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Vu à Cannes: "Deux jours, une nuit"

Publié le 20 mai 2014 dans Actu ciné

Nicolas Gilson, notre envoyé spécial à Cannes, nous livre ses impressions sur le dernier film des frères Dardenne Deux jours, une nuit.
Quinze ans après Rosetta, Jean-Pierre et Luc Dardenne s’intéressent de nouveau à une protagoniste qui se bat pour pouvoir travailler. La première rêvait-elle d’une vie meilleure que la seconde craint de retrouver celle dont elle est parvenue à s’émanciper. Si Deux jours, une nuit rend compte d’une problématique sociétale gangreneuse sous un angle profondément humaniste, l’approche des « frères » est pour le moins consensuelle au point de paraître artificielle.

A la veille de reprendre le travail après un congé pour dépression, Sandra (Marion Cotillard) apprend que son contrat ne sera pas renouvelé. Ses collègues devaient choisir entre toucher leur prime ou la voir réintégrer l’entreprise. Influencés par le chef d’atelier, ils ont préféré l’argent. Sandra obtient qu’un nouveau vote ait lieu, elle a le week-end pour les convaincre de changer d’avis.

Luc et Jean-Pierre Dardenne ouvrent leur film sur un moment de crise lorsque leur personnage reçoit l’appel lui annonçant la nouvelle redoutée. Elle se promet d’être forte : « Faut pas pleurer », se dit-elle. Un encouragement des plus révélateur. Alors qu’elle paraît déjà lasse et abattue, la nouvelle l’assomme. Mais Manu (Fabrizio Rongione), son mari, et Juliette (Catherine Salée), sa collègue et amie, lui rendent espoir. Acculée par la situation – elle ne veut ni retourner dans un logement social ni retomber en dépression – elle relève, malgré elle, le défi de convaincre ses collègues de lui donner une chance.

Incisive, l’introduction narrative – exacerbant le pathos de la protagoniste – est proprement (dé)monstrative. La mise en place repose déjà sur une pleine discursivité qui s’avère totale au fur et à mesure du développement. La quête de Sandra, sa croisade, devient à chaque étape le prétexte à la photographie d’autant de situations – souvent des plus clichées – qui permettent aux réalisateurs de témoigner de la générosité des uns, de l’égoïsme des autres et in fine des affres de la société.

Les rares enjeux qui ne sont pas développés au travers des dialogues (sur-écrits) sont dessinés sans finesse à l’instar de le surconsommation de cachets de la part de l’héroïne ou de sa tendance à aller dormir. Et si son état dépressif est des plus caricatural, les tentatives d’aborder d’autres thématiques paraissent bien souvent absconses – telle la sexualité du couple ou l’espoir qu’insuffle Sandra auprès d’autres protagonistes – et s’expriment toujours au sein du dialogue platement discursif et artificiel. Avec Deux jours, une nuit, les réalisateurs basculent dans la représentation.

Auteurs d’une des meilleures scènes de karaoké au cinéma (La Promesse, 1996), les frères Dardenne semblent avoir trouvé dans l’autoradio l’objet d’une nouvelle expressivité. Tout comme dans Le Gamin au vélo (2011), la voiture devient un lieu de révélation où la musique tient une place prépondérante. Le cliché est ici tellement énorme, le trait tellement épais, que l’intensité voulue laisse place au ridicule.

Si les réalisateurs insufflent une nouvelle dynamique à leur approche esthétique, celle-ci s’émancipe de la radicalité qui fut leur force. Ils s’attèlent à accorder un cadrage plus serré sur leur héroïne en se focalisant sur son visage et sur ses gestes. Le mouvement est plus fluide et permet en un même plan d’exacerber la centralité de Sandra et de distancier les autres intervenants. Parallèlement ils mettent proprement l’espace en lumière – une lumière solaire à la fois chaleureuse et, si l’on considère la métaphore, écrasante. Plus encore que dans Le Gamin au vélo, ils concèdent à quelques artifices à l’instar du travail sur le son et à l’emploi de morceaux musicaux – toutefois toujours intradiégétique – dont l’intertextualité est des plus évidente.

Point fort de leur cinéma, leur direction d’acteur s’avère ici duale. Alors que certains acteurs se veulent prodigieux (à l’instar de Catherine Salée, Fabrizio Rongione et Olivier Gourmet – qui fait une apparition) tandis que d’autres ont un phrasé des plus faux voire proprement récitatif. Mais le constat le plus amer est que la rencontre avec Marion Cotillard ne se fait pas. L’actrice semble-t-elle se livrer corps et âme à son interprétation que celle-ci transparaît d’autant plus.

En perdant leur radicalité et sans parvenir, malgré leur tentative, à se renouveler, les frères Dardenne proposent un film peu convaincant qui se veut néanmoins profondément humain et humaniste.

Pour découvrir le site de Nicolas Gilson, c'est  par ici !

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