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Olivier Assayas à l’heure du bilan politique personnel
Publié le 14 novembre 2012 dans Cinéphiles
Après
"Carlos", le cinéaste français a voulu aborder dans "Après mai"
l’engagement des années 70 d’un point de vue plus émotionnel. Entretien.
En août dernier, en ne lui décernant "que" le prix
du scénario (on aurait bien vu la mise en scène,
voire le Lion d’or), la Mostra de Venise est presque
passée à côté de
l’un de ses films les plus importants. Avec "Après Mai",
Olivier Assayas
réussit en effet la synthèse entre film
autobiographique et dimension universelle pour évoquer
l’engagement politique des années 70. Face
à la presse internationale, le très
raffiné Assayas séduit par son discours construit
et sa force d’analyse politique, même en anglais.
Si son dernier film éveille forcément des échos avec la crise politique et économique que traverse l’Europe, le cinéaste refuse de faire une comparaison avec la situation au début des années 70. "J’étais même effrayé, en préparant le film, de réaliser à quel point le monde était différent. C’était même parfois difficile pour les jeunes comédiens de simplement comprendre la politique des années 70. A l’époque, tout le monde était convaincu que la révolution allait se produire très rapidement; c’était une question de mois, un an peut-être. La discussion n’était pas de savoir si la révolution se produirait mais ce qu’on ferait quand elle arriverait. Comment réussir là où les générations précédentes avaient échoué ? Pour cela, il fallait tenter de comprendre le passé. Aujourd’ hui, les gens sont objectivement moins intéressés par l’histoire sociale du XXe siècle, par les racines du mouvement révolutionnaire. C’est aussi parce qu’ils ne croient plus dans le futur, qu’ils ne croient pas que la révolution est proche."
Pourtant, en Espagne, en Grèce ou aux Etats-Unis avec le mouvement Occupy Wall Street, on voit naître en ce début de XXIe siècle un refus des excès de la finance et de l’austérité imposée aux peuples. "Il y a des gens impliqués en politique mais de façon totalement différente. Les aspirations sont différentes d’alors, estime Assayas. L’espoir de montrer les limites du système atroce dans lequel on vit est présent mais de façon beaucoup moins articulée. Aujourd’hui, tout est question de justice sociale; ce qui est essentiel, vital. Mais il ne s’agit pas de renverser la société. C’est autre chose..."
A 57 ans, Olivier Assayas a estimé le moment venu de revenir sur ses jeunes années où s’est formée sa conscience politique mais aussi son engagement artistique.
"J’ai fait un film similaire au début des années 90, "L’eau froide", qui traitait aussi du début des Seventies mais d’une façon plus abstraite, plus poétique. Je me suis toujours dit qu’il fallait que je revienne sur le sujet car j’avais fait ce film avec un très petit budget, très rapidement. J’étais également frustré de n’avoir pu y explorer des dimensions essentielles à l’époque." Si le moment était venu de tourner "Après Mai", c’est aussi que le réalisateur venait de boucler pour Canal+ l’excellente mini-série "Carlos", biographie passionnante et politiquement éclairante de l’homme qui a terrorisé l’Europe dans les années 70 et au début des années 80. "Cela m’a beaucoup aidé. Le film décrivait les années 70 d’un point de vue historique, géopolitique. Mais les aspects les plus intimes des Seventies me manquaient. J’ai senti le besoin de regarder la même époque, les mêmes questions mais d’un point de vue plus personnel. Après "Carlos", il était important pour moi de me définir politiquement par rapport aux idéaux de ces années-là. Il y a différentes étapes qui ont mené à ce film. L’une était "L’eau froide", l’autre était un petit livre que j’ai publié il y a quelques années, qui s’appelait "Une adolescence dans l’après Mai". Il s’agissait d’une narration ouvertement autobiographique de mon adolescence dans les années 70. Le livre et le film sont très différents mais très interconnectés. Revivre cette époque en écrivant ce livre m’a permis d’articuler des idées pour un film..."
Impossible de s’y tromper en effet, la dimension autobiographique d’"Après mai" est très forte. Assayas puise en effet dans ses souvenirs pour construire cette fresque historique et politique qui voyage de Paris à l’Italie en passant par Londres. "Je ne crois pas vraiment à l’autobiographie au cinéma mais on s’en rapproche très fortement. La plupart des anecdotes, des personnages sont réels. Tout part de moi mais j’espère que cela va ensuite ailleurs, car j’utilise des acteurs, des dialogues, des décors... J’espère que cela devient quelque chose de différent. A la fin, il y a plus de Clément Métayer que de moi dans le film..."
