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Venise intronise Sokourov
Publié le 13 septembre 2011 dans Festivals
Darren Aronofksy récompense le cinéaste russe Alexandre Sokourov, dont
le “Faust” a impressionné une Mostra enthousiasmante.
La 68e Mostra del cinema s’est clôturée, samedi soir, par l’avant-première de "Damsels in Distress" qui marque le retour au cinéma de l’Américain Whit Stillman 13 ans après "The Last Days of the Disco". Une farce étudiante que l’on s’étonne de voir en clôture d’un grand festival comme celui de Venise. Il s’agit, ceci dit, de l’une des seules fautes de goût de la sélection officielle concoctée par Marco Mueller, dont on ne sait pas encore s’il rempilera l’année prochaine pour un 3e mandat à la tête de la Mostra
Pour le plus grand plaisir du public vénitien et des photographes, le tapis rouge du Palazzo del Cinema a, cette année, été foulé par de très nombreuses stars : George Clooney, Al Pacino, Madonna, Keira Knightley, Gary Oldman, Colin Firth, Willem Dafoe, Kate Winslet, Monica Bellucci et bien d’autres. Sans que, pour autant, la Mostra n’abdique son rôle de promotion du cinéma d’auteur au sens large. Hors compétition, elle a ainsi dévoilé les dernières productions de la Belge Chantal Akerman, de l’Italien Ermanno Olmi ou encore de l’Américain Todd Haynes. Dont la minisérie pour HBO "Mildred Pierce" est certainement l’une des plus belles choses que l’on ait pu voir à Venise !
Même si certains des 23 titres de la Compétition officielle étaient quelques coudées en dessous, comme "Quando la notte" de Cristina Comencini, "Un été brûlant" de Philippe Garrel ou "Rainbow Warriors" de Wei Te-sheng, le niveau général fut excellent. De quoi rendre plus difficile encore le travail du jury présidé par l’Américain Darren Aronofsky. Lequel a néanmoins pointé l’ensemble des films les plus marquants. Sauf un "A Dangerous Method" de David Cronenberg. De façon assez incompréhensible, le Canadien repart, en effet, bredouille de Venise, alors qu’il livre ici l’un de ses films les plus aboutis sur l’affrontement entre Freud et Jung. Son œuvre la plus classique aussi, même si, thématiquement, elle apparaît évidente dans sa filmographie...
"A Dangerous Method" aurait pu faire un beau Lion d’or, exigeant mais accessible. Aronofsky - lui-même Lion d’or en 2008 avec "The Wrestler" - lui a préféré la proposition la plus radicale de cette Mostra, le Faust d’Alexandre Sokourov. Si le Russe est, à 60 ans, un vétéran du cinéma, déjà honoré par un Léopard d’or à Locarno en 2006, il s’agissait jusqu’ici essentiellement d’un cinéaste de festivals. Présentés régulièrement à Berlin et surtout à Cannes (où son "Moloch" avait décroché le Prix du meilleur scénario en 1999), ses films se sont, en effet, rarement frayé un chemin jusque dans les salles belges. Pour sa première participation à Venise, il décroche donc la timbale. Et ce Lion d’or va permettre à nombre de cinéphiles de s’initier à son cinéma pour le moins austère.
Adapatant une pièce de Goethe, Sokourov poursuit avec "Faust" sa réflexion sur le pouvoir, déjà au cœur de sa trilogie "Moloch"-"Taurus"-"Le Soleil" consacrée à Hitler, Lénine et Hiro-Hito. En signant un pacte avec Méphistophélès, le Dr Faust, à la recherche du plaisir et de l’amour, acquiert lui aussi le pouvoir. Errant au cœur d’une Allemagne métaphorique, dans une atmosphère oppressante, Faust et le malin apparaissent tous deux aussi repoussants. D’une noirceur d’encre, ce "Faust" dépeint, en effet, le pire de l’homme, réduit aux compromissions et à l’avidité. Après des œuvres fortes comme "Mère et fils" ou "Alexandra", Sokourov poursuit sa méditation désanchantée sur la nature humaine avec un film objectivement brillant par sa mise en scène impressionnante et son esthétique très personnelle. Mais un film difficile, aride, qui aura du mal à séduire le grand public.
