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Poelvoorde et Fontaine : interview
Publié le 9 novembre 2011 dans Actu ciné
Etre entre les mains d’Anne Fontaine n’est pas son “pire cauchemar”. Ben
parle de sa réalisatrice, du dernier punk à crête, de la vulgarité et
de son départ.
Troisième rendez-vous pour Anne Fontaine et Benoît Poelvoorde. On s’en souviendra, c’est l’élégante et décapante réalisatrice de “Nettoyage à sec” qui avait décelé et exploité le potentiel “dramatique” du Namurois en lui confiant le rôle d’un serial killer aux deux visages dans “Entre ses mains”. Puis, dans “Coco avant Chanel”, elle l’avait transformé en noceur passionné mais éconduit par sa protégée (Audrey Tautou). Dans “Mon pire cauchemar”, elle surprend en ramenant son acteur fétiche au point de départ, la comédie, mais face à une partenaire inattendue : Isabelle Huppert. L’occasion de rencontrer, au FIFF, cet acteur unique qui a toujours des choses à déclarer sur l’amitié comme sur la vulgarité, ou encore sur son départ annoncé l’an dernier.
Il y a un an, vous annonciez votre départ. On est ravi de voir que vous avez changé d’avis ?
Mais pas du tout, je maintiens. “Mon pire cauchemar”, je devais le tourner, c’était clair et je ne m’étais engagé que sur deux autres films. Le problème, on ne trouve pas d’argent. Je les ferai de toute façon, mais pour le moment je suis en attente.
Il y a “Le grand soir” avec Dupontel.
Ça, c’était prévu. Du moment que cela ne durait pas plus qu’un mois.
Il y a “Sévère” avec Laetitia Casta.
On a un mal de chien à trouver de l’argent et cela prend du temps pour le monter. Ce sont des films, des sujets difficiles à monter, personne n’en veut. “Le grand soir” s’est fait comme une blague. J’ai accepté car ce sont des amis, je n’aimême plus l’impression de faire du cinéma. Je joue le plus vieux punk à crête d’Europe.
Vous étiez punk à l’époque ?
Non. Mais cela a été très agréable à faire. Je m’appelle “Not” dans le film et j’étais totalement libre. Je n’avais qu’un seul costume, forcément, c’est un type qui vit dans les poubelles, un clochard avec son chien. Et j’ai tourné avec mon chien. D’habitude, on te demande toujours de faire gaffe à tes costumes, de ne pas t’asseoir ici, de retirer ta veste là-bas. Là, plus j’étais crado, mieux c’était. Et en plus, on ne tournait absolument pas ce qui était écrit. Benoît (Delépine) et Gus (Kervern) écrivent au fur et à mesure, on change tout le temps, ils improvisent. Ça me rappelait “C’est arrivé”, on tournait libre, à dix en très petite équipe, en caméra volée, je dirais. Avec des longues focales. En punk, les gens ne me reconnaissaient pas. Je mendiais dans les grandes surfaces et on me jetait comme on jette un punk. Je vivais dans la rue à Bordeaux. La première fois que je suis arrivé à l’hôtel, les gars sont arrivés pour me jeter. C’est spécial, on ne fait plus gaffe à rien, sauf à son chien. C’était amusant à faire, un de mes plus beaux tournages.
Avec “Entre ses mains”, Anne Fontaine imprimait un tournant à votre carrière.
Et ici, elle ferme la boucle. Son idée était de me faire sortir de la comédie car elle était persuadée que je pouvais jouer un personnage tragique. Dans “Coco avant Chanel”, je suis entre les deux, le personnage est tout de même porté sur la fête mais il a un côté tragique. Là, je ne suis que rigolard.
N’y-a-t-il pas quelque chose derrière ?
