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Léa, c’est tout
Publié le 25 avril 2012 dans Actu ciné
Après “Les Adieux à la Reine”, Léa Seydoux est à l’affiche de “L’Enfant
d’en haut”. La Française a aussi le vent en poupe à Hollywood. Entretien à Berlin
En France, quand vous vous appelez Seydoux, que vous faites du cinéma et que, de surcroît, vous êtes jeune et jolie, vous êtes aussitôt suspectée de favoritisme. Fille de l’homme d’affaires Henri Seydoux, petite-fille de Jérôme Seydoux, le président de Pathé, petite-nièce de Nicolas Seydoux, PDG de Gaumont (et, aussi, de Michel Seydoux, président du Losc, club de football de Lille, évoluant en Ligue 1 - mais bon, le ballon rond, c’est pas son truc), Léa en a déjà entendu. Elle s’est fait pourtant un prénom dès "La Belle Personne" de Christophe Honoré (2008). Au risque, cette fois, que ce soit le titre qui lui colle à la peau. Depuis, et pour ne rien arranger, la presse anglo-saxonne lui a collé l’épithète de "new it-girl" frenchie, après une apparition dans une pub Levi’s et une kyrielle de seconds ou troisièmes rôles dans des productions hollywoodiennes : quasi muette dans la scène d’ouverture de "Inglorious Basterds" de Quentin Tarantino (mais avec un tapis rouge en prime à Cannes), intrigante Isabelle d’Angoulême dans "Robin des Bois" de Ridley Scott (rebelote sur la Croisette), un petit tour sur le coup de "Minuit à Paris" de Woody Allen (jamais deux Cannes sans trois) et, enfin, tueuse mercenaire dans "Mission impossible 4" fin de l’année dernière. Brouillant les pistes, Léa Seydoux a aussi tenu des rôles plus consistants dans "Plein sud" de Sébastien Lifshitz, "Belle Epine" de Rebecca Zlotowski (qui lui vaut en outre le qualificatif pour la deuxième fois) ou "Les Mystères de Lisbonne" de Raoul Ruiz. Et voilà 2012 qui s’ouvre en février, au Festival de Berlin, avec deux rôles marquants : Sidonie dans "Les Adieux à la Reine" et Louise dans "L’Enfant d’en haut" - de quoi lui donner des ailes pour la suite.
"Je ne fais pas les choses par hasard", expliquait-elle à Berlin à propos de la versatilité de ses choix. Port simple, plus Louise que Sidonie, pas bégueule, elle répondait avec un débit rapide, n’hésitant qu’à cause du brouhaha ambiant. "J’ai envie de faire les films les plus différents possibles et d’incarner des personnages variés. J’ai besoin de surprendre. Je serais triste d’être toujours la même actrice et dans le même genre de film." Encore faut-il attirer les metteurs en scène. "Là, c’est aussi une question de chance." Mais elle croit également que "le désir crée le désir". Et puis, elle a déjà suffisamment de pratique que pour savoir qu’une carrière est un cercle vertueux : "En France, ce sont toujours un peu les mêmes acteurs qui tournent. Il y a plein de metteurs en scène qui vont d’abord aller vers quelqu’un de connu. C’est plus rassurant." Ce qui lui évoque aussitôt une citation de Diane Arbus, vue au Jeu de paume dans une rétrospective l’année dernière et que la comédienne a noté dans la mémoire de son smartphone, sur lequel elle pianote aussitôt : "Une chose n’est pas vue parce qu’elle est visible, elle est visible parce qu’elle est vue." Et manifestement l’intéressée est vue, et bien vue. Et intrigue.
Car la physionomie de l’actrice véhicule un mystère qui attire les réalisateurs (et les réalisatrices). "Je la trouvais belle, juste, et un peu orpheline", expliquait Rebecca Zlotowski, qui l’a dirigée dans "Belle Epine". Ce côté esseulé, doublé d’une innocence apparente, a aussi attiré Benoît Jacquot, qui y a trouvé la Sidonie des "Adieux à la Reine". Son physique est cohérent avec ce qu’on devine du vécu des jeunes femmes qu’elle incarne : ses yeux de chat en amande lui donnent l’air fatigué d’une gamine qui a grandi trop vite, qui en aurait déjà trop vu, comme la Louise de "L’Enfant d’en haut". Le regard peut autant être dur que suggérer la détresse, mais la "belle épine" porte encore de la fraîcheur. Ce contraste n’est sans doute pas tout à fait un hasard, si on écoute la comédienne. "Quand j’étais petite, j’imaginais souvent que j’étais sans famille. Et je me demandais comment je m’en sortirais dans le monde si j’étais orpheline. Je crois que ça venait d’une angoisse : j’avais peur de ne pas avoir ma place dans le monde." Un monde que, toute "gosse de riche" qu’elle est, elle trouve "dur". "Pour y exister, il faut être solide."
