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La guerre froide comme un décor pour explorer les sentiments humains
Publié le 8 février 2012 dans Cinéphiles
Tomas Alfredson et son scénariste Peter Straughan affirment avoir eu une
liberté totale pour adapter le best-seller de John Le Carré. Entretien à
Venise
Découvert avec "Morse" (qui a fait l’objet d’un remake américain : "Let me in"), le Suédois Tomas Alfredson s’offre avec "La Taupe" une belle carte de visite internationale, dévoilée en sélection officielle à la dernière Mostra de Venise. Venu accompagné de ses acteurs, le Suédois n’aime pas qu’on lui parle de "remake", mettant d’emblée les points sur les "i" : "Cela n’a pas été fait au cinéma à ce que je sache, mais dans une série télévisée britannique. Il y a une différence entre, à partir du même matériel, pouvoir s’exprimer sur 7 h et faire un film de 2 h. Je ne considère donc pas ce film comme un remake; on est reparti du livre."
L’adaptation, on la doit à Bridget O’Connor (décédée fin 2010) et à son mari Peter Straughan, déjà auteur des scripts des "Chèvres du Pentagone" et de "The Debt". "Au début, on était nerveux à l’idée de rester fidèles au livre, explique-t-il. Mais il est trop imposant; on n’aurait pas fait un très bon film. On a beaucoup travaillé sur diverses structures, différentes intros, des fins différentes Ça a été un processus constant de réécriture."
Processus dans lequel Le Carré, producteur du film, semble avoir laissé une grande liberté. "Il a dit très tôt : ‘Si vous avez besoin de moi, si vous devez savoir quelque chose, appelez-moi. Mais je n’interférerai pas", explique Alfredson. Et Straughan de préciser : "Légalement, je ne pense pas que Le Carré devait nous donner son approbation sur le script. Mais, personnellement, on la souhaitait. On ne lui a jamais envoyé le script en tant que tel, mais on lui soumettait nos idées. En cela, il a été très utile." C’est grâce à ces échanges que les auteurs ont pu imaginer cette fête de Noël, véritable nœud du film. "Elle n’est pas dans le livre, mais on s’est inspiré d’une histoire vraie que nous a racontée Le Carré. On aimait cette idée de policiers débarquant chez des espions, parce qu’ils faisaient trop de bruit ! Et puis, c’est devenu un instrument narratif très utile pour montrer tous ces gens ensemble."
Si "La Taupe" surprend, en tant que film d’espionnage, c’est par son absence de suspense, se concentrant sur la tragédie de ces êtres condamnés à la suspicion. "J’ai toujours pensé que c’était d’abord une histoire de trahison. Le thriller d’espionnage ne m’intéresse pas. Tout cela n’est qu’un décor pour décrire des émotions humaines", explique Straughan. Dès lors, pour Alfredson, même s’il décrit une époque révolue, le film est forcément actuel. "Le cinéma et la télé d’aujourd’hui sont obsédés par demain. Ici, on parle d’hier, d’où nous venons, de cette guerre froide, elle-même issue de la Seconde Guerre mondiale. Cela nous raconte quelque chose de notre Histoire. Mais cela parle surtout de valeurs éternelles." Le tout dans un milieu très masculin. Quoique... "Si on regarde ces soldats de la guerre froide, par rapport à ceux de la guerre ‘chaude’, les exigences ne sont pas exactement celles d’un mâle alfa. C’est presque le contraire. C’est un monde très féminin", estime Alfredson.
"La Taupe" impressionne aussi par sa reconstitution des seventies. "On a essayé de rendre la paranoïa, de faire sentir l’odeur du tweed humide, explique le réalisateur. Avec le directeur photo, on a travaillé avec cette idée en tête. C’est une représentation du monde délibérément distordue pour créer un sentiment de paranoïa. Pour ce faire, on a, par exemple, utilisé ces longues focales qui compriment beaucoup l’image." De même, la représentation de la violence n’est jamais gratuite. "J’imagine une exécution comme quelque chose de miteux, d’ennuyeux, de gris. Dans ces scènes, j’ai cherché un sentiment de banalité, alors que la solution la plus évidente aurait été de créer une tension "
Mais la vraie trouvaille, c’est de confier à Gary Oldman le rôle de l’effacé Smiley. "Gary doit maintenir un visage impassible. C’est très utile, car il s’agit d’un espace à remplir par le spectateur, explique Tomas Alfredson. C’est ce qui déclenche chez le spectateur la participation, l’identification. Certains pensent même que c’est lui la taupe... Il y a même un passage dans le livre où Smiley rêve qu’il est lui-même la taupe. C’est le comble de la paranoïa ! Gary aimait, par exemple, beaucoup la scène où il regarde par la fenêtre durant la fête de Noël. Car c’est un des rares moments du film où il peut laisser paraître l’émotion, parce qu’il sait que personne ne le regarde...".
