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Harry Potter ou la douleur d’exister
Publié le 14 juillet 2011 dans Actu ciné
Pédopsychiatre et chercheur, Eric Auriacombe analyse les raisons du succès de la série de J.K. Rowling. Littéralement sympathique, Harry renvoie aux traumatismes infantiles. Dans la lignée d’Oliver Twist.
Que n’a-t-on dit, écrit, pensé,
imaginé, subodoré au sujet de Harry Potter ? Cet
irrésistible binoclard, ce formidable anti-héros,
auquel s’est associée toute une
génération, s’apprête, avec
la sortie au cinéma du deuxième volet de "Harry Potter et les Reliques de
la mort", à tirer
définitivement sa baguette du jeu. Sans pour autant que nous
connaissions toutes les raisons de son succès. Puisons-donc
une dernière fois dans le choixpeau magique pour trouver un
interlocuteur susceptible d’éclairer notre
lanterne, à l’instar du Déluminateur -
objet qui possède le pouvoir de capturer les
lumières - que Dumbledore lègue à Ron
dans "Les Reliques de la Mort", septième et dernier tome des
aventures de Harry Potter, vendues à plus de 450 millions
d’exemplaires.
L’heureux élu n’est autre que Eric Auriacombe, pédopsychiatre, enseignant et chercheur, auteur de "Harry Potter, l’enfant héros" (PUF). A la veille de la dernière poussée de fièvre, il répond à nos questions.
Avec la sortie du dernier film des aventures de Harry Potter, une longue histoire s’achève, celle d’un phénomène littéraire sans précédent. Comment expliquer ce succès ?
Les héros orphelins sont très fréquents dans les contes. Les lecteurs, lorsqu’ils s’identifient au personnage, peuvent prendre leur distance par rapport à leurs attaches affectives personnelles, à leurs parents ou leur fratrie, et s’autoriser le voyage imaginaire qui les amène à vivre des aventures parfois terrifiantes. Les contes montrent des situations, des fantasmes, des actes que les enfants redoutent ou souhaitent et qu’ils s’efforcent de traduire, de "théoriser". Ils proposent aussi des solutions "toutes faites" que l’enfant peut découvrir, voire s’approprier par identification. Les personnages des romans de Mrs Rowling constituent un excellent espace projectif et un support identificatoire efficace. Le thème de la mort des parents reste un fantasme, une peur ou un désir inhérent au développement des enfants qui éprouvent à leur égard des conflits psychiques, des sentiments hostiles ou agressifs, quand amour et haine s’opposent. Ils pourraient penser alors qu’ils sont méchants car ils éprouvent des sentiments monstrueux. Cependant, ils interrogent les énigmes de l’amour, de la sexualité, de la rivalité fraternelle, mais aussi surtout de la vie, de la mort et de l’immortalité.
Vous parlez d’une résonance avec les traumatismes infantiles, du processus mortifère et de la question de la relation spéculaire. Pouvez-vous nous en dire plus et nous expliquer pourquoi Oliver Twist n’a pas eu le même impact...
