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Le Grand Soir : "Le punk, c’est trois groupes et trois accords. Idiot "
Publié le 13 juin 2012 dans Actu ciné
Benoît Poelvoorde et Albert Dupontel n’ont jamais
été punks. Drunk, par contre…
La promo cannoise du "Grand Soir"
de Delépine
et Kervern
a pris une tournure joyeusement anarchique. Trop contents de se
retrouver et de faire la fête, les deux
réalisateurs et leurs acteurs n’en ont fait
qu’à leur tête, bousculant le planning
des entretiens, passant d’une table à
l’autre, au grand dam d’attachées de
presse transformées en gardiennes de jardin
d’enfants ("Benoît, retourne à ta place
!"). Le spectacle avait commencé fort, dès le
matin de la projection du film, lorsque Gustave
Kervern s’invita au photocall
précédent, celui de "Killing
Them Softly", d’Andrew
Dominik, suscitant les interrogations de Brad
Pitt et Ray
Liota ("C’est qui ce type ?", pouvait-on lire sur
leur visage). Le quatuor du "Grand Soir" s’appliqua ensuite
à démonter le pupitre devant lequel posent
habituellement les stars. Vingt-quatre heures plus tard,
après une soirée marquée par un
concert des Wampas - groupe punk guest star du film -, on parvint
à arracher quelques réponses aux survivants de la
bande (Kervern avait jeté l’éponge), en
commençant par les deux acteurs.
Avez-vous eu autant de plaisir à faire le film qu’à le promouvoir ?
Albert Dupontel : on croit que c’est anarchique et délirant, mais pas du tout. Delépine et Kervern donnent l’impression d’être paresseux, mais, en réalité, ils prennent le temps pour laisser l’inspiration fonctionner. Ce sont de grands timides qui se cachent derrière une attitude provocatrice. Mine de rien, il y a beaucoup de travail dans la recherche des gags. Mais ce travail ne se sent pas. Quand ils rigolent, on sait que c’est bon.
La première scène avec vous deux est un dialogue de sourds incroyable. Comment avez-vous tourné ce morceau de bravoure ?
Benoît Poelvoorde : totale improvisation. On s’est jeté dedans. Tout à fait en une prise, en gardant un œil l’un sur l’autre, pour suivre le tempo. On ne faisait pas trop attention à ce qu’on disait. Seulement à la fin. Cette scène est une mise en abyme : deux acteurs qui ne parlent que d’eux-mêmes sans écouter les autres
Albert, vous êtes le seul à ne pas boire. Comment s’est passé le tournage ?
A.D. : dans l’ensemble, c’était beaucoup moins chaotique qu’on ne l’imagine. Par contre, il y a eu la scène du concert des Wampas. Là, je me suis retrouvé au milieu de six cents punks bourrés, avec deux réalisateurs bourrés et un partenaire bourré, alors que j’étais désespérément lucide... Surréaliste.
Benoît, vous aviez déjà fait des apparitions dans les films de Delépine et Kervern. Est-ce que vous aviez discuté de ce personnage auparavant ?
B.P. : non. Ils m’ont proposé, un an avant le tournage, qu’on fasse un film ensemble, avec Albert Dupontel. On a tous les deux dit oui, sans rien savoir du scénario.
A.D. : Benoît m’avait dit : si tu fais le film, je le fais. Comment dire non ? Il y avait juste cette idée intuitive de faire de nous des frères.
La punk attitude, vous l’avez eue étant jeunes ?
A.D. : moi, j’étais à l’école. J’avais quinze ans. Après, j’ai fait cinq ans d’études de médecine. Pas vraiment punk, comme attitude. J’écoutais plus Led Zeppelin, les Rollings Stones
B.P. : moi, je voulais faire de la BD (je dis ça, parce qu’il fait le malin avec sa médecine), mais les punks, non, c’était pas mon truc. La musique punk, c’est trois groupes et trois accords. Complètement idiot Je n’ai jamais été révolutionnaire.
Albert, vous êtes réalisateur vous-même. Qu’est-ce qui vous plaît chez Delépine et Kervern ?
A.D. : Nous sommes préoccupés par les mêmes sujets. Mais nous utilisons la caméra de manière différente. Je suis plus proche des Coen ou de Gilliam. Mais eux, ce sont des génies. Ils travaillent dans le minimalisme. Ils peuvent passer des heures à chercher le bon axe, à trouver le bon angle. Et puis, en une prise, c’est en boîte. Un jour, après une longue mise en place, je fais une répétition devant la caméra. Juste pour être sûr. Je leur dis que c’est bon pour moi, qu’on peut tourner. Et Ben (Delépine) me répond : « C’est bon, c’est en boîte ». Je n’y croyais pas.
Gustave Kervern avait jeté l’éponge, lui-même un brin trop imbibé. Restait Benoît Delépine pour évoquer ce film.
Avez-vous été punk vous-même ?