Enfant de la Nouvelle Vague, Olivier Assayas connaît bien le cinéma de Jean-Luc Godard qui, lui aussi, se posait la question qui traverse "Après Mai": faut-il faire des films politiques ou faire politiquement des films ? "Aujourd’hui, je ne qualifierai plus de révolutionnaire mais de "politiquement pertinent" tout film qui n’accepte pas les règles de l’industrie cinématographique : les règles de la narration, de l’écriture, de la mise en scène, des relations de classe sur le plateau ou, d’une certaine façon, les règles de financement. Godard est un réalisateur-clé. C’est vraiment LE réalisateur qui a été structuré par ces questions et qui y a apporté le plus de réponses différentes. On peut dire que chacun de ses films tente d’apporter une réponse à ces questions. Il est donc central. Mais quand j’étais jeune, je ne m’en rendais pas compte ! J’étais sans doute trop naïf. Le premier film de Godard que j’ai vu, je pense que c’était "One+One"... à cause des Rolling Stones !"
Quarante ans plus tard, Olivier Assayas ne renie rien de ses engagements politiques, des idéaux révolutionnaires de sa jeunesse. "Ce qu’il m’en reste aujourd’hui, ce sont les choses essentielles, la façon dont je vois le monde. Mon analyse de la société est toujours influencée par Guy Debord, le situationnisme, l’école de Francfort. Ce sont des choses que j’ai découvertes très jeune et qui ne m’ont jamais quitté. Parce que je pense que cela reste la façon la plus pertinente de lire la société contemporaine. Grandir dans les années 70 a donné à ma génération une vision étrange du monde. C’était vraiment un moment où l’on ne pouvait se raccrocher à rien de solide; tout était à l’envers. Tout ce qui appartenait à la société bourgeoise était considéré comme suspect. Tout devait être remis en question, réinventé, même les relations entre les hommes et les femmes. On décidait de ne pas avoir de famille, de tenter la vie en communauté, de voyager en Inde... Les années 70 ont vraiment été un laboratoire du futur: c’était dingue, excessif. Plus qu’à aucune autre époque, chacun voulait essayer toute les voies possibles. Bien sûr, à la fin de la décennie, le réveil a été brutal ! Ce qui me reste, c’est cette notion que tout peut être renversé, que rien ne doit être considéré comme acquis. Que tout peut être et doit être remis en question."
Pourtant, la plupart des "révolutionnaires" d’alors ont finalement abandonné leurs idéaux et se sont très facilement adaptés à la société ultra-libérale qui allait naître. A l’image de Daniel Cohn-Bendit, reconverti en chantre de la social-démocratie... "Ça, c’est l’histoire de la génération de 68, des baby boomers. Ce n’est pas l’histoire de ma génération. La génération qui a fait 68, c’étaient de jeunes adultes, des étudiants très articulés politiquement. Ils ont appris la politique durant la Guerre d’Algérie; leur conscience s’est construite de la moitié des années 60 à 1968. Les révolutionnaires de 1968 savaient comment fonctionnait la société, connaissaient les valeurs d’avant. Ils savaient ce qui était en train de changer et comment. Quand tout s’est effondré à la fin des années 70, ça a été plus simple pour eux de se reconstruire et de trouver la bonne place. Ils connaissaient tout de la politique, du pouvoir. Le gauchisme leur avait appris ces valeurs : tout était question d’organisation, de hiérarchie, de stratégie... Alors que les années 70 ont produit des enfants fous, dont beaucoup n’ont pas survécu..."
Si Olivier Assayas ne renie rien de sa jeunesse, il refuse de céder à la nostalgie pour autant. Même s’il convoque dans "Après Mai" quantité de souvenirs des Seventies : musiques, affiches, posters, slogans qui confèrent toute son épaisseur au film. "Ce n’est pas vraiment de la nostalgie; il s’agit plutôt de se souvenir combien ces artefacts étaient importants pour nous à l’époque. C’était avant l’ère de la communication. On doutait de la télévision, des journaux, de la radio. La seule chose en quoi on avait confiance, c’étaient les objets de la contre-culture. On croyait ce qu’on lisait dans la presse libre, dans les tracts politiques. On aimait la musique des groupes underground. C’était une communication fétichisée parce que cela vous reliait avec les autres gamins politisés dans le monde."
