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Pierre Etaix à Namur: interview
Publié le 6 octobre 2011 dans Cinéphiles
Héritier de Keaton et de Tati ; l'auteur du "Soupirant" et de "Yoyo" en visite au FIFF. Rencontre avec un merveilleux maître du gag.
La scène se passe dans le "Grand amour" réalisé par Pierre Etaix en 1969. Le cinéaste y joue un chef d’entreprise à la vie ronronnante, brutalement émoustillé par l’irruption d’une nouvelle secrétaire (Nicole Calfan dans son tout premier rôle). "Ah si j’avais dix ans de moins", se dit-il. On frappe à sa porte, et entre la secrétaire avec des nattes, des socquettes et dix ans de moins. L’auteur de ce gag délicieux était à Namur, mardi soir, à l’invitation du 26e FIFF mais aussi des "Classiques du mardi" de la Maison de la Culture. Deux mardis par mois, à 12h et 20h, on y projette un classique du 7e art. Cette fois, c’était "Le soupirant" en présence de son auteur. Soit un monsieur de 83 ans qui n’a pas l’air vieux du tout, tant son œil pétille, ses projets se bousculent, comme boosté par l’issue heureuse d’un interminable procès qui a rendu ses films aux écrans; de cinéma (à Flagey, notamment), de télé grâce au DVD. "Le soupirant", "Yoyo", "Le Grand amour", "Heureux Anniversaire" (Oscar 63) connaissent depuis peu, une deuxième vie...
En redécouvrant vos films, on savoure votre science du gag.
Qui n’a pas dit "Si j’avais 10 ans de moins", sans penser que tout le reste aurait aussi dix ans de moins. Il faut toujours partir d’une réalité. Si on ne s’inspire pas de ce qu’on a vu, vécu, on ne peut pas aller très loin. A partir d’une observation, d’une réalité, on peut emmener le spectateur dans un univers totalement fantastique. Tati disait : "Je veux donner aux spectateurs la possibilité d’être attentif". Des choses me frappent et puis ça revient comme un souvenir.
La ressortie de vos films a suscité beaucoup d’enthousiasme, notamment auprès des jeunes qui ne vous connaissaient pas, ni cette forme de cinéma.
Le slapstick est une forme de cinéma très simple qui ne repose pas sur des références, des mots d’esprit mais sur des éléments basiques. Tout le monde peut entrer dans cet univers, à tous les âges. Moi aussi, je suis frappé de voir, 40 ans plus tard, plein de jeunes, qui rient, s’intéressent à ces films. Toutefois, aujourd’hui, on ne peut plus faire des films comme ceux-là car nous vivons dans un monde de dérision. Et on ne peut être la dérision de la dérision.
On n’a jamais tourné autant de comédies.
Des comédies, oui ; des films comiques, non. Ce que j’appelle un film comique, c’est un film qui passe les frontières, basé sur l’invention du gag, sur la mécanique du slapstick pratiquée par les masters clowns du début du siècle. Keaton, Chaplin ont fait des choses impérissables qui subsistent sur tous les continents. Leurs œuvres sont intactes. Ceux qui ont pratiqué cet art venaient tous du même vivier, le music-hall. Quand le cinéma est arrivé, ils ont eu un nouveau mode d’expression. Le monde leur appartenait. Ils ne devaient plus travailler seulement sur une scène.
L’utopie d’un langage universel ?
Pas une utopie, une réalité. Ces films fonctionnent toujours aujourd’hui avec des sujets qui n’ont pas d’âge. Les choses les plus simples, celles qui s’adressent au cœur des individus et non pas à leur intelligence, à leur culture. Et, chose primordiale, il ne doit pas y avoir de volonté d’être original. Lorsqu’on montre Keaton ou Chaplin aux enfants, ça marche toujours. J’y crois toujours.
Vous préparez un nouveau film avec Jean-Claude Carrière ?
On travaille ensemble sur un film comique. Mon imbroglio juridique m’a inspiré. J’ai envie que mes difficultés deviennent comiques.
Vous jouez aussi dans “Le Havre” de Kaurismaki, très applaudi à Cannes.
Il avait vu mes films et il tenait absolument à ce que je tourne dans le sien. "Le Havre" est un miracle. Quand j’ai reçu son scénario, je me suis dit "ce type est fou. Comment peut-on vouloir raconter aujourd’hui une histoire aussi candide ?". Et ça fonctionne. Pourquoi ? Parce qu’il y croit. Voila un homme qui ne cherche pas à paraître. Je l’ai regardé travailler, il m’a ébloui par sa simplicité. C’est du bonheur qui entre dans le cinéma. C’est merveilleux.
