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Quentin Dupieux, drôle d’Oizo
Publié le 11 septembre 2012 dans Actu ciné
“Wrong”
est ce qu’on
peut appeler un film très inattendu...
J’ai envie
d’échapper au
quotidien, de filmer des choses insensées et de vivre
à travers le film une expérience
inédite qui ne ressemble pas à la vie. Pour moi,
le cinéma doit être quelque chose de non attendu.
Malgré les montagnes russes
d’absurdités, il y a quand même une
couche qui tient la route.
On est
prévenu dès la
première séquence, sujette à
interprétation : veut-elle prévenir que
le film est chiant ?
Non, c’est le
"La", comme en musique.
C’est pour régler l’esprit sur cette
fréquence, cette lenteur peut-être "chiante" pour
certains. En fait, on s’est habitué à
une fréquence de montage frénétique
à cause de la télé, des films
d’action. Je crois que certains montent leur film rapidement
pour cacher la misère. Plein de films n’ont aucune
raison d’être frénétiques, si
ce n’est pour éviter l’ennui. Moi je
fais l’inverse, je laisse le temps.
Et pourtant vous
tournez à toute vitesse,
votre prochain film est déjà terminé.
Le policier de "Wrong"
faisait si peur, j’aimais
tellement l’acteur, qu’il m’a
inspiré un autre film dans la foulée.
J’ai l’avantage d’écrire seul,
de ne pas avoir à subir les comités de lecture.
Comme je fais des films peu chers, situés dans une zone qui
n’existe pas, je peux me réveiller un matin et
commencer à écrire sans savoir où je
vais. Deux mois plus tard, le script est terminé et, un mois
après, on peut tourner. Cette fraîcheur vient de
ce processus. Mais quand je suis en tournage, le vrai guide est le
scénario, je m’autorise très peu de
changements.
Quand vous
êtes-vous rendu compte que votre
regard sur le monde n’était pas celui des autres ?
On a tous un regard
différent, mais j’ai
une façon singulière de faire du
cinéma. Habituellement, on formate son esprit en fonction de
règles à respecter. Moi, j’ai pris le
parti de ne pas en tenir compte. Je n’écoute que
moi, que mon instinct, mon cœur, mon esprit.
J’envisage cela comme de la musique. Quand une
scène sonne juste, je la garde. Et plus tard, une
construction s’élabore. Je n’ai rien
contre les vrais scénaristes, on voit plein de beaux films
grâce à eux. Mais je n’aime pas les
formules.
Quelles sont vos
influences ?
On croit qu’on
peut choisir ses influences, mais on
ne peut pas. J’aimerais me revendiquer des Monty Python, du
surréalisme. Mais en fait, on est influencé par
tout ce qui existe, par les autres films, par la vie. Je m’en
suis rendu compte un jour que j’étais en train
d’écrire un scénario. J’ai
fait une pause, j’ai regardé 30 minutes
d’une merde sur Canal +, puis je me suis remis au boulot. Et
je me suis vu en train de recracher ce que je venais de subir
à la télé. J’avais
été inspiré par une horreur. Je pense
que cela arrive constamment. Ma méthode, c’est
d’écouter mon instinct et de le laisser aller.
Ça peut se rapprocher de l’écriture
automatique, sauf qu’elle est consciente car cela doit tenir
debout. Sinon c’est le grand n’importe quoi. Et le
public n’a pas envie de se retrouver pendant une heure trente
avec un gars qui dit : regardez mes idées folles.
Pourquoi
êtes-vous parti tourner aux
Etats-Unis ?
J’y ai
déjà tourné
"Rubber", qui s’y
prêtait bien car le film faisait
écho à un tas de clichés
américains, à "Duel",
à "Christine",
au désert. Je n’aurais pas pu tourner à
Créteil ou à Liège car cela aurait
été trop proche de la vraie vie. Il fallait
emmener les gens dans une imagerie cohérente. En puis,
j’adore les acteurs américains. Ils ont une grosse
qualité que je ne retrouve pas en France : ce sont de
surprenantes machines à émotions. Ils ont une
froideur par rapport à ce qu’ils sont en train de
faire. Un mec qui rate une scène ne le prend pas
personnellement. Il est comme une machine défectueuse
à ce moment-là. Il suffit de la régler
et cela repart. On peut faire un travail de haute précision
avec eux. En fait, il n’y pas d’ego sur le plateau.
Vous aimez les
spectateurs différents
aussi.
Il m’est
arrivé de dire aux gens avant la
projo : "Si vous n’aimez pas ce film, c’est de
votre faute." Ce que je veux dire, c’est qu’on peut
choisir de regarder ce film avec le mauvais œil. On peut
choisir de s’ennuyer. Et on peut aussi choisir de participer
à ce moment de cinéma à part. Ce
n’est pas un film qui prend par la main, mais si on a envie
de jouer le jeu, car c’est un jeu intellectuel rigolo, alors
le film est jubilatoire. Sinon, il est cuit.
Fernand Denis, envoyé spécial de La Libre à Deauville