Fritzlangueur

Fritzlangueur
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Film préféré de l'utilisateur Fritzlangueur

Publié le 16 décembre 2015
Dès les premières images, l’approche visuelle globale de « Cafard », semble tenir, plus de l’environnement du mauvais jeu vidéo (déplacements flottants, lenteur des mouvements, modélisation géométrique des fonds…). J'ai trouvé cela contestable et il m’a fallu un peu de temps avant de m’habituer au concept. L’animation en 2D ayant gagné de nouvelles lettres de noblesse ces derniers temps (« Le chant de la mer » de Tomm Moore), cette intention filmique résonnait un peu comme un retour en arrière. Cela au moins jusqu’à l’apparition aussi sidérante qu’inattendue du titre et générique sur fond de « Ballets Russes » (remarquable retranscription du Pan de « Daphnis et Chloé »), où le film commence vraiment et m’a littéralement empoigné ! Car de force il en est bien question avec « Cafard », d’abord avec cet incroyable personnage de Jean Mordant, champion du monde de lutte 1914, gaillard impressionnant de force et de tendresse qui décidera de venger sa fille en s’engageant dans la « grande guerre ». Si la crainte d’assister à un énième film revanchard (en mode « Vieux fusil ») s’estompe très vite (ouf !), c’est dans un épisode peu connu de ce conflit, que Jan Bultheel nous entraîne avec son héros, l’errance d’un corps d’armée d’auto blindés belges (libres) qui fut envoyé sur le front russe en 1916 aux côtés des puissances alliées. Cet extraordinaire périple, qui va lui faire traverser l’Europe, la Russie, la Chine, les Etats-Unis souligne la situation géopolitique confuse du monde pendant cette période (révolution bolchévique, Europe exsangue…). Tous les personnages sont fictionnels, mais s’inspirent de ci de là de vrais destins habilement réunis dans le scénario. Si certains y verront une certaine faiblesse du propos (manichéisme des positions) ou de la confusion (raccourcis historiques), cela tient simplement à ce que « Cafard » est avant tout un récit humaniste, qui se range derrière les individus et souligne leurs réactions franches face aux drames qui se jouent. La Belgique a payé un lourd tribut dès 1914 avec un nombre considérable de civils massacrés. En choisissant Jean Mordant comme porte étendard, l’homme simple et pur, Bultheel démontre que le juste se révèle dans la plus grande des adversités grâce à ses valeurs (loyalisme, tolérance, don de soi…) et que s’il dévie à un moment, il retrouvera toujours le chemin de la liberté et de la sagesse. Mais bien plus qu’une histoire prenante (digne d’une aventure de Corto Maltese de Pratt), le film se révèle par un style, et beaucoup d’idées captivantes. Ainsi, les visages viennent contredire le trait épuré de l’ensemble, très expressifs ils contribuent largement à la dramaturgie. Le jeu des couleurs, notamment au niveau des décors, est plus qu’intéressant donnant lieu à certaines scènes d’un bel esthétisme. Bultheel, filme ce drame à la manière de certains films historiques des années 30, la réalité historique n’éclatant pas par une rutilance de décors ou de prises de vue, mais plus simplement sur un détail de reconnaissance, la toile de fond ne pèse pas sur l’action, autour de laquelle se concentrent Jean, Victor, Jelena, Guido… aux destins si bouleversés. Après « Adama » traitant également d’une face cachée de la guerre 14/18, l’enrôlement du peuple africain dans le conflit, et dont certaines scènes resteront gravées à jamais dans ma mémoire, « Cafard » se veut moins poétique, plus ancré dans la noirceur, et pourtant il s’en dégage nombre de frissons et une certaine ivresse par la profondeur de sa simplicité, et surtout au final de sa délicate beauté.