Benoît Delépine : Punk, c’est ne pas savoir faire de musique, hurler dans un micro et séduire les filles du monde entier. Nous n’avons pas été punks (rires). Mais faire ce film, c’est une manière d’être punk. Mais c’est moins un film sur la punk attitude qu’un film sur les punks à chien, ce qui est une caractéristique très française. Il en reste beaucoup, cela reste une manière de dire merde à son milieu social.
Il semble qu’il y a de l’amertume dans ce film-ci. Comme si le grand soir n’arrivera jamais.
C’est vrai. Nous avons tourné une autre fin, où ils foutent le feu au centre commercial. Cela nous semblait un peu répétitif par rapport aux précédents. Et puis, on a vécu pendant un mois dans une zone commerciale. Et on s’est rendu compte que, comme dans le film, c’était un endroit assez agréable à vivre. On s’est attaché aux gens. Et nous avons réalisé qu’on ne pouvait pas brûler leur sapin de Noël. Cela aurait été ridicule. Finalement, c’est le film qui a décidé de la fin. Avec la musique d’Areski et de Brigitte Fontaine, ces images d’incendie devenaient ridicules. C’étaient un peu les gros sabots. Nous nous sommes dit qu’on ne pouvait pas envoyer ce message à la jeunesse aujourd’hui. Trop de révolutions ont mal tourné et tournent encore mal. En réalité, nous sommes plus inadaptés que révolutionnaires. C’est le sens de la musique finale.
Par le passé, vous avez parfois été très loin dans vos gestes anarchistes. C’est fini ?
On a vécu des aventures avant de faire des films qui auraient mérité d’être dans des films. Nous avons essayé de lancer des tartes géantes sur les immeubles où se tenaient des réunions. Nous avions construit il y a dix ans une "tartapulte". Finalement, le mouvement a été tué dans l’œuf, lorsque nos complices belges ont été arrêtés pendant vingt-quatre heures, juste avant que nous passions à l’acte, lors d’un sommet à Bruxelles. Il y avait des hélicoptères au-dessus de la maison de Noël Godin quand il nous a appelés pour nous prévenir de ne pas venir à Bruxelles. On a transformé ça en performance artistique où l’on entartait les portraits des "salauds de l’année". Jusqu’au jour où l’un des salauds fut notre patron de Canal +, Jean-Marie Messier. On l’a entarté en étant sûr qu’on serait viré dans la semaine. Mais les actionnaires l’ont viré avant nous (rires).
Est-ce un tournage très contrôlé ou de la joyeuse déconnade ?
Contrairement à ce qu’on pense, on est très sérieux sur le tournage. Par contre, on se laisse porter par le film, l’histoire et l’équipe. Nous restons ouverts à tout ce qui se passe. Notre seule morale, c’est la morale de l’inspiration. On ne veut rien imposer à personne, mais essayer de rester légers. On regarde peu ce qui se passe. On écoute. Les acteurs sont parfois effarés, parce qu’ils ont l’impression que nous ne nous préoccupons pas de ce qu’ils font. On aime bien les mettre dans l’incertitude. On s’amuse à ne pas les féliciter (rires). Par contre, on félicite toujours ceux qui ne sont pas des acteurs professionnels.
Entretien à Cannes, Alain Lorfèvre
Avez-vous eu autant de plaisir à faire le film qu’à le promouvoir ?
Albert Dupontel : on croit que c’est anarchique et délirant, mais pas du tout. Delépine et Kervern donnent l’impression d’être paresseux, mais, en réalité, ils prennent le temps pour laisser l’inspiration fonctionner. Ce sont de grands timides qui se cachent derrière une attitude provocatrice. Mine de rien, il y a beaucoup de travail dans la recherche des gags. Mais ce travail ne se sent pas. Quand ils rigolent, on sait que c’est bon.
La première scène avec vous deux est un dialogue de sourds incroyable. Comment avez-vous tourné ce morceau de bravoure ?
Benoît Poelvoorde : totale improvisation. On s’est jeté dedans. Tout à fait en une prise, en gardant un œil l’un sur l’autre, pour suivre le tempo. On ne faisait pas trop attention à ce qu’on disait. Seulement à la fin. Cette scène est une mise en abyme : deux acteurs qui ne parlent que d’eux-mêmes sans écouter les autres
Albert, vous êtes le seul à ne pas boire. Comment s’est passé le tournage ?
A.D. : dans l’ensemble, c’était beaucoup moins chaotique qu’on ne l’imagine. Par contre, il y a eu la scène du concert des Wampas. Là, je me suis retrouvé au milieu de six cents punks bourrés, avec deux réalisateurs bourrés et un partenaire bourré, alors que j’étais désespérément lucide... Surréaliste.
Benoît, vous aviez déjà fait des apparitions dans les films de Delépine et Kervern. Est-ce que vous aviez discuté de ce personnage auparavant ?
B.P. : non. Ils m’ont proposé, un an avant le tournage, qu’on fasse un film ensemble, avec Albert Dupontel. On a tous les deux dit oui, sans rien savoir du scénario.
