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Robert Redford et les idéaux des années 60 et 70
Publié le 8 mai 2013 dans Cinéphiles
Non tant à cause de The Company You Keep (Sous Surveillance), son nouveau film, que de l’aura que dégage le comédien de 76 ans, qui faisait ses débuts au petit écran américain il y a plus de 50 ans
Né en 1936 à Los Angeles, Redford a connu la fin des
studios (on a pu, par exemple, le voir aux côtés de Jane Fonda dans
"Pieds nus dans le parc" en 1967), avant de devenir une
star du Nouvel Hollywood. Notamment grâce à Butch Cassidy and
the Sundance Kid, en 1969, où il crève l’écran face à
Paul Newman. L’acteur nommera d’ailleurs son célèbre ranch de
l’Utah (et son festival du cinéma indépendant) du nom de son
personnage dans le film de George Roy Hill.
Quand Redford débarque en salle de presse pour évoquer The Company You Keep, réflexion quasi autobiographique sur les illusions perdues, c’est donc un pan de l’histoire du cinéma et de la politique américaine qu’on a devant soi. S’il a attendu si longtemps pour évoquer ce passé, c’est qu’il lui fallait la distance. "J’ai toujours été fasciné par l’Histoire américaine. Quand est apparu le mouvement des Weathermen, j’ai immédiatement voulu en faire un film, mais c’était trop proche. Aujourd’hui, on pouvait raconter cette histoire, car elle appartient désormais partie de l’Histoire américaine."
VOIR AUSSI : La bande annonce de Sous Surveillance
Quand on parle des Weathermen, devenus après leur passage à la clandestinité "The Weather Underground" (titre d’un excellent documentaire de Sam Green et Bill Siegel en 2002), se pose forcément la question de ce que sont devenus les idéaux des années 60 et 70 dans l’Amérique d’aujourd’hui, et du regard portés sur ceux-ci. "J’étais proche de la cause à l’époque. Je trouvais qu’ils avaient de bonnes raisons de se rebeller. En même temps, ils étaient autodestructeurs. On voyait bien que ça allait se retourner contre eux. Je trouvais, moi aussi, que la guerre au Vietnam était injuste et qu’ils avaient raison de ne pas vouloir la faire. Mais il ne s’agissait que d’une opinion. A l’époque, je venais de fonder une famille ; je n’étais pas du tout impliqué politiquement."
Si Redford prend des gants pour évoquer le Weather Underground, c’est que le mouvement politique de l’époque est aujourd’hui identifié au terrorisme "Ils avaient les bonnes idées, leurs intentions étaient justes. Ils clamaient simplement qu’on ne pouvait pas se dire Américain en rejetant les idéaux américains, comme la liberté de parole Ils allaient contre ce qu’ils pensaient être de l’hypocrisie. Mais ce qui m’a intéressé, derrière les idées, c’est leur vie personnelle, le sacrifice qu’ils ont consenti. Car le film parle de ces militants trente ans plus tard. Comment vivent-ils aujourd’hui ? Nous avons rencontré des membres des Weathermen. Certains regrettent leurs erreurs de jeunesse. Certains continuent de penser que la cause était bonne et que, malgré leurs erreurs, il faut continuer le combat. Tandis que d’autres assument tout."
En se repenchant de façon critique sur le combat d’alors, The Company You Keep pose clairement la question de la violence politique, en se gardant bien de prendre position. De même qu’il ne remet jamais en cause la traque par le FBI de ces vieux militants qui, objectivement, ne représentent plus aucun danger pour l’Amérique. "Ce qu’ils voulaient faire par les actions non violentes ne fonctionnait pas. La violence était leur dernier recours. Même s’il ne montre pas cette violence de l’époque, le film est violent. Il montre comment ces militants se regardent après 30 ans de clandestinité. Comment ils doivent faire face à leur vrai visage, aux conséquences de leurs actes La vraie violence est là, émotionnelle : se regarder dans le miroir."
Pour Redford, la lutte, l’engagement restent pourtant nécessaires. Il se réjouit d’ailleurs du succès d’un mouvement comme "Occupy Wall Street". "Chaque génération a son moment de rébellion, de mécontentement et sa chance de faire quelque chose. Les temps changent, mais cela se produit toujours. Si je regarde l’Histoire de mon pays, je vois les mêmes conditions et les mêmes erreurs se répéter. Il y aura toujours un besoin de changement. C’est inévitable. Si certains se demandent si cela valait le coup, la réponse n’est ni blanche ni noire, plutôt grise."
Propos recueillis par : Hubert Heyrendt, à Venise