Je ne le vois pas. Je ne me pose pas ces questions-là avec Anne, je suis ce qu’elle me demande. Je fais beaucoup de choses par amitié. Cela ne paraît pas vraisemblable mais c’est vrai. Le film d’Hélène (Fillières), tout le monde me dit de ne pas le faire. Mon agent, ma femme, ceux qui l’ont lu. Moi, j’aime bien Hélène, c’est un premier film, je le ferai. Respecter ses engagements amicaux, c’est une bonne raison de faire du cinéma. C’est tellement rare dans ce métier d’avoir des amis. Je suis content de le faire, même si j’ai peur. Au début, j’aurais bien aimé que ce soit Anne. Mais faut quitter sa mère, faut couper le cordon. (rires). Mais comme on est pudique, on se garde un projet sous le coude, c’est une manière de rester en contact. Comme cela, on est sûr de se revoir. Dans ce métier c’est rare de revoir les gens. Il y a quelque chose de l’ordre du rapport amoureux dans le cinéma. C’est un bout de vie que tu partages avec quelqu’un. C’est comme si quelqu’un écrivait un chapitre dans ton livre. Il y a de l’affection et un sentiment de possession aussi. Dans un bouquin, Scorsese expliquait que lorsque De Niro tournait avec quelqu’un d’autre, il ne pouvait s’empêcher de se sentir trahi. Et je suis sûr que De Niro doit éprouver la même chose en voyant Scorsese tourner avec DiCaprio aujourd’hui. C’est un rapport humain basique. On est triste si son meilleur ami donne l’impression de mieux s’entendre avec quelqu’un d’autre. Et dans le cinéma, pour ne pas éprouver ce sentiment-là, les gens s’éloignent assez rapidement. C’est rare d’être proche. En même temps, Anne et moi, on ne se voit pas tous les jours. Mais on a du plaisir à rester en contact car on se dit qu’on a toujours quelque chose à faire ensemble. En cinéma, si tu n’as pas de raison, pourquoi se voir ?
Elle parle de vous comme d’un double.
On partage les mêmes névroses, dont on ne parle jamais et qu’on ne développe pas de la même façon. Peut-être que le fait d’accepter les névroses de l’autre est une manière de mieux vivre et de mieux travailler ensemble. C’est peut-être pour cela qu’on est assez fusionnel.
Elle est peut-être fascinée par votre forme de protection : l’humour.
Je ne me pose jamais ces questions-là. Si je m’analyse, je n’ose plus rien faire. Si je fais un geste au cinéma et que le metteur en scène vient me dire “C’est bien quand tu fais cela”. Je ne sais plus le refaire. Si on me dit ce qui est bien, c’est fini, je me regarde jouer. C’est mort. C’est comme votre veste Fernand, elle vous fait une belle carrure. Hé bien demain, vous ne serez plus bien dedans car vous allez regarder tout le monde en train de regarder votre veste. Et comme personne n’y fera attention, vous allez vous demander quoi, et la porter au pressing. Mieux vaut ne jamais dire, pourquoi, on aime quelqu’un. C’est mon avis.
“Mon pire cauchemar” parle-t-il de la vulgarité?
La vulgarité, c’est le mépris de l’autre. Ce n’est pas tenir compte de l’existence de l’autre.
La différence avec la grossièreté ?
La grossièreté, c’est être trivial. C’est dire, “je vais chier”. Si on le dit devant des gens délicats, c’est de la vulgarité, parce que vous les méprisez. Mais j’ai plein de potes qui rient quand je dis “je préfère encore aller chier que d’entendre cela”. C’est de la grossièreté. Je ne dirais pas “Je vais chier” devant Isabelle Huppert mais avec Gérard Depardieu, on n’arrêtait pas de faire des blagues dans le style, ça le fait rigoler. On peut rire de tout
mais pas avec n’importe qui, comme on dit. La vulgarité, c’est aussi une manière de se tenir, de s’asseoir; de parler fort. Je pense que parfois, je suis vulgaire parce que je parle fort.
Patrick, votre personnage est-il vulgaire ou grossier ?
Il est grossier mais il est cash, il dit ce qu’il pense comme un enfant. Il le dit de manière triviale. Il n’est vulgaire que lorsqu’il est bourré. Il est vrai l’alcool n’apporte ni la finesse, ni la délicatesse, ni la bienséance.
“Mon pire cauchemar” est-il le télescopage de la grossièreté et du snobisme ?
Plutôt de l’instinct et du cérébral. Ce qui fait du bien à Isabelle Huppert dans le film, c’est qu’elle rencontre un instinctif. Ce qui fait du bien à Patrick, c’est de se rendre compte que le cérébral lui permet de ne pas se trouver si con. En fait, il n’a pas un grand amour de lui-même. Il a un amour de son fils car c’est sa pépite. Mais un type qui boit comme cela, c’est qu’il a déjà fait une croix sur lui, qu’il a un mépris de lui-même. Le cérébral sait analyser les choses et lui apprendre ce qu’il a de beau. Patrick agit comme un enfant, il n’aime pas la répétition. Ma femme était un peu déprimée ce matin et je lui disais, c’est la répétition qui te déprime, cette situation, on l’a vécue mille fois ? “L’adulte se nourrit de répétitions et de frustrations”, c’est pas moi qui le dis, c’est Edward Bunker. Il disait aussi “On voudrait que la vie soit un film de cinéma, tout le temps différente”. Mais nous les adultes, nous acceptons la répétition. Chez Patrick, il n’y a pas de répétition car il est dans la survie, il est dans l’action, en mouvement. Celui qui s’arrête, va mendier. Lui, il passe d’une loge de concierge, à une chambre de bonne et puis au garage de son frère. Il est dans une bataille permanente, il est à l’aise partout car il n’a pas le temps de se chipoter la tête.