Est-ce merveilleux de passer sa vie à faire rire ?
J’ai essayé, je me suis tapé beaucoup de bides aussi. Ce n’est pas une volonté, c’est une nécessité, c’est l’échange. Un artiste, ce n’est pas quelqu’un qui s’enferme dans une tour d’ivoire. Une bonne idée, c’est comme une bonne nouvelle, on a envie de la communiquer. Parfois, le public réagit, parfois il ne réagit pas, c’est que j’ai raté mon coup. Mes longues années de music-hall furent primordiales pour ma carrière au cinéma. Je n’aurais jamais fait de films si je n’avais pas fait du music-hall. Mais mon moteur, c’est le partage.
Fernand Denis
En redécouvrant vos films, on savoure votre science du gag.
Qui n’a pas dit "Si j’avais 10 ans de moins", sans penser que tout le reste aurait aussi dix ans de moins. Il faut toujours partir d’une réalité. Si on ne s’inspire pas de ce qu’on a vu, vécu, on ne peut pas aller très loin. A partir d’une observation, d’une réalité, on peut emmener le spectateur dans un univers totalement fantastique. Tati disait : "Je veux donner aux spectateurs la possibilité d’être attentif". Des choses me frappent et puis ça revient comme un souvenir.
La ressortie de vos films a suscité beaucoup d’enthousiasme, notamment auprès des jeunes qui ne vous connaissaient pas, ni cette forme de cinéma.
Le slapstick est une forme de cinéma très simple qui ne repose pas sur des références, des mots d’esprit mais sur des éléments basiques. Tout le monde peut entrer dans cet univers, à tous les âges. Moi aussi, je suis frappé de voir, 40 ans plus tard, plein de jeunes, qui rient, s’intéressent à ces films. Toutefois, aujourd’hui, on ne peut plus faire des films comme ceux-là car nous vivons dans un monde de dérision. Et on ne peut être la dérision de la dérision.
On n’a jamais tourné autant de comédies.
Des comédies, oui ; des films comiques, non. Ce que j’appelle un film comique, c’est un film qui passe les frontières, basé sur l’invention du gag, sur la mécanique du slapstick pratiquée par les masters clowns du début du siècle. Keaton, Chaplin ont fait des choses impérissables qui subsistent sur tous les continents. Leurs œuvres sont intactes. Ceux qui ont pratiqué cet art venaient tous du même vivier, le music-hall. Quand le cinéma est arrivé, ils ont eu un nouveau mode d’expression. Le monde leur appartenait. Ils ne devaient plus travailler seulement sur une scène.
L’utopie d’un langage universel ?
Pas une utopie, une réalité. Ces films fonctionnent toujours aujourd’hui avec des sujets qui n’ont pas d’âge. Les choses les plus simples, celles qui s’adressent au cœur des individus et non pas à leur intelligence, à leur culture. Et, chose primordiale, il ne doit pas y avoir de volonté d’être original. Lorsqu’on montre Keaton ou Chaplin aux enfants, ça marche toujours. J’y crois toujours.
Vous préparez un nouveau film avec Jean-Claude Carrière ?
On travaille ensemble sur un film comique. Mon imbroglio juridique m’a inspiré. J’ai envie que mes difficultés deviennent comiques.
Vous jouez aussi dans “Le Havre” de Kaurismaki, très applaudi à Cannes.
Il avait vu mes films et il tenait absolument à ce que je tourne dans le sien. "Le Havre" est un miracle. Quand j’ai reçu son scénario, je me suis dit "ce type est fou. Comment peut-on vouloir raconter aujourd’hui une histoire aussi candide ?". Et ça fonctionne. Pourquoi ? Parce qu’il y croit. Voila un homme qui ne cherche pas à paraître. Je l’ai regardé travailler, il m’a ébloui par sa simplicité. C’est du bonheur qui entre dans le cinéma. C’est merveilleux.
Est-ce merveilleux de passer sa vie à faire rire ?
J’ai essayé, je me suis tapé beaucoup de bides aussi. Ce n’est pas une volonté, c’est une nécessité, c’est l’échange. Un artiste, ce n’est pas quelqu’un qui s’enferme dans une tour d’ivoire. Une bonne idée, c’est comme une bonne nouvelle, on a envie de la communiquer. Parfois, le public réagit, parfois il ne réagit pas, c’est que j’ai raté mon coup. Mes longues années de music-hall furent primordiales pour ma carrière au cinéma. Je n’aurais jamais fait de films si je n’avais pas fait du music-hall. Mais mon moteur, c’est le partage.
Fernand Denis