Publié le 8 décembre 2015
Si le volume 1, l’inquiet, se focalisait principalement sur une vision réaliste de l’état de récession du Portugal entre 2013 et 2014, le volume 2 est beaucoup plus symbolique. Trois récits viennent donc compléter les autres. La « Chronique de fugue de Simao « sans tripes », où l’on suit un assassin en fuite et traqué, puis « Les larmes de la juge » et enfin les péripéties du chien Dixie et ses nombreux maîtres. L’histoire de Simao est de loin la plus esthétique et poignante, cet homme dont on ne connaît que peu de choses appelle de suite notre empathie malgré ses crimes, Gomes le filme comme une victime d’un système, non pas sociétal, mais simplement de la vie. La nature luxuriante et un peu hostile vient refléter sa propre personnalité, son combat pour la survie de son intégrité est vain mais il avance envers et contre tous. Magnifiquement filmé cet épisode aurait pu être toutefois raccourci. Là par contre où Gomes touche au génie c’est bien avec « Les larmes de la juge ». Cela commence de manière très laconique par le jugement d’une affaire de vols de meubles. Le tribunal est une arène. Et c’est un combat qui va peu à peu se mettre en place. Les coupables n’étant pas les seuls accusés, le délit étant plutôt le fait d’une réaction en chaîne. Gomes se veut accusateur, dans cette crise qui touche toutes les classes sociales chacun se cache derrière un coupable idéal, pour mieux camoufler sa propre responsabilité de l’effondrement des institutions. C’est brillant, extrêmement fort dans le texte comme dans le jeu. Quant à Dixie, le chien aux yeux si tristes et débordant de gentillesse, il est un lien affectif dans une cité où le désœuvrement fait loi. Des maîtres qui le recueillent, aux habitants de la tour, Gomes brosse en quelques maux, les stigmates de la misère, solitude, chômage, sida, drogue, racisme… tout en amenant une note d’espoir finale salutaire. Beaucoup plus lisible que « L’inquiet », ce volume 2, même s’il est inégal en intensité, se veut plus proche de la fiction métaphorique, et donc d’une forme cinématographique classique. Il donne de fait l’impression d’être plus structuré, se rapprochant de l’ambition initiale, celle du conteur. C’est donc avec beaucoup d’impatience que l’on attendra les ultimes récits de Schéhérazade.

Publié le 8 décembre 2015
Enthousiaste, étonné, déçu, désappointé, en colère, soporifé, ému, transporté… j’ai connu bien des émotions au cinéma depuis toujours ! Jamais un film n’a réuni toutes ces qualités ou ces défauts. Jusqu’à ce que… je vois « Les mille et une nuits, l’inquiet » de Miguel Gomes. Tout dans le film est autant perturbant, qu’intéressant cinématographiquement parlant par le concept adopté (trilogie, récit dans le récit, profondeur du propos, scénario et images décalés…). Gomes nous le dit dès le départ, le cinéma en cette période de crise et de misère que traverse le Portugal, tient du trivial. Il choisit donc, pour apporter sa voix à l’incompréhension générale, de témoigner, où plutôt de faire appel à témoins sur les effets ravageurs de cette disette économique et surtout sociale. Mais il est avant tout cinéaste, et choisit une forme fictionnelle pour agrémenter le propos cruel, la trame structurelle des « Mille et une nuit » et ses récits paraboliques teintés de sagesse et de dérision. Entre le préambule très marqué documentaire altermondialiste où se croisent réflexions du réalisateur, fermeture du chantier naval Viana do Costelo, et invasion de la guêpe africaine, à l’acerbe « les hommes qui bandent » en passant par « l’histoire du coq et du feu » (le moins bon des segments) où l’émouvant « les magnifiques » ce se sont autant de tranches de vie, autant de témoignages qui mettent en scène la souffrance et le désarroi du peuple portugais. C’est truculent, décalé, parfois un peu longuet, bien enlevé, foutraque, mais surtout, surtout le film exhale un parfum de liberté et d’allégresse (toutes ces personnes semblent garder le sourire de l’espoir) que l’on ne peut y rester indifférent et d’attendre avec impatience les deux volets suivants. Une vraie curiosité à découvrir !