Il y a peut-être, derrière ce sentiment, un vieux traumatisme d’écolière. "Petite, je n’étais pas bonne à l’école. Quand on n’est pas bon à l’école, a priori, c’est plus difficile." Aujourd’hui, elle se sent plus en confiance : les propositions affluent, sa carrière est en phase ascendante. "C’est rassurant d’être relié à quelque chose de concret : c’est un drôle de métier, mais c’est un métier quand même." Professionnelle, donc, multipliant les expériences, Léa Seydoux peaufine sa méthode, empirique. Elle assure ne pas avoir de "technique" et être "intuitive" - jusque dans le choix des collaborations : "Je sens tout de suite quand ça va marcher ou pas. Il m’est déjà arrivé de dire non après une rencontre. Je suis très réceptive à la façon qu’a un réalisateur de m’aborder. Une fois engagée sur un projet, je me prends aussi beaucoup la tête : je ne joue pas de façon tranquille. Je suis assez torturée - comme actrice et comme personne." Mais elle s’implique et ne se contente pas des directives des autres. "Quand on est acteur, je pense qu’il faut savoir s’auto-diriger, avoir un point de vue sur son personnage. Il faut avoir un parti pris. J’ai une proposition qui vient du réalisateur, et donc j’adapte ma manière de travailler. Benoît Jacquot, par exemple, n’aime pas les répétitions et n’est pas dans la psychologie. Ce qu’il aime, c’est le mystère de l’incarnation. Quand il se retrouve face à ses acteurs, il aime être comme un spectateur. Il aime voir se déployer un personnage devant ses yeux. Ursula Meier, elle, est beaucoup plus volontariste, plus maîtrisée. Elle sait plus ce qu’elle a envie de faire." Léa Seydoux confesse être plus à l’aise avec les réalisatrices. Peut-être parce qu’elle a des difficultés, jure-t-elle, avec son image. "Je suis un peu complexée, et je ne me trouve pas toujours à mon avantage. Parfois je me trouve bien, parfois pas. Mais quand on est comédien, on est plus ou moins exhibitionniste." Bref : "J’aime bien qu’on me regarde, mais pas toujours."
Son prochain film sera "Le bleu est une couleur chaude", adaptation d’une BD de Julie Maroh par Abdellatif Kechiche ("L’Esquive"). Léa Seydoux a opéré pour celui-ci la première grande mue physique de sa carrière : elle a coupé ses cheveux à la garçonne et les a teints en bleu ! La star montante ne craint pas de casser son image, au propre et au figuré. C’est que, derrière l’écran, l’ancienne mauvaise élève, l’enfant qui cherchait sa place dans le monde, poursuit sa construction. Quand on lui demande si elle a une devise, elle cite cette fois Nietzsche, du tac au tac, sans avoir besoin de son téléphone : "Deviens qui tu es." Léa, c’est tout.
Alain Lorfèvre
"Je ne fais pas les choses par hasard", expliquait-elle à Berlin à propos de la versatilité de ses choix. Port simple, plus Louise que Sidonie, pas bégueule, elle répondait avec un débit rapide, n’hésitant qu’à cause du brouhaha ambiant. "J’ai envie de faire les films les plus différents possibles et d’incarner des personnages variés. J’ai besoin de surprendre. Je serais triste d’être toujours la même actrice et dans le même genre de film." Encore faut-il attirer les metteurs en scène. "Là, c’est aussi une question de chance." Mais elle croit également que "le désir crée le désir". Et puis, elle a déjà suffisamment de pratique que pour savoir qu’une carrière est un cercle vertueux : "En France, ce sont toujours un peu les mêmes acteurs qui tournent. Il y a plein de metteurs en scène qui vont d’abord aller vers quelqu’un de connu. C’est plus rassurant." Ce qui lui évoque aussitôt une citation de Diane Arbus, vue au Jeu de paume dans une rétrospective l’année dernière et que la comédienne a noté dans la mémoire de son smartphone, sur lequel elle pianote aussitôt : "Une chose n’est pas vue parce qu’elle est visible, elle est visible parce qu’elle est vue." Et manifestement l’intéressée est vue, et bien vue. Et intrigue.