A.D. : Benoît m’avait dit : si tu fais le film, je le fais. Comment dire non ? Il y avait juste cette idée intuitive de faire de nous des frères.
La punk attitude, vous l’avez eue étant jeunes ?
A.D. : moi, j’étais à l’école. J’avais quinze ans. Après, j’ai fait cinq ans d’études de médecine. Pas vraiment punk, comme attitude. J’écoutais plus Led Zeppelin, les Rollings Stones
B.P. : moi, je voulais faire de la BD (je dis ça, parce qu’il fait le malin avec sa médecine), mais les punks, non, c’était pas mon truc. La musique punk, c’est trois groupes et trois accords. Complètement idiot Je n’ai jamais été révolutionnaire.
Albert, vous êtes réalisateur vous-même. Qu’est-ce qui vous plaît chez Delépine et Kervern ?
A.D. : Nous sommes préoccupés par les mêmes sujets. Mais nous utilisons la caméra de manière différente. Je suis plus proche des Coen ou de Gilliam. Mais eux, ce sont des génies. Ils travaillent dans le minimalisme. Ils peuvent passer des heures à chercher le bon axe, à trouver le bon angle. Et puis, en une prise, c’est en boîte. Un jour, après une longue mise en place, je fais une répétition devant la caméra. Juste pour être sûr. Je leur dis que c’est bon pour moi, qu’on peut tourner. Et Ben (Delépine) me répond : « C’est bon, c’est en boîte ». Je n’y croyais pas.
Gustave Kervern avait jeté l’éponge, lui-même un brin trop imbibé. Restait Benoît Delépine pour évoquer ce film.
Avez-vous été punk vous-même ?
Benoît Delépine : Punk, c’est ne pas savoir faire de musique, hurler dans un micro et séduire les filles du monde entier. Nous n’avons pas été punks (rires). Mais faire ce film, c’est une manière d’être punk. Mais c’est moins un film sur la punk attitude qu’un film sur les punks à chien, ce qui est une caractéristique très française. Il en reste beaucoup, cela reste une manière de dire merde à son milieu social.
Il semble qu’il y a de l’amertume dans ce film-ci. Comme si le grand soir n’arrivera jamais.
C’est vrai. Nous avons tourné une autre fin, où ils foutent le feu au centre commercial. Cela nous semblait un peu répétitif par rapport aux précédents. Et puis, on a vécu pendant un mois dans une zone commerciale. Et on s’est rendu compte que, comme dans le film, c’était un endroit assez agréable à vivre. On s’est attaché aux gens. Et nous avons réalisé qu’on ne pouvait pas brûler leur sapin de Noël. Cela aurait été ridicule. Finalement, c’est le film qui a décidé de la fin. Avec la musique d’Areski et de Brigitte Fontaine, ces images d’incendie devenaient ridicules. C’étaient un peu les gros sabots. Nous nous sommes dit qu’on ne pouvait pas envoyer ce message à la jeunesse aujourd’hui. Trop de révolutions ont mal tourné et tournent encore mal. En réalité, nous sommes plus inadaptés que révolutionnaires. C’est le sens de la musique finale.
Par le passé, vous avez parfois été très loin dans vos gestes anarchistes. C’est fini ?
On a vécu des aventures avant de faire des films qui auraient mérité d’être dans des films. Nous avons essayé de lancer des tartes géantes sur les immeubles où se tenaient des réunions. Nous avions construit il y a dix ans une "tartapulte". Finalement, le mouvement a été tué dans l’œuf, lorsque nos complices belges ont été arrêtés pendant vingt-quatre heures, juste avant que nous passions à l’acte, lors d’un sommet à Bruxelles. Il y avait des hélicoptères au-dessus de la maison de Noël Godin quand il nous a appelés pour nous prévenir de ne pas venir à Bruxelles. On a transformé ça en performance artistique où l’on entartait les portraits des "salauds de l’année". Jusqu’au jour où l’un des salauds fut notre patron de Canal +, Jean-Marie Messier. On l’a entarté en étant sûr qu’on serait viré dans la semaine. Mais les actionnaires l’ont viré avant nous (rires).
Est-ce un tournage très contrôlé ou de la joyeuse déconnade ?
Contrairement à ce qu’on pense, on est très sérieux sur le tournage. Par contre, on se laisse porter par le film, l’histoire et l’équipe. Nous restons ouverts à tout ce qui se passe. Notre seule morale, c’est la morale de l’inspiration. On ne veut rien imposer à personne, mais essayer de rester légers. On regarde peu ce qui se passe. On écoute. Les acteurs sont parfois effarés, parce qu’ils ont l’impression que nous ne nous préoccupons pas de ce qu’ils font. On aime bien les mettre dans l’incertitude. On s’amuse à ne pas les féliciter (rires). Par contre, on félicite toujours ceux qui ne sont pas des acteurs professionnels.
Entretien à Cannes, Alain Lorfèvre