Pour parvenir à faire revivre de façon aussi juste une époque révolue, Assayas n’a pas seulement compté sur ses souvenirs. Comme à son habitude, il s’est aussi laissé porter par le processus créatif du tournage. "J’écris vraiment des scripts très simples : deux lignes qui donnent l’état d’esprit général. C’est plus quelque chose que je construis au fur et à mesure. Quand je prépare un film, il m’arrive de trouver des décors bien mieux que ce que j’avais en tête à l’écriture. Donc, je continue à transformer les choses jusqu’à la dernière minute. Si je suis trop précis à l’écriture, je risque d’être coincé dans le cas où je ne trouverais pas exactement ce que j’avais en tête..."
A Venise, Hubert Heyrendt
Si son dernier film éveille forcément des échos avec la crise politique et économique que traverse l’Europe, le cinéaste refuse de faire une comparaison avec la situation au début des années 70. "J’étais même effrayé, en préparant le film, de réaliser à quel point le monde était différent. C’était même parfois difficile pour les jeunes comédiens de simplement comprendre la politique des années 70. A l’époque, tout le monde était convaincu que la révolution allait se produire très rapidement; c’était une question de mois, un an peut-être. La discussion n’était pas de savoir si la révolution se produirait mais ce qu’on ferait quand elle arriverait. Comment réussir là où les générations précédentes avaient échoué ? Pour cela, il fallait tenter de comprendre le passé. Aujourd’ hui, les gens sont objectivement moins intéressés par l’histoire sociale du XXe siècle, par les racines du mouvement révolutionnaire. C’est aussi parce qu’ils ne croient plus dans le futur, qu’ils ne croient pas que la révolution est proche."
Pourtant, en Espagne, en Grèce ou aux Etats-Unis avec le mouvement Occupy Wall Street, on voit naître en ce début de XXIe siècle un refus des excès de la finance et de l’austérité imposée aux peuples. "Il y a des gens impliqués en politique mais de façon totalement différente. Les aspirations sont différentes d’alors, estime Assayas. L’espoir de montrer les limites du système atroce dans lequel on vit est présent mais de façon beaucoup moins articulée. Aujourd’hui, tout est question de justice sociale; ce qui est essentiel, vital. Mais il ne s’agit pas de renverser la société. C’est autre chose..."
A 57 ans, Olivier Assayas a estimé le moment venu de revenir sur ses jeunes années où s’est formée sa conscience politique mais aussi son engagement artistique.
"J’ai fait un film similaire au début des années 90, "L’eau froide", qui traitait aussi du début des Seventies mais d’une façon plus abstraite, plus poétique. Je me suis toujours dit qu’il fallait que je revienne sur le sujet car j’avais fait ce film avec un très petit budget, très rapidement. J’étais également frustré de n’avoir pu y explorer des dimensions essentielles à l’époque." Si le moment était venu de tourner "Après Mai", c’est aussi que le réalisateur venait de boucler pour Canal+ l’excellente mini-série "Carlos", biographie passionnante et politiquement éclairante de l’homme qui a terrorisé l’Europe dans les années 70 et au début des années 80. "Cela m’a beaucoup aidé. Le film décrivait les années 70 d’un point de vue historique, géopolitique. Mais les aspects les plus intimes des Seventies me manquaient. J’ai senti le besoin de regarder la même époque, les mêmes questions mais d’un point de vue plus personnel. Après "Carlos", il était important pour moi de me définir politiquement par rapport aux idéaux de ces années-là. Il y a différentes étapes qui ont mené à ce film. L’une était "L’eau froide", l’autre était un petit livre que j’ai publié il y a quelques années, qui s’appelait "Une adolescence dans l’après Mai". Il s’agissait d’une narration ouvertement autobiographique de mon adolescence dans les années 70. Le livre et le film sont très différents mais très interconnectés. Revivre cette époque en écrivant ce livre m’a permis d’articuler des idées pour un film..."
Impossible de s’y tromper en effet, la dimension autobiographique d’"Après mai" est très forte. Assayas puise en effet dans ses souvenirs pour construire cette fresque historique et politique qui voyage de Paris à l’Italie en passant par Londres. "Je ne crois pas vraiment à l’autobiographie au cinéma mais on s’en rapproche très fortement. La plupart des anecdotes, des personnages sont réels. Tout part de moi mais j’espère que cela va ensuite ailleurs, car j’utilise des acteurs, des dialogues, des décors... J’espère que cela devient quelque chose de différent. A la fin, il y a plus de Clément Métayer que de moi dans le film..."