Il a un sens de l’humour aussi.
C’est obligé, je crois, d’avoir une certaine forme de distance, d’ironie.
Fernand Denis
Il y a un an, vous annonciez votre départ. On est ravi de voir que vous avez changé d’avis ?
Mais pas du tout, je maintiens. “Mon pire cauchemar”, je devais le tourner, c’était clair et je ne m’étais engagé que sur deux autres films. Le problème, on ne trouve pas d’argent. Je les ferai de toute façon, mais pour le moment je suis en attente.
Il y a “Le grand soir” avec Dupontel.
Ça, c’était prévu. Du moment que cela ne durait pas plus qu’un mois.
Il y a “Sévère” avec Laetitia Casta.
On a un mal de chien à trouver de l’argent et cela prend du temps pour le monter. Ce sont des films, des sujets difficiles à monter, personne n’en veut. “Le grand soir” s’est fait comme une blague. J’ai accepté car ce sont des amis, je n’aimême plus l’impression de faire du cinéma. Je joue le plus vieux punk à crête d’Europe.
Vous étiez punk à l’époque ?
Non. Mais cela a été très agréable à faire. Je m’appelle “Not” dans le film et j’étais totalement libre. Je n’avais qu’un seul costume, forcément, c’est un type qui vit dans les poubelles, un clochard avec son chien. Et j’ai tourné avec mon chien. D’habitude, on te demande toujours de faire gaffe à tes costumes, de ne pas t’asseoir ici, de retirer ta veste là-bas. Là, plus j’étais crado, mieux c’était. Et en plus, on ne tournait absolument pas ce qui était écrit. Benoît (Delépine) et Gus (Kervern) écrivent au fur et à mesure, on change tout le temps, ils improvisent. Ça me rappelait “C’est arrivé”, on tournait libre, à dix en très petite équipe, en caméra volée, je dirais. Avec des longues focales. En punk, les gens ne me reconnaissaient pas. Je mendiais dans les grandes surfaces et on me jetait comme on jette un punk. Je vivais dans la rue à Bordeaux. La première fois que je suis arrivé à l’hôtel, les gars sont arrivés pour me jeter. C’est spécial, on ne fait plus gaffe à rien, sauf à son chien. C’était amusant à faire, un de mes plus beaux tournages.
Avec “Entre ses mains”, Anne Fontaine imprimait un tournant à votre carrière.
Et ici, elle ferme la boucle. Son idée était de me faire sortir de la comédie car elle était persuadée que je pouvais jouer un personnage tragique. Dans “Coco avant Chanel”, je suis entre les deux, le personnage est tout de même porté sur la fête mais il a un côté tragique. Là, je ne suis que rigolard.
N’y-a-t-il pas quelque chose derrière ?
Je ne le vois pas. Je ne me pose pas ces questions-là avec Anne, je suis ce qu’elle me demande. Je fais beaucoup de choses par amitié. Cela ne paraît pas vraisemblable mais c’est vrai. Le film d’Hélène (Fillières), tout le monde me dit de ne pas le faire. Mon agent, ma femme, ceux qui l’ont lu. Moi, j’aime bien Hélène, c’est un premier film, je le ferai. Respecter ses engagements amicaux, c’est une bonne raison de faire du cinéma. C’est tellement rare dans ce métier d’avoir des amis. Je suis content de le faire, même si j’ai peur. Au début, j’aurais bien aimé que ce soit Anne. Mais faut quitter sa mère, faut couper le cordon. (rires). Mais comme on est pudique, on se garde un projet sous le coude, c’est une manière de rester en contact. Comme cela, on est sûr de se revoir. Dans ce métier c’est rare de revoir les gens. Il y a quelque chose de l’ordre du rapport amoureux dans le cinéma. C’est un bout de vie que tu partages avec quelqu’un. C’est comme si quelqu’un écrivait un chapitre dans ton livre. Il y a de l’affection et un sentiment de possession aussi. Dans un bouquin, Scorsese expliquait que lorsque De Niro tournait avec quelqu’un d’autre, il ne pouvait s’empêcher de se sentir trahi. Et je suis sûr que De Niro doit éprouver la même chose en voyant Scorsese tourner avec DiCaprio aujourd’hui. C’est un rapport humain basique. On est triste si son meilleur ami donne l’impression de mieux s’entendre avec quelqu’un d’autre. Et dans le cinéma, pour ne pas éprouver ce sentiment-là, les gens s’éloignent assez rapidement. C’est rare d’être proche. En même temps, Anne et moi, on ne se voit pas tous les jours. Mais on a du plaisir à rester en contact car on se dit qu’on a toujours quelque chose à faire ensemble. En cinéma, si tu n’as pas de raison, pourquoi se voir ?
