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Serge Bromberg, de "L’enfer" à la Lune : entretien

Publié le 18 avril 2012 dans Cinéphiles

Le Voyage extraordinaire : “Bien que venant du passé, le cinéma muet fait preuve d’une certaine modernité...”
Ce “Voyage” est doublement extraordinaire, dans l’espace et dans le temps.
Même triplement extraordinaire. Dans l’espace, dans le temps et dans la couleur aussi. "Le Voyage dans la Lune" en couleurs, je ne pouvais même pas en rêver. On ne cherche pas des aventures comme cela. On les vit, car elles se présentent. Si on les cherche, on ne les trouve pas.

Comment êtes-vous devenu un aventurier de pellicule, un chercheur de films ?
Cela va paraître de la science-fiction pour beaucoup, mais quand j’étais gamin, il y avait deux chaînes de télé, et le magnétoscope n’existait pas. Le seul moyen de voir une image consistait à allumer la télé au moment où elle passait. Ce qui m’a fasciné avec le projecteur de cinéma super 8 que m’a offert mon père, à 10 ans, c’était de pouvoir choisir l’image qu’on regardait. Et si on devait faire pipi, on arrêtait le projo et Charlot nous attendait. Ça a commencé comme cela. J’ai reçu "Charlot au music-hall". Puis, j’ai acheté d’autres Charlot chez le photographe. J’organisais des séances à la maison, et je demandais aux copains de me payer deux-trois sous pour pouvoir acheter d’autres films. A 12 ans, j’étais devenu un petit exploitant (rires). Puis, on grandit, soit on devient un collectionneur névrotique, soit on essaie d’en faire son métier, et j’ai monté Lobster films avec Eric Lange en 1985. 27 ans plus tard, Lobster, c’est 110 000 boîtes de films, des droits sur des films importants, quelques découvertes emblématiques.

Ce n’était pas un domaine réservé aux cinémathèques nationales ?
C’est vrai qu’à nos débuts, les cinémathèques ne nous regardaient pas d’un œil bienveillant. Nous étions des francs-tireurs, nous n’avions pas de diplômes universitaires, on nous prenait pour des escrocs. Mais aujourd’hui, les restaurations entreprises par Lobster sont reconnues, et je siège au conseil d’administration de la Cinémathèque française.

Avez-vous synchroniser avec Scorsese la sortie de “Hugo Cabret” et du “Voyage…” ?
C’est un hasard. Quand on a commencé la restauration du "Voyage dans la Lune", en 1999, les technologies qui ont permis de la finir n’existaient pas. L’objectif était d’extraire ce qu’on pouvait de cette masse de matière. On pensait sortir quelques photogrammes, pas plus. Au bout du compte, on a sauvé 95 % des images. Mais en 2003, on s’est dit qu’il fallait attendre, et pendant dans ce temps, on a cherché des financiers, des soutiens, avec comme objectif lointain de terminer en 2011, à l’occasion des 150 ans de George Méliès. Cet anniversaire a servi de déclencheur, même si on n’avait aucune idée du temps que la restauration allait prendre. Finalement, il fut prêt pour Cannes 2011 qui l’a projeté en ouverture. Scorsese, aussi, avait repéré cet anniversaire. C’est pour les mêmes raisons que les deux films sont arrivés au même moment sur les écrans.

Des millions de spectateurs pour “The Artist” et “Hugo Cabret”; le cinéma vit actuellement un moment extraordinaire.
C’est formidable. "Hugo Cabret" a braqué le projecteur sur Georges Méliès, "The Artist" a fait comprendre à des millions de personnes que dans les années 10-20, les gens n’allaient pas voir des films muets, mais des films formidables. Les films de Murnau, Sternberg, John Ford, d’Abel Gance. "The Artist" est parvenu à faire tomber la barrière "je vais m’emmerder avec un film muet". Car on ne s’emmerde pas, les films ont toujours été faits pour être enthousiasmants, ne fût-ce que pour donner l’envie au spectateur de revenir. "Le Mécano de la General", "Les Rapaces", la modernité de ces films est incroyable.

Quel sens faut-il donner à ce regain d’intérêt pour le muet au moment où le cinéma passe de la pellicule au numérique, sa mutation la plus fondamentale depuis l’arrivée du parlant ?
Avant le numérique, c’était complexe de montrer un film muet, il fallait un projecteur avec une cadence particulière, un pianiste. Grâce au numérique, la remise à cadence se fait facilement, la circulation des œuvres est simple. Il existe, aujourd’hui, une accessibilité au film muet qui n’existait pas avant. C’est une barrière qui disparaît. Grâce à "The Artist", à "Hugo Cabret", une deuxième prévention va peut-être disparaître, le cinéma muet, bien que venant du passé, fait preuve d’une certaine modernité. Cela va-t-il durer ? Je pense que oui, car l’homogénéité des films est aujourd’hui telle, qu’une partie du public va avoir envie d’exploiter cet univers visuel, autrement plus exotique que celui de "Avatar".

Comment l’image de l’obus dans l’œil de la Lune est-elle devenue une icône ?
Même si c’est le premier succès mondial du cinéma, c’est un film que personne n’a vu et que tout le monde connaît grâce à cette image. Elle est au cœur de notre imaginaire collectif. C’est le premier moment d’éternité du cinéma. L’image a été reproduite partout, alors que le film était perdu, réduit à des fragments.

A leur retour, les explorateurs lunaires sont accueillis par des officiels. On voit un drapeau flotter, ses couleurs ne sont pas bleu-blanc-rouge, mais noir-jaune-rouge ?
Je reconnais bien la nationalité du journaliste. Cette copie a été retrouvée à Barcelone, en Catalogne. Cela veut dire qu’elle a été coloriée pour un client espagnol. Du coup, ce ne sont pas les couleurs de la Belgique, mais de l’Espagne. Donc, rouge-jaune-rouge (rires).


Fernand Denis

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