Aux côtés d’Oldman, on retrouve un incroyable casting de seconds rôles choisis avec soin. "Il fallait aider le public à naviguer à travers cet immense casting. J’ai l’habitude de me demander comment Hergé faisait son casting dans ‘Tintin’. C’est un génie, parce qu’on se souvient immédiatement de chaque personnage. Ici, chaque acteur a son petit moment. C’était difficile de trouver cet équilibre sans tomber dans le travers du "whodunit" (qui est le coupable ?)."
Hubert Heyrendt
L’adaptation, on la doit à Bridget O’Connor (décédée fin 2010) et à son mari Peter Straughan, déjà auteur des scripts des "Chèvres du Pentagone" et de "The Debt". "Au début, on était nerveux à l’idée de rester fidèles au livre, explique-t-il. Mais il est trop imposant; on n’aurait pas fait un très bon film. On a beaucoup travaillé sur diverses structures, différentes intros, des fins différentes Ça a été un processus constant de réécriture."
Processus dans lequel Le Carré, producteur du film, semble avoir laissé une grande liberté. "Il a dit très tôt : ‘Si vous avez besoin de moi, si vous devez savoir quelque chose, appelez-moi. Mais je n’interférerai pas", explique Alfredson. Et Straughan de préciser : "Légalement, je ne pense pas que Le Carré devait nous donner son approbation sur le script. Mais, personnellement, on la souhaitait. On ne lui a jamais envoyé le script en tant que tel, mais on lui soumettait nos idées. En cela, il a été très utile." C’est grâce à ces échanges que les auteurs ont pu imaginer cette fête de Noël, véritable nœud du film. "Elle n’est pas dans le livre, mais on s’est inspiré d’une histoire vraie que nous a racontée Le Carré. On aimait cette idée de policiers débarquant chez des espions, parce qu’ils faisaient trop de bruit ! Et puis, c’est devenu un instrument narratif très utile pour montrer tous ces gens ensemble."
Si "La Taupe" surprend, en tant que film d’espionnage, c’est par son absence de suspense, se concentrant sur la tragédie de ces êtres condamnés à la suspicion. "J’ai toujours pensé que c’était d’abord une histoire de trahison. Le thriller d’espionnage ne m’intéresse pas. Tout cela n’est qu’un décor pour décrire des émotions humaines", explique Straughan. Dès lors, pour Alfredson, même s’il décrit une époque révolue, le film est forcément actuel. "Le cinéma et la télé d’aujourd’hui sont obsédés par demain. Ici, on parle d’hier, d’où nous venons, de cette guerre froide, elle-même issue de la Seconde Guerre mondiale. Cela nous raconte quelque chose de notre Histoire. Mais cela parle surtout de valeurs éternelles." Le tout dans un milieu très masculin. Quoique... "Si on regarde ces soldats de la guerre froide, par rapport à ceux de la guerre ‘chaude’, les exigences ne sont pas exactement celles d’un mâle alfa. C’est presque le contraire. C’est un monde très féminin", estime Alfredson.
"La Taupe" impressionne aussi par sa reconstitution des seventies. "On a essayé de rendre la paranoïa, de faire sentir l’odeur du tweed humide, explique le réalisateur. Avec le directeur photo, on a travaillé avec cette idée en tête. C’est une représentation du monde délibérément distordue pour créer un sentiment de paranoïa. Pour ce faire, on a, par exemple, utilisé ces longues focales qui compriment beaucoup l’image." De même, la représentation de la violence n’est jamais gratuite. "J’imagine une exécution comme quelque chose de miteux, d’ennuyeux, de gris. Dans ces scènes, j’ai cherché un sentiment de banalité, alors que la solution la plus évidente aurait été de créer une tension "
Mais la vraie trouvaille, c’est de confier à Gary Oldman le rôle de l’effacé Smiley. "Gary doit maintenir un visage impassible. C’est très utile, car il s’agit d’un espace à remplir par le spectateur, explique Tomas Alfredson. C’est ce qui déclenche chez le spectateur la participation, l’identification. Certains pensent même que c’est lui la taupe... Il y a même un passage dans le livre où Smiley rêve qu’il est lui-même la taupe. C’est le comble de la paranoïa ! Gary aimait, par exemple, beaucoup la scène où il regarde par la fenêtre durant la fête de Noël. Car c’est un des rares moments du film où il peut laisser paraître l’émotion, parce qu’il sait que personne ne le regarde...".
Aux côtés d’Oldman, on retrouve un incroyable casting de seconds rôles choisis avec soin. "Il fallait aider le public à naviguer à travers cet immense casting. J’ai l’habitude de me demander comment Hergé faisait son casting dans ‘Tintin’. C’est un génie, parce qu’on se souvient immédiatement de chaque personnage. Ici, chaque acteur a son petit moment. C’était difficile de trouver cet équilibre sans tomber dans le travers du "whodunit" (qui est le coupable ?)."
Hubert Heyrendt