Ce Lion d’or résume à lui seul les deux grandes tendances qui ont parcouru cette 68e Mostra del cinema. La corruption du pouvoir était ainsi présente dès le film d’ouverture, l’agréable "Les Ides de mars" de George Clooney, mais aussi dans "La taupe" du Suédois Tomas Alfredson d’après John Le Carré. Tandis que règne sur "Faust" une atmophère de fin du monde qui contaminait "4:40. Last Day on Earth" d’Abel Ferrara, "Contagion" de Steven Soderbergh, "L’ultimo terreste" de l’Italien Gian Alfonso Pacinotti ou encore le très beau "Himizu" du Japonais Sono Sion. Après le choc de "Melancholia" de Lars Von Trier, autant de nouvelles preuves d’un cinéma inquiet face à l’avenir
En décernant son Prix spécial à Terraferma, le jury a voulu également récompenser une œuvre plus directement engagée dans la description du monde d’aujourd’hui. Après "Respiro" et "Golden Door", Emanuele Crialese s’intéresse, en effet ici, aux vagues d’immigrés qui débarquent sur les côtes européennes. Assumant les bons sentiments et radicalement optimisme, l’Italien livre un conte profondément humaniste, appelant à voir à nouveau l’être humain derrière le clandestin, à envisager la détresse qui se cache derrière des chiffres anonymes
Plus épatant d’un point de vue cinématographique, le film surprise People Mountain People Sea fut l’une des propositions les plus marquantes de la quinzaine. Détournant le thème classique de la vengeance, Cai Shangjun impressionne dans sa description de la Chine contemporaine. Laquelle a visiblement séduit Aronofsky qui a décerné un Lion d’argent de la meilleure mise en scène au cinéaste chinois qui s’impose sur la scène internationale dès son second long métrage.
Tout comme l’artiste contemporain Steve McQueen, dont le second film, Shame, l’une des claques de la Mostra, était pronostiqué par beaucoup comme un potentiel Lion d’or. Après "Hunger", sur la grève de la faim du militant républicain irlandais Bobby Sands, l’Anglais s’installe définitivement dans la cour des grands avec un film remarquable, à la mise en scène magistrale. Et qui offre à nouveau à Michael Fassbender l’occasion de démontrer son incroyable talent dans le rôle d’un homme incapable de s’engager dans la moindre relation émotionnelle, obsédé pathologiquement par le sexe. Tout aussi remarquable en Carl Jung dans "A Dangerous Method", l’acteur britannique semblait incontournable. Sa Coupe Volpi du meilleur acteur est donc indiscutable. Du côté de la meilleure actrice, le choix était plus restreint, peu de films en compétition ayant été marqués par des rôles féminins forts. Le jury a choisi de récompenser la prestation de la Chinoise Deanie Yip dans le très beau A Simple Life de la Chinoise Ann Hui.
Enfin, avec son adaptation très personnelle et pertinente des Hauts de Hurlevent d’Emily Brontë, l’Anglaise Andrea Arnold ("Red Road", "Fish Tank") aurait pu figurer mieux placée au palmarès; son film n’hérite que d’une Osella de la meilleure contribution artistique pour la superbe photographie de Robbie Ryan.
Au-delà de son palmarès, cette 68e Mostra a démontré, après un Festival de Cannes déjà de haute volée, la grande forme du cinéma mondial. S’ils quittent le Lido les mains vides, on se réjouit, en effet, aussi de retrouver en salles dans les semaines et les mois à venir "Killer Joe" de William Friedkin, "The Exchange" d’Eran Kolirin, "Carnage" de Roman Polanski ou encore "Poulet aux prunes" de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud.
Hubert Heyrendt
Pour le plus grand plaisir du public vénitien et des photographes, le tapis rouge du Palazzo del Cinema a, cette année, été foulé par de très nombreuses stars : George Clooney, Al Pacino, Madonna, Keira Knightley, Gary Oldman, Colin Firth, Willem Dafoe, Kate Winslet, Monica Bellucci et bien d’autres. Sans que, pour autant, la Mostra n’abdique son rôle de promotion du cinéma d’auteur au sens large. Hors compétition, elle a ainsi dévoilé les dernières productions de la Belge Chantal Akerman, de l’Italien Ermanno Olmi ou encore de l’Américain Todd Haynes. Dont la minisérie pour HBO "Mildred Pierce" est certainement l’une des plus belles choses que l’on ait pu voir à Venise !
Même si certains des 23 titres de la Compétition officielle étaient quelques coudées en dessous, comme "Quando la notte" de Cristina Comencini, "Un été brûlant" de Philippe Garrel ou "Rainbow Warriors" de Wei Te-sheng, le niveau général fut excellent. De quoi rendre plus difficile encore le travail du jury présidé par l’Américain Darren Aronofsky. Lequel a néanmoins pointé l’ensemble des films les plus marquants. Sauf un "A Dangerous Method" de David Cronenberg. De façon assez incompréhensible, le Canadien repart, en effet, bredouille de Venise, alors qu’il livre ici l’un de ses films les plus aboutis sur l’affrontement entre Freud et Jung. Son œuvre la plus classique aussi, même si, thématiquement, elle apparaît évidente dans sa filmographie...
"A Dangerous Method" aurait pu faire un beau Lion d’or, exigeant mais accessible. Aronofsky - lui-même Lion d’or en 2008 avec "The Wrestler" - lui a préféré la proposition la plus radicale de cette Mostra, le Faust d’Alexandre Sokourov. Si le Russe est, à 60 ans, un vétéran du cinéma, déjà honoré par un Léopard d’or à Locarno en 2006, il s’agissait jusqu’ici essentiellement d’un cinéaste de festivals. Présentés régulièrement à Berlin et surtout à Cannes (où son "Moloch" avait décroché le Prix du meilleur scénario en 1999), ses films se sont, en effet, rarement frayé un chemin jusque dans les salles belges. Pour sa première participation à Venise, il décroche donc la timbale. Et ce Lion d’or va permettre à nombre de cinéphiles de s’initier à son cinéma pour le moins austère.