Publié le 8 décembre 2015
Il n’est de bonne compagnie qui ne se quitte… c’est avec regret que s’achève, par ce troisième volet, une aventure qui dépasse le seul cadre de la cinématographie, et se révèle comme une véritable performance artistique socioculturelle. Michel Gomes a construit un triptyque à la démesure d’une crise sociétale et économique sans précédent qu’à connu le Portugal, ébranlant les fondements d’un pays, provoquant un doute considérable chez son peuple. Mais la réflexion va bien au-delà et pourrait s’appliquer à d’autres territoires ou nations… Après le revendicatif, le vindicatif, Gomes s’attache avec « L’Enchanté » au contemplatif. Il amène une douceur, une poésie et nombre de beautés qui flattent l’œil et atténuent les blessures. Croisant les récits de Schéhérazade à celui de ces anonymes, il vient poser un point final à une trilogie qui remue, perturbe et séduit, sorte de nouvelle mythologie des temps modernes. Ce troisième volet, diffère encore de deux autres dans la narration, il est ponctué de textes qui composent l’histoire, beaucoup plus que les images. Images souvent à couper le souffle tant elles sont belles, même pour les plus anodines. On y retrouve également quelques acteurs des précédents volets, pour mieux boucler la boucle et souligner l’universalité du récit. On notera quand même, que la démonstration trouve ici ses limites, et que Gomes a un peu tendance à s’appesantir, là où il aurait fallu rebondir. Mais il n’en reste pas moins que cette œuvre dans son ensemble est un bel exercice de style, voire une remise en question d’un auteur, s’interrogeant dans son journal de bord à savoir « comment faire un film d’intervention sociale quand on veut filmer des histoires merveilleuses ? » Il en a apporté une réponse simple limpide et brillante en réalisant « Les mille et une nuits ». Du coup pour prolonger ces moments merveilleux, je me plonge dans une lecture aux notes fantastico-sociales, celle de José Saramago, auteur portugais, avec « Le radeau de Pierre ».

Publié le 8 décembre 2015
Ce n’est pas ce film qui me reconnectera tout à fait au cinéma de Jacques Audiard, mais on s’en rapproche… Car « Dheepan » est une œuvre forte, assez insolente et carrée. Qualités qui faisaient de « De battre mon cœur s’est arrêté » un chef d’œuvre dont le niveau n’a jamais été atteint depuis par le réalisateur. Cela s’explique par le manque d’unité du scénario, dont une rupture de ton et d’esprit vient gripper la belle mécanique. Intelligemment décomposé en trois parties, la fuite/peur, le refuge/apaisement et la conquête du "territoire"/violence, le film affiche une féroce lucidité où personne n’échappe à la griffe de l’auteur qui épingle au passage un système (trafic de réfugiés), un état de guerre (la cité décrite avec force de réalisme comme rarement vue au cinéma) et l’humain, quel qu’il soit, prêt à tout pour sa survie ou défendre un statut. « Dheepan » est aussi un film sur la peur, ou plutôt les peurs. Celle de ces peuples contraints (quelque soient les raisons) à la fuite, la peur de l’autre (en chaque homme il y a un ennemi), celle de l’inconnu ou encore la peur de perdre le pouvoir, et donc la face (ah ce regard de Vincent Rottiers sur la fin !!!) Jacques Audiard, avec le savoir faire qu’on lui connaît, excelle . Il n’est jamais aussi bon que dans les démonstrations de crise. Sa mise en scène éthérée, à laquelle il ajoute quelques effets de style, maitrise totalement ces moments de tensions. Nous sommes loin de l’esbroufe de « Un prophète » et sa déification malsaine d’une petite frappe. Il est ici beaucoup plus direct, et nettement moins complaisant. De même dans les scènes plus intimistes, cette même force pousse ses acteurs à donner le meilleur d’eux-mêmes, et l’histoire d’amour en filigrane nous touche par ses multiples phases et revirements. Quid de la nunucherie « De rouille et d’os », « Dheepan » c’est la vraie vie ! Tout serait parfait dans le meilleur des films si à un moment (heureusement plus sur la fin) la confusion des esprits ne provoquait pas la confusion des genres dans le récit, reléguant « Dheepan » de film social perspicace à une espèce de sous-marque d’une production Besson. Toute ce qui faisait mouche jusque là est minoré, jusqu’à la mise en scène dont la maniérisme devient soulant. Quant à l’épilogue, c’est le royaume des bisounours ! C’est dommage, car après avoir vécu autant de troubles et de fortes agitations, on se rebiffe et l’émotion reste en plan. Il n’empêche qu’Audiard est un cinéaste sincère, talentueux et sensitif, trop sans doute…

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