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Théo Angelopoulos : un jour et l’éternité
Publié le 26 janvier 2012 dans Cinéphiles
La Grèce perd son grand réalisateur, fauché par une moto en plein
tournage. Il avait remporté la Palme d’or en 98 avec “L’éternité et un
jour”.
La scène fait partie de la légende du festival de Cannes, comme les mains de Robert Mitchum en guise de soutien-gorge sur la poitrine nue d’une starlette ou la sortie houleuse de la projection de "La grande bouffe". Elle se passe en mai 1995 lors de la cérémonie de clôture. Le jury présidé par Jeanne Moreau égrène ses prix, la tension monte, il reste deux prix à attribuer. Le suspense est à son climax quand on annonce : Grand prix du jury, Theo Angelopoulos pour "Le regard 'Ulysse". Le réalisateur grec monte alors sur scène en tirant une tête aussi longue qu’un de ses fameux plans-séquences. Il ne dira pas un mot, furieux de voir la palme lui passer sous le nez (elle reviendra à Kusturica pour "Underground"). Cette récompense suprême, Théo Angelopoulos la désirait plus que tout. Il la décrochera d’ailleurs trois ans plus tard avec "L’éternité et un jour". Peut-être son plus beau film, et aujourd’hui, un titre de circonstance.
Un jour, mardi, en plein tournage de son nouveau film "L’Autre mer", consacré à la crise de la dette, le cinéaste a été violemment percuté par une moto. Souffrant de graves blessures au crâne et de multiples fractures, il est décédé avant même d’entrer en salle d’opération d’un hôpital du Pirée.
Théo Angelopoulos est donc entré dans l’éternité comme LE cinéaste grec, comme Bergman était le cinéaste suédois, Delvaux pendant 30 ans le cinéaste belge et von Trier le cinéaste danois; soit le symbole d’un pays, un réalisateur monumental dont les collègues peinaient à sortir de l’ombre.
L’œuvre comprenant une quinzaine de longs métrages en 40 ans, est construite pour durer tant elle s’emploie à regarder le présent à la lumière des mythes de l’antiquité, tant elle s’adresse plus à la réflexion qu’à l’émotion, tant elle développe un style indépendant des courants et des modes. Angelopoulos fait partie des auteurs identifiables sans risque de se tromper à sa façon de dilater le temps.
Né le 27 avril 1935 à Athènes, Theódoros Angelopoulos, amateur très jeune de culture française, viendra étudier le cinéma à Paris à l’Idhec, l’ancêtre de la Femis, au début des années 60. Rentré en Grèce, il deviendra critique de cinéma pendant quelque temps avant de passer derrière la caméra et donner naissance au "nouveau cinéma grec" des années 70, après la chute des colonels.
Il est remarqué dès 1975 avec son troisième long métrage, "Le Voyage des comédiens", une épopée de quatre heures traversant la guerre civile, l’occupation, la dictature, le fascisme, bref les heures sombres de l’histoire grecque contemporaine. "J’ai toujours voulu parler du XXe siècle, de mon siècle, nous disait le cinéaste de passage à Bruxelles avec Eleni Karaindrou, son merveilleux compositeur qui était à son cinéma ce que Rota était à Fellini ou Hermann à Hitchcock. "C’est le siècle de ma vie, de mon enfance, de mon adolescence, de mon travail, de mes amours, de mes voyages. C’est comme si je regardais ma vie mais sous un autre angle, car je ne mets pas ma vie en scène. Mais, j’ai essayé de voir ce que ce siècle nous avait donné. L’exil, je crois. L’exil est une constante dans mon travail car j’ai vécu tout petit avec beaucoup d’exilés grecs en provenance de l’Asie mineure. J’ai grandi avec leurs chansons, leurs histoires, car je ne vivais pas dans la maison, mais dans la rue. Selon les historiens, c’est le siècle qui a connu le plus de guerres, le plus de catastrophes. Mais, c’est aussi le siècle qui a fait naître le plus d’espoir pour l’amélioration du monde, avec les idées socialistes".
Grandes fresques politico-historiques et politiques comme "Le regard 'Ulysse", "L’éternité et un jour", "Eléni : La Terre qui pleure" ou explorations existentielles intimes comme "L’apiculteur" avec Mastroianni ou "Le Pas suspendu de la cigogne"; Angelopoulos a imposé un traitement très personnel, contemplatif qui va enchaîner les cinéphiles mais dont la lenteur va laisser le grand public de marbre. "Au début de ma carrière, je suis d’abord passé par Brecht avec "Le voyage des comédiens", par exemple. Mais ensuite, en me rapprochant de la tragédie d’Aristote, j’ai laissé davantage place à la poésie. Comme le disait Pasolini, je suis passé d’un cinéma de prose à un cinéma de poésie. C’est la différence entre Antonioni et Fellini, l’un c’est la prose et l’autre la poésie. Mais on ne choisit pas la poésie, elle s’impose a vous de façon inconsciente, secrète".