La série Harry Potter est une histoire qui parle de la douleur d’exister, de la perte des personnes aimées et du deuil et, au final, de la mort. La situation de Harry est particulièrement significative et je l’ai détaillée dans mon livre. Mrs Rowling aborde ces thèmes en prenant comme point de départ un enfant de onze ans, Harry Potter, qui a perdu, à l’âge de un an, ses parents dans un accident de voiture (pour les adultes ordinaires) ou qui ont été assassinés par le mage noir, Voldemort (version sorciers). Orphelin, il est recueilli par son oncle et sa tante qui le maltraitent et il présente des symptômes qui évoquent une dépression anaclitique. Harry apparaît comme un enfant maltraité, dépressif, dépositaire de secrets qu’il peine à faire remonter à la conscience. Les problématiques du deuil précoce chez l’enfant, du traumatisme et de la maltraitance se superposent, et la série Harry Potter permet d’en exposer les mécanismes psychologiques. J.K. Rowling présente donc une histoire dont les thèmes intéressent l’ensemble des êtres humains : l’amour et la haine, le bien et le mal, l’existence ou l’inexistence, la vie et la mort. Ce type d’histoire, comme pour le héros littéraire Oliver Twist, se construit habituellement dans la durée grâce au contage (oral ou écrit) qui s’effectue de génération en génération. Pour la série Harry Potter, ce processus s’est déroulé avec une extrême rapidité et sur le monde entier, du fait des nouveaux outils de communication (internet, forums ). D’où la véritable "contagion" que nous avons observée ! Harry Potter est aussi connu que Cendrillon ou le petit Chaperon rouge et les lecteurs se sont appropriés ce personnage au point d’anticiper ou même de contester les choix de l’auteur, qui conclut pourtant par l’habituelle fin : "Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants "
Harry Potter aura été le héros de toute une génération qui s’est identifiée à lui et surtout, qui a grandi avec lui avec la sortie d’un tome par an. C’est extrêmement rare…
D’abord, il s’agit d’une œuvre qui se déploie en sept volumes (et huit films). La résolution de l’énigme (qui est vraiment Harry Potter ?) devient ainsi un but lointain et un véritable défi de lecture. Ensuite, et cela constitue l’aspect le plus original, J.K. Rowling a programmé la parution de chaque volume sur une dizaine d’années. Elle introduit une temporalité avec ce héros qui évolue de la grande enfance à l’âge adulte, en passant par une crise d’adolescence intense. Cette mise en scène du temps qui passe intéresse le lectorat ou le spectateur qui a souvent grandi en même temps que ses héros. Non seulement Harry Potter apparaît comme un garçon presque ordinaire (qui doit apprendre la magie dans une école et passer des examens) mais encore il évolue en fonction du temps. Il découvre le monde des adultes, les premiers émois amoureux. Il traverse une crise adolescente dans le même temps que ses lecteurs ! Harry Potter est un personnage attachant, précisément parce qu’il n’est en rien un super héros. Il ressemble à tous les enfants qui peuvent ainsi s’identifier à lui plus facilement. Il est "sympathique" (on peut littéralement souffrir avec lui). Si on le compare à un enfant de onze ans, on ne peut s’empêcher de constater qu’il est déprimé, comme frappé d’un interdit d’exister. Il se dévalorise. Quand il échappe au pire, il pense qu’il a eu de la chance et que si les autres ne l’avaient pas aidé, il ne s’en serait pas sorti. Comme il grandit au fil des différents romans, la problématique se déplace du grand enfant naïf vers celle de l’adolescent rebelle et morose.
Harry Potter a permis a beaucoup de jeunes de s’intéresser à la lecture mais ils ne lisent parfois rien d’autre…
Il s’agit d’une série qui installe le fantastique dans la vie ordinaire. L’univers de Harry Potter se caractérise par la juxtaposition et l’interpénétration de deux mondes, celui des sorciers (le monde de l’enfance qui ouvre vers un fonctionnement et une pensée "magique"), et celui des Moldus, qui sont condamnés, par quelque sortilège d’amnésie, à oublier le monde magique de l’enfance (ce qu’on appelle communément les adultes). Le monde des Moldus et celui des sorciers sont juxtaposés et en interconnexion. Il existe d’ailleurs des points de passage entre les deux univers (le quai 9 ¾, le chemin de traverse, les cabines téléphoniques). J.K. Rowling nous montre que grandir, c’est, au final, pouvoir renoncer à la magie et assumer ses choix.
Comment vont se réveiller les fans de Harry Potter ?