Elle parle de vous comme d’un double.
On partage les mêmes névroses, dont on ne parle jamais et qu’on ne développe pas de la même façon. Peut-être que le fait d’accepter les névroses de l’autre est une manière de mieux vivre et de mieux travailler ensemble. C’est peut-être pour cela qu’on est assez fusionnel.
Elle est peut-être fascinée par votre forme de protection : l’humour.
Je ne me pose jamais ces questions-là. Si je m’analyse, je n’ose plus rien faire. Si je fais un geste au cinéma et que le metteur en scène vient me dire “C’est bien quand tu fais cela”. Je ne sais plus le refaire. Si on me dit ce qui est bien, c’est fini, je me regarde jouer. C’est mort. C’est comme votre veste Fernand, elle vous fait une belle carrure. Hé bien demain, vous ne serez plus bien dedans car vous allez regarder tout le monde en train de regarder votre veste. Et comme personne n’y fera attention, vous allez vous demander quoi, et la porter au pressing. Mieux vaut ne jamais dire, pourquoi, on aime quelqu’un. C’est mon avis.
“Mon pire cauchemar” parle-t-il de la vulgarité?
La vulgarité, c’est le mépris de l’autre. Ce n’est pas tenir compte de l’existence de l’autre.
La différence avec la grossièreté ?
La grossièreté, c’est être trivial. C’est dire, “je vais chier”. Si on le dit devant des gens délicats, c’est de la vulgarité, parce que vous les méprisez. Mais j’ai plein de potes qui rient quand je dis “je préfère encore aller chier que d’entendre cela”. C’est de la grossièreté. Je ne dirais pas “Je vais chier” devant Isabelle Huppert mais avec Gérard Depardieu, on n’arrêtait pas de faire des blagues dans le style, ça le fait rigoler. On peut rire de tout
mais pas avec n’importe qui, comme on dit. La vulgarité, c’est aussi une manière de se tenir, de s’asseoir; de parler fort. Je pense que parfois, je suis vulgaire parce que je parle fort.
Patrick, votre personnage est-il vulgaire ou grossier ?
Il est grossier mais il est cash, il dit ce qu’il pense comme un enfant. Il le dit de manière triviale. Il n’est vulgaire que lorsqu’il est bourré. Il est vrai l’alcool n’apporte ni la finesse, ni la délicatesse, ni la bienséance.
“Mon pire cauchemar” est-il le télescopage de la grossièreté et du snobisme ?
Plutôt de l’instinct et du cérébral. Ce qui fait du bien à Isabelle Huppert dans le film, c’est qu’elle rencontre un instinctif. Ce qui fait du bien à Patrick, c’est de se rendre compte que le cérébral lui permet de ne pas se trouver si con. En fait, il n’a pas un grand amour de lui-même. Il a un amour de son fils car c’est sa pépite. Mais un type qui boit comme cela, c’est qu’il a déjà fait une croix sur lui, qu’il a un mépris de lui-même. Le cérébral sait analyser les choses et lui apprendre ce qu’il a de beau. Patrick agit comme un enfant, il n’aime pas la répétition. Ma femme était un peu déprimée ce matin et je lui disais, c’est la répétition qui te déprime, cette situation, on l’a vécue mille fois ? “L’adulte se nourrit de répétitions et de frustrations”, c’est pas moi qui le dis, c’est Edward Bunker. Il disait aussi “On voudrait que la vie soit un film de cinéma, tout le temps différente”. Mais nous les adultes, nous acceptons la répétition. Chez Patrick, il n’y a pas de répétition car il est dans la survie, il est dans l’action, en mouvement. Celui qui s’arrête, va mendier. Lui, il passe d’une loge de concierge, à une chambre de bonne et puis au garage de son frère. Il est dans une bataille permanente, il est à l’aise partout car il n’a pas le temps de se chipoter la tête.
Il a un sens de l’humour aussi.
C’est obligé, je crois, d’avoir une certaine forme de distance, d’ironie.
Fernand Denis