Sur l’écran, cette poésie va prendre la forme de ces fameux plans-séquences sophistiqués, carrément hypnotiques, empreint de théâtralité, la signature même d’Angelopoulos. "Il y a parfois une façon de cadrer avec des entrées et des sorties qui peut faire penser à une scène de théâtre, mais il n’y a pas de théâtralité dans mes films, je ne pense pas. On peut parfois avoir cette impression à cause des plans séquences qui, en l’absence de coupures, peuvent induire une certaine théâtralité. Mais, si mon plan séquence était découpé en 10 plans, vous ne parleriez pas de théâtralité. De toute façon, la notion de théâtralité n’est pas une notion négative, c’est une forme de distance par rapport à l’action. Quand on coupe, on accélère en supprimant les temps intermédiaires. Moi, je les laisse car ces coupures blessent le plan, la scène."
Fernand Denis
Un jour, mardi, en plein tournage de son nouveau film "L’Autre mer", consacré à la crise de la dette, le cinéaste a été violemment percuté par une moto. Souffrant de graves blessures au crâne et de multiples fractures, il est décédé avant même d’entrer en salle d’opération d’un hôpital du Pirée.
Théo Angelopoulos est donc entré dans l’éternité comme LE cinéaste grec, comme Bergman était le cinéaste suédois, Delvaux pendant 30 ans le cinéaste belge et von Trier le cinéaste danois; soit le symbole d’un pays, un réalisateur monumental dont les collègues peinaient à sortir de l’ombre.
L’œuvre comprenant une quinzaine de longs métrages en 40 ans, est construite pour durer tant elle s’emploie à regarder le présent à la lumière des mythes de l’antiquité, tant elle s’adresse plus à la réflexion qu’à l’émotion, tant elle développe un style indépendant des courants et des modes. Angelopoulos fait partie des auteurs identifiables sans risque de se tromper à sa façon de dilater le temps.
Né le 27 avril 1935 à Athènes, Theódoros Angelopoulos, amateur très jeune de culture française, viendra étudier le cinéma à Paris à l’Idhec, l’ancêtre de la Femis, au début des années 60. Rentré en Grèce, il deviendra critique de cinéma pendant quelque temps avant de passer derrière la caméra et donner naissance au "nouveau cinéma grec" des années 70, après la chute des colonels.
Il est remarqué dès 1975 avec son troisième long métrage, "Le Voyage des comédiens", une épopée de quatre heures traversant la guerre civile, l’occupation, la dictature, le fascisme, bref les heures sombres de l’histoire grecque contemporaine. "J’ai toujours voulu parler du XXe siècle, de mon siècle, nous disait le cinéaste de passage à Bruxelles avec Eleni Karaindrou, son merveilleux compositeur qui était à son cinéma ce que Rota était à Fellini ou Hermann à Hitchcock. "C’est le siècle de ma vie, de mon enfance, de mon adolescence, de mon travail, de mes amours, de mes voyages. C’est comme si je regardais ma vie mais sous un autre angle, car je ne mets pas ma vie en scène. Mais, j’ai essayé de voir ce que ce siècle nous avait donné. L’exil, je crois. L’exil est une constante dans mon travail car j’ai vécu tout petit avec beaucoup d’exilés grecs en provenance de l’Asie mineure. J’ai grandi avec leurs chansons, leurs histoires, car je ne vivais pas dans la maison, mais dans la rue. Selon les historiens, c’est le siècle qui a connu le plus de guerres, le plus de catastrophes. Mais, c’est aussi le siècle qui a fait naître le plus d’espoir pour l’amélioration du monde, avec les idées socialistes".
Grandes fresques politico-historiques et politiques comme "Le regard 'Ulysse", "L’éternité et un jour", "Eléni : La Terre qui pleure" ou explorations existentielles intimes comme "L’apiculteur" avec Mastroianni ou "Le Pas suspendu de la cigogne"; Angelopoulos a imposé un traitement très personnel, contemplatif qui va enchaîner les cinéphiles mais dont la lenteur va laisser le grand public de marbre. "Au début de ma carrière, je suis d’abord passé par Brecht avec "Le voyage des comédiens", par exemple. Mais ensuite, en me rapprochant de la tragédie d’Aristote, j’ai laissé davantage place à la poésie. Comme le disait Pasolini, je suis passé d’un cinéma de prose à un cinéma de poésie. C’est la différence entre Antonioni et Fellini, l’un c’est la prose et l’autre la poésie. Mais on ne choisit pas la poésie, elle s’impose a vous de façon inconsciente, secrète".
Sur l’écran, cette poésie va prendre la forme de ces fameux plans-séquences sophistiqués, carrément hypnotiques, empreint de théâtralité, la signature même d’Angelopoulos. "Il y a parfois une façon de cadrer avec des entrées et des sorties qui peut faire penser à une scène de théâtre, mais il n’y a pas de théâtralité dans mes films, je ne pense pas. On peut parfois avoir cette impression à cause des plans séquences qui, en l’absence de coupures, peuvent induire une certaine théâtralité. Mais, si mon plan séquence était découpé en 10 plans, vous ne parleriez pas de théâtralité. De toute façon, la notion de théâtralité n’est pas une notion négative, c’est une forme de distance par rapport à l’action. Quand on coupe, on accélère en supprimant les temps intermédiaires. Moi, je les laisse car ces coupures blessent le plan, la scène."
Fernand Denis