Enfant de la Nouvelle Vague, Olivier Assayas connaît bien le cinéma de Jean-Luc Godard qui, lui aussi, se posait la question qui traverse "Après Mai": faut-il faire des films politiques ou faire politiquement des films ? "Aujourd’hui, je ne qualifierai plus de révolutionnaire mais de "politiquement pertinent" tout film qui n’accepte pas les règles de l’industrie cinématographique : les règles de la narration, de l’écriture, de la mise en scène, des relations de classe sur le plateau ou, d’une certaine façon, les règles de financement. Godard est un réalisateur-clé. C’est vraiment LE réalisateur qui a été structuré par ces questions et qui y a apporté le plus de réponses différentes. On peut dire que chacun de ses films tente d’apporter une réponse à ces questions. Il est donc central. Mais quand j’étais jeune, je ne m’en rendais pas compte ! J’étais sans doute trop naïf. Le premier film de Godard que j’ai vu, je pense que c’était "One+One"... à cause des Rolling Stones !"
Quarante ans plus tard, Olivier Assayas ne renie rien de ses engagements politiques, des idéaux révolutionnaires de sa jeunesse. "Ce qu’il m’en reste aujourd’hui, ce sont les choses essentielles, la façon dont je vois le monde. Mon analyse de la société est toujours influencée par Guy Debord, le situationnisme, l’école de Francfort. Ce sont des choses que j’ai découvertes très jeune et qui ne m’ont jamais quitté. Parce que je pense que cela reste la façon la plus pertinente de lire la société contemporaine. Grandir dans les années 70 a donné à ma génération une vision étrange du monde. C’était vraiment un moment où l’on ne pouvait se raccrocher à rien de solide; tout était à l’envers. Tout ce qui appartenait à la société bourgeoise était considéré comme suspect. Tout devait être remis en question, réinventé, même les relations entre les hommes et les femmes. On décidait de ne pas avoir de famille, de tenter la vie en communauté, de voyager en Inde... Les années 70 ont vraiment été un laboratoire du futur: c’était dingue, excessif. Plus qu’à aucune autre époque, chacun voulait essayer toute les voies possibles. Bien sûr, à la fin de la décennie, le réveil a été brutal ! Ce qui me reste, c’est cette notion que tout peut être renversé, que rien ne doit être considéré comme acquis. Que tout peut être et doit être remis en question."
Pourtant, la plupart des "révolutionnaires" d’alors ont finalement abandonné leurs idéaux et se sont très facilement adaptés à la société ultra-libérale qui allait naître. A l’image de Daniel Cohn-Bendit, reconverti en chantre de la social-démocratie... "Ça, c’est l’histoire de la génération de 68, des baby boomers. Ce n’est pas l’histoire de ma génération. La génération qui a fait 68, c’étaient de jeunes adultes, des étudiants très articulés politiquement. Ils ont appris la politique durant la Guerre d’Algérie; leur conscience s’est construite de la moitié des années 60 à 1968. Les révolutionnaires de 1968 savaient comment fonctionnait la société, connaissaient les valeurs d’avant. Ils savaient ce qui était en train de changer et comment. Quand tout s’est effondré à la fin des années 70, ça a été plus simple pour eux de se reconstruire et de trouver la bonne place. Ils connaissaient tout de la politique, du pouvoir. Le gauchisme leur avait appris ces valeurs : tout était question d’organisation, de hiérarchie, de stratégie... Alors que les années 70 ont produit des enfants fous, dont beaucoup n’ont pas survécu..."
Si Olivier Assayas ne renie rien de sa jeunesse, il refuse de céder à la nostalgie pour autant. Même s’il convoque dans "Après Mai" quantité de souvenirs des Seventies : musiques, affiches, posters, slogans qui confèrent toute son épaisseur au film. "Ce n’est pas vraiment de la nostalgie; il s’agit plutôt de se souvenir combien ces artefacts étaient importants pour nous à l’époque. C’était avant l’ère de la communication. On doutait de la télévision, des journaux, de la radio. La seule chose en quoi on avait confiance, c’étaient les objets de la contre-culture. On croyait ce qu’on lisait dans la presse libre, dans les tracts politiques. On aimait la musique des groupes underground. C’était une communication fétichisée parce que cela vous reliait avec les autres gamins politisés dans le monde."
Pour parvenir à faire revivre de façon aussi juste une époque révolue, Assayas n’a pas seulement compté sur ses souvenirs. Comme à son habitude, il s’est aussi laissé porter par le processus créatif du tournage. "J’écris vraiment des scripts très simples : deux lignes qui donnent l’état d’esprit général. C’est plus quelque chose que je construis au fur et à mesure. Quand je prépare un film, il m’arrive de trouver des décors bien mieux que ce que j’avais en tête à l’écriture. Donc, je continue à transformer les choses jusqu’à la dernière minute. Si je suis trop précis à l’écriture, je risque d’être coincé dans le cas où je ne trouverais pas exactement ce que j’avais en tête..."
A Venise, Hubert Heyrendt
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