Adapatant une pièce de Goethe, Sokourov poursuit avec "Faust" sa réflexion sur le pouvoir, déjà au cœur de sa trilogie "Moloch"-"Taurus"-"Le Soleil" consacrée à Hitler, Lénine et Hiro-Hito. En signant un pacte avec Méphistophélès, le Dr Faust, à la recherche du plaisir et de l’amour, acquiert lui aussi le pouvoir. Errant au cœur d’une Allemagne métaphorique, dans une atmosphère oppressante, Faust et le malin apparaissent tous deux aussi repoussants. D’une noirceur d’encre, ce "Faust" dépeint, en effet, le pire de l’homme, réduit aux compromissions et à l’avidité. Après des œuvres fortes comme "Mère et fils" ou "Alexandra", Sokourov poursuit sa méditation désanchantée sur la nature humaine avec un film objectivement brillant par sa mise en scène impressionnante et son esthétique très personnelle. Mais un film difficile, aride, qui aura du mal à séduire le grand public.
Ce Lion d’or résume à lui seul les deux grandes tendances qui ont parcouru cette 68e Mostra del cinema. La corruption du pouvoir était ainsi présente dès le film d’ouverture, l’agréable "Les Ides de mars" de George Clooney, mais aussi dans "La taupe" du Suédois Tomas Alfredson d’après John Le Carré. Tandis que règne sur "Faust" une atmophère de fin du monde qui contaminait "4:40. Last Day on Earth" d’Abel Ferrara, "Contagion" de Steven Soderbergh, "L’ultimo terreste" de l’Italien Gian Alfonso Pacinotti ou encore le très beau "Himizu" du Japonais Sono Sion. Après le choc de "Melancholia" de Lars Von Trier, autant de nouvelles preuves d’un cinéma inquiet face à l’avenir
En décernant son Prix spécial à Terraferma, le jury a voulu également récompenser une œuvre plus directement engagée dans la description du monde d’aujourd’hui. Après "Respiro" et "Golden Door", Emanuele Crialese s’intéresse, en effet ici, aux vagues d’immigrés qui débarquent sur les côtes européennes. Assumant les bons sentiments et radicalement optimisme, l’Italien livre un conte profondément humaniste, appelant à voir à nouveau l’être humain derrière le clandestin, à envisager la détresse qui se cache derrière des chiffres anonymes
Plus épatant d’un point de vue cinématographique, le film surprise People Mountain People Sea fut l’une des propositions les plus marquantes de la quinzaine. Détournant le thème classique de la vengeance, Cai Shangjun impressionne dans sa description de la Chine contemporaine. Laquelle a visiblement séduit Aronofsky qui a décerné un Lion d’argent de la meilleure mise en scène au cinéaste chinois qui s’impose sur la scène internationale dès son second long métrage.
Tout comme l’artiste contemporain Steve McQueen, dont le second film, Shame, l’une des claques de la Mostra, était pronostiqué par beaucoup comme un potentiel Lion d’or. Après "Hunger", sur la grève de la faim du militant républicain irlandais Bobby Sands, l’Anglais s’installe définitivement dans la cour des grands avec un film remarquable, à la mise en scène magistrale. Et qui offre à nouveau à Michael Fassbender l’occasion de démontrer son incroyable talent dans le rôle d’un homme incapable de s’engager dans la moindre relation émotionnelle, obsédé pathologiquement par le sexe. Tout aussi remarquable en Carl Jung dans "A Dangerous Method", l’acteur britannique semblait incontournable. Sa Coupe Volpi du meilleur acteur est donc indiscutable. Du côté de la meilleure actrice, le choix était plus restreint, peu de films en compétition ayant été marqués par des rôles féminins forts. Le jury a choisi de récompenser la prestation de la Chinoise Deanie Yip dans le très beau A Simple Life de la Chinoise Ann Hui.
Enfin, avec son adaptation très personnelle et pertinente des Hauts de Hurlevent d’Emily Brontë, l’Anglaise Andrea Arnold ("Red Road", "Fish Tank") aurait pu figurer mieux placée au palmarès; son film n’hérite que d’une Osella de la meilleure contribution artistique pour la superbe photographie de Robbie Ryan.
Au-delà de son palmarès, cette 68e Mostra a démontré, après un Festival de Cannes déjà de haute volée, la grande forme du cinéma mondial. S’ils quittent le Lido les mains vides, on se réjouit, en effet, aussi de retrouver en salles dans les semaines et les mois à venir "Killer Joe" de William Friedkin, "The Exchange" d’Eran Kolirin, "Carnage" de Roman Polanski ou encore "Poulet aux prunes" de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud.
Hubert Heyrendt