Car la physionomie de l’actrice véhicule un mystère qui attire les réalisateurs (et les réalisatrices). "Je la trouvais belle, juste, et un peu orpheline", expliquait Rebecca Zlotowski, qui l’a dirigée dans "Belle Epine". Ce côté esseulé, doublé d’une innocence apparente, a aussi attiré Benoît Jacquot, qui y a trouvé la Sidonie des "Adieux à la Reine". Son physique est cohérent avec ce qu’on devine du vécu des jeunes femmes qu’elle incarne : ses yeux de chat en amande lui donnent l’air fatigué d’une gamine qui a grandi trop vite, qui en aurait déjà trop vu, comme la Louise de "L’Enfant d’en haut". Le regard peut autant être dur que suggérer la détresse, mais la "belle épine" porte encore de la fraîcheur. Ce contraste n’est sans doute pas tout à fait un hasard, si on écoute la comédienne. "Quand j’étais petite, j’imaginais souvent que j’étais sans famille. Et je me demandais comment je m’en sortirais dans le monde si j’étais orpheline. Je crois que ça venait d’une angoisse : j’avais peur de ne pas avoir ma place dans le monde." Un monde que, toute "gosse de riche" qu’elle est, elle trouve "dur". "Pour y exister, il faut être solide."
Il y a peut-être, derrière ce sentiment, un vieux traumatisme d’écolière. "Petite, je n’étais pas bonne à l’école. Quand on n’est pas bon à l’école, a priori, c’est plus difficile." Aujourd’hui, elle se sent plus en confiance : les propositions affluent, sa carrière est en phase ascendante. "C’est rassurant d’être relié à quelque chose de concret : c’est un drôle de métier, mais c’est un métier quand même." Professionnelle, donc, multipliant les expériences, Léa Seydoux peaufine sa méthode, empirique. Elle assure ne pas avoir de "technique" et être "intuitive" - jusque dans le choix des collaborations : "Je sens tout de suite quand ça va marcher ou pas. Il m’est déjà arrivé de dire non après une rencontre. Je suis très réceptive à la façon qu’a un réalisateur de m’aborder. Une fois engagée sur un projet, je me prends aussi beaucoup la tête : je ne joue pas de façon tranquille. Je suis assez torturée - comme actrice et comme personne." Mais elle s’implique et ne se contente pas des directives des autres. "Quand on est acteur, je pense qu’il faut savoir s’auto-diriger, avoir un point de vue sur son personnage. Il faut avoir un parti pris. J’ai une proposition qui vient du réalisateur, et donc j’adapte ma manière de travailler. Benoît Jacquot, par exemple, n’aime pas les répétitions et n’est pas dans la psychologie. Ce qu’il aime, c’est le mystère de l’incarnation. Quand il se retrouve face à ses acteurs, il aime être comme un spectateur. Il aime voir se déployer un personnage devant ses yeux. Ursula Meier, elle, est beaucoup plus volontariste, plus maîtrisée. Elle sait plus ce qu’elle a envie de faire." Léa Seydoux confesse être plus à l’aise avec les réalisatrices. Peut-être parce qu’elle a des difficultés, jure-t-elle, avec son image. "Je suis un peu complexée, et je ne me trouve pas toujours à mon avantage. Parfois je me trouve bien, parfois pas. Mais quand on est comédien, on est plus ou moins exhibitionniste." Bref : "J’aime bien qu’on me regarde, mais pas toujours."
Son prochain film sera "Le bleu est une couleur chaude", adaptation d’une BD de Julie Maroh par Abdellatif Kechiche ("L’Esquive"). Léa Seydoux a opéré pour celui-ci la première grande mue physique de sa carrière : elle a coupé ses cheveux à la garçonne et les a teints en bleu ! La star montante ne craint pas de casser son image, au propre et au figuré. C’est que, derrière l’écran, l’ancienne mauvaise élève, l’enfant qui cherchait sa place dans le monde, poursuit sa construction. Quand on lui demande si elle a une devise, elle cite cette fois Nietzsche, du tac au tac, sans avoir besoin de son téléphone : "Deviens qui tu es." Léa, c’est tout.
Alain Lorfèvre