Le mécanisme d’identification amène le lecteur à devenir comme son héros. Le destin du héros devient ainsi crucial pour le lecteur/spectateur. La fin de l’aventure implique un processus de deuil. Il s’agit d’un processus de séparation mobilisant des affects dépressifs. De nombreuses hypothèses ont été évoquées quant à la fin de cette histoire. De fait, la mort des personnages a été un thème de discussion sur internet. Qui va mourir ? La fin de la série peut mobiliser toutes les craintes sur la survie des héros et entraîner une contestation des choix de l’auteur. Harry Potter reste une série sur la douleur, le deuil, la mort, non seulement dans les thèmes du roman mais dans la forme même de l’œuvre. La fin, l’issue de la série apparaît comme imprégnée de cette thématique car effectivement nombre de personnages meurent et Harry doit se sacrifier. Le message de Rowling reste optimiste et positif car le Mal est finalement vaincu et Harry survit à ses épreuves.
Laurence Bertels - La Libre Belgique
L’heureux élu n’est autre que Eric Auriacombe, pédopsychiatre, enseignant et chercheur, auteur de "Harry Potter, l’enfant héros" (PUF). A la veille de la dernière poussée de fièvre, il répond à nos questions.
Avec la sortie du dernier film des aventures de Harry Potter, une longue histoire s’achève, celle d’un phénomène littéraire sans précédent. Comment expliquer ce succès ?
Les héros orphelins sont très fréquents dans les contes. Les lecteurs, lorsqu’ils s’identifient au personnage, peuvent prendre leur distance par rapport à leurs attaches affectives personnelles, à leurs parents ou leur fratrie, et s’autoriser le voyage imaginaire qui les amène à vivre des aventures parfois terrifiantes. Les contes montrent des situations, des fantasmes, des actes que les enfants redoutent ou souhaitent et qu’ils s’efforcent de traduire, de "théoriser". Ils proposent aussi des solutions "toutes faites" que l’enfant peut découvrir, voire s’approprier par identification. Les personnages des romans de Mrs Rowling constituent un excellent espace projectif et un support identificatoire efficace. Le thème de la mort des parents reste un fantasme, une peur ou un désir inhérent au développement des enfants qui éprouvent à leur égard des conflits psychiques, des sentiments hostiles ou agressifs, quand amour et haine s’opposent. Ils pourraient penser alors qu’ils sont méchants car ils éprouvent des sentiments monstrueux. Cependant, ils interrogent les énigmes de l’amour, de la sexualité, de la rivalité fraternelle, mais aussi surtout de la vie, de la mort et de l’immortalité.
Vous parlez d’une résonance avec les traumatismes infantiles, du processus mortifère et de la question de la relation spéculaire. Pouvez-vous nous en dire plus et nous expliquer pourquoi Oliver Twist n’a pas eu le même impact...
La série Harry Potter est une histoire qui parle de la douleur d’exister, de la perte des personnes aimées et du deuil et, au final, de la mort. La situation de Harry est particulièrement significative et je l’ai détaillée dans mon livre. Mrs Rowling aborde ces thèmes en prenant comme point de départ un enfant de onze ans, Harry Potter, qui a perdu, à l’âge de un an, ses parents dans un accident de voiture (pour les adultes ordinaires) ou qui ont été assassinés par le mage noir, Voldemort (version sorciers). Orphelin, il est recueilli par son oncle et sa tante qui le maltraitent et il présente des symptômes qui évoquent une dépression anaclitique. Harry apparaît comme un enfant maltraité, dépressif, dépositaire de secrets qu’il peine à faire remonter à la conscience. Les problématiques du deuil précoce chez l’enfant, du traumatisme et de la maltraitance se superposent, et la série Harry Potter permet d’en exposer les mécanismes psychologiques. J.K. Rowling présente donc une histoire dont les thèmes intéressent l’ensemble des êtres humains : l’amour et la haine, le bien et le mal, l’existence ou l’inexistence, la vie et la mort. Ce type d’histoire, comme pour le héros littéraire Oliver Twist, se construit habituellement dans la durée grâce au contage (oral ou écrit) qui s’effectue de génération en génération. Pour la série Harry Potter, ce processus s’est déroulé avec une extrême rapidité et sur le monde entier, du fait des nouveaux outils de communication (internet, forums ). D’où la véritable "contagion" que nous avons observée ! Harry Potter est aussi connu que Cendrillon ou le petit Chaperon rouge et les lecteurs se sont appropriés ce personnage au point d’anticiper ou même de contester les choix de l’auteur, qui conclut pourtant par l’habituelle fin : "Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants "
Harry Potter aura été le héros de toute une génération qui s’est identifiée à lui et surtout, qui a grandi avec lui avec la sortie d’un tome par an. C’est extrêmement rare…
D’abord, il s’agit d’une œuvre qui se déploie en sept volumes (et huit films). La résolution de l’énigme (qui est vraiment Harry Potter ?) devient ainsi un but lointain et un véritable défi de lecture. Ensuite, et cela constitue l’aspect le plus original, J.K. Rowling a programmé la parution de chaque volume sur une dizaine d’années. Elle introduit une temporalité avec ce héros qui évolue de la grande enfance à l’âge adulte, en passant par une crise d’adolescence intense. Cette mise en scène du temps qui passe intéresse le lectorat ou le spectateur qui a souvent grandi en même temps que ses héros. Non seulement Harry Potter apparaît comme un garçon presque ordinaire (qui doit apprendre la magie dans une école et passer des examens) mais encore il évolue en fonction du temps. Il découvre le monde des adultes, les premiers émois amoureux. Il traverse une crise adolescente dans le même temps que ses lecteurs ! Harry Potter est un personnage attachant, précisément parce qu’il n’est en rien un super héros. Il ressemble à tous les enfants qui peuvent ainsi s’identifier à lui plus facilement. Il est "sympathique" (on peut littéralement souffrir avec lui). Si on le compare à un enfant de onze ans, on ne peut s’empêcher de constater qu’il est déprimé, comme frappé d’un interdit d’exister. Il se dévalorise. Quand il échappe au pire, il pense qu’il a eu de la chance et que si les autres ne l’avaient pas aidé, il ne s’en serait pas sorti. Comme il grandit au fil des différents romans, la problématique se déplace du grand enfant naïf vers celle de l’adolescent rebelle et morose.
Harry Potter a permis a beaucoup de jeunes de s’intéresser à la lecture mais ils ne lisent parfois rien d’autre…
Il s’agit d’une série qui installe le fantastique dans la vie ordinaire. L’univers de Harry Potter se caractérise par la juxtaposition et l’interpénétration de deux mondes, celui des sorciers (le monde de l’enfance qui ouvre vers un fonctionnement et une pensée "magique"), et celui des Moldus, qui sont condamnés, par quelque sortilège d’amnésie, à oublier le monde magique de l’enfance (ce qu’on appelle communément les adultes). Le monde des Moldus et celui des sorciers sont juxtaposés et en interconnexion. Il existe d’ailleurs des points de passage entre les deux univers (le quai 9 ¾, le chemin de traverse, les cabines téléphoniques). J.K. Rowling nous montre que grandir, c’est, au final, pouvoir renoncer à la magie et assumer ses choix.
Comment vont se réveiller les fans de Harry Potter ?
Le mécanisme d’identification amène le lecteur à devenir comme son héros. Le destin du héros devient ainsi crucial pour le lecteur/spectateur. La fin de l’aventure implique un processus de deuil. Il s’agit d’un processus de séparation mobilisant des affects dépressifs. De nombreuses hypothèses ont été évoquées quant à la fin de cette histoire. De fait, la mort des personnages a été un thème de discussion sur internet. Qui va mourir ? La fin de la série peut mobiliser toutes les craintes sur la survie des héros et entraîner une contestation des choix de l’auteur. Harry Potter reste une série sur la douleur, le deuil, la mort, non seulement dans les thèmes du roman mais dans la forme même de l’œuvre. La fin, l’issue de la série apparaît comme imprégnée de cette thématique car effectivement nombre de personnages meurent et Harry doit se sacrifier. Le message de Rowling reste optimiste et positif car le Mal est finalement vaincu et Harry survit à ses épreuves.
Laurence Bertels - La Libre Belgique
oligus