sens de l'empathie avec ses personnages féminins, cette torpeur mélancolique et nostalgique qu'on pressentait dans Naissance Des Pieuvres. Mais cela s'arrête à peu près là. Fascinée par les rituels de jeu de ses jeunes comédiennes, leur façon d'accaparer le monde qui les environne (une banlieue de béton, une forêt vidée de sa magie), Sciamma déréalise un univers autarcique, piégé dans un été atone et immobile. En coupant ses plans à la taille des acteurs, elle parvient aussi à conserver l'abstraction de la zone érogène qui est le pôle d'attraction du film, juste sous la ceinture. Le son ne subit plus le même traitement fondant la nostalgie immédiate de ces banlieues comme autant d'espaces fantomatiques coincées dans un passé instable. Là où Naissance des Pieuvres jouait à fond les nappes vintage des claviers de Para One, Tomboy se contente d'un pastiche rétro-pop pour une scène de danse diégétique et laisse parler les bruissements de feuilles, l'aseptisation des intérieurs, les jeux de société remplissant un vide secret, un peu abyssal si l'on se penchait au dedans, les humains en dernier (les parents, toujours aussi anecdotiques en figures humiliantes, raides représentants de la morale). Tomboy profite de son ambiguïté identitaire pour une ambiguïté de scénario, sa fin est la plus belle qu'on puisse rêver, elle donne l'impression que le film peut se plier sur lui-même, retrouver un moteur par sa nouvelle orientation sexuelle. Cette mécanique de genre en est presque quantique.
Publié le 15 août 2011
Pénible pastiche de comédie italienne à la Ettore Scola ou Dino Risi (lourdement cité), La Prima Cosa Bella rame à se référer sans cesse aux précités en mélangeant tragédie familiale et fraternelle (une spécialité nationale) et vague déambulation dans l'histoire italienne avec des ruptures de tons incessantes très mal négociées, ne trouvant jamais de point d'équilibre dans sa volonté satirique trop molle dans son traitement des malheurs de ses personnages au premier degré (dont le héros enfant, notoirement insipide), ni de tempo correct, et s'échouant finalement dans un montage de flashbacks laborieusement resnais-ien. La seule vérité de ce film sur-dialogué et explicatif, artificiellement généalogique, vu et revu dix mille fois en mieux ailleurs lui échappe à son insu : c'est que l'essentiel du cinéma italien qui parvient jusqu'à nos écrans nous montre que cette cinématographie nationale va décidément mal aujourd'hui... Il n'y a guère dans ce pays que Moretti (Habemus Papam) et Bellochio (Vincere) comme grands cinéastes pour le moment, l'extrême majorité du reste est égaré dans une propagande berlusconienne lèche-bottes (le programme révisionniste de Baaria de G.Tornatore), des sous-téléfilms de dimanche où il pleut et des tentations hollywoodiennes fantoches à la Paolo Sorrentino. Notons malgré tout la (maigre) originalité de La Prima Cosa Bella de nous présenter un personnage féminin principal de ravissante idiote, les imbéciles présentés sans mièvrerie ni mépris au cinéma se comptant sur les doigts d'une main (Les Bonnes Femmes de Chabrol, le Colonel Blimp de Powell/Pressburger, quelques personnages Coen-iens), mais Virzi ne va pas au bout de sa logique et la rachète en grand-mère confiture dans son 3è acte. Quand au garçon utilisé comme un pion par les scénaristes, on aimerait qu'il fasse rapidement son caca œdipien à deux lires et qu'on passe à autre chose. A un autre cinéma en l'occurrence.
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