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Dernier matin au monde pour Alain Corneau
Publié le 31 août 2010 dans Actu ciné
Disparition du cinéaste de “Série noire”, “Tous les matins du monde”... Un auteur qui avançait masqué en tournant des films de genre. Évocation
Cinq jours après la sortie de son dernier film "Crime d'amour",
un thriller langien qui opposait Kristin Scott-Thomas et Ludivine
Sagnier, disparaît Alain Corneau
emporté par le cancer à 67 ans.
Avec le réalisateur de "Série noire", disparaît un des grands auteurs du cinéma français, mais pas du tout dans le sens où on l’entend au pays des Cahiers du cinéma. Avec Alain Corneau, auteur ne signifie pas mettre son nombril à l’écran. D’ailleurs, tout au long de sa carrière, il a adapté des livres et pour l’essentiel, il n’a tourné que des films de genre. En fait, Alain Corneau avançait masqué. "Jamais, je n’aurais pu raconter mes souvenirs. Quand je choisissais un scénario de film policier, c’était aussi parce qu’il comportait des éléments très personnels. Mais on ne les voyait pas car on est protégé par le genre lui-même. On peut être très impudique dans un polar, car les spectateurs ne peuvent pas identifier les éléments personnels", nous confiait-il voici quelques années.
On sait que le film noir se sert du ressort policier pour donner un point de vue sur la société. Il en va de même avec Alain Corneau qui se cherche à travers ses polars. En effet, ce fils de vétérinaire du côté d’Orléans, cet enfant de notable qui adore ses parents, va devenir un trotskiste de chez radical.
Et c’est tout naturellement que ce batteur de jazz semi-professionnel, étudiant à l’IDHEC, se tourne vers le film politique de gauche. Il devient en 1970, l’assistant de Costa-Gavras sur "L’aveu" et puis celui de Nadine Trintignant pour "Droit de savoir". Il partagera d’ailleurs l’existence de la réalisatrice le reste de sa vie.
C’est en 1974, qu’il dirige son premier film, une œuvre de politique-fiction "France société anonyme" très originale dans le paysage français. La fibre cinéphile de ce passionné de films américains prend ensuite le dessus sur sa veine politique avec "Police Python 357" en 1977.
C’est le premier volet d’une formidable trilogie noire qui comprend "Série noire" (79) et "Le choix des armes" (81). On y voit comment le cinéaste assimile et puis mixe tradition française et influences américaines, pour livrer des œuvres très personnelles et très riches. Son talent culmine dans "Série noire" où il offre à Patrick Dewaere, bluffant dès le générique, un espace de jeu aussi vaste que celui laissé à De Niro par Scorsese, à Pacino par Lumet. C’est tout à la fois un thriller - il y a un crime - et un portrait psychologique complexe grâce à un Dewaere insaisissable en type qui se la joue faute de savoir qui il est vraiment. Clairement, le genre n’est plus qu’un prétexte pour montrer la violence de l’introspection. A l’image de cette scène inoubliable où Dewaere se tape la tête contre une voiture, pour de vrai. La recherche d’identité est définitivement le fil rouge de son œuvre. "Le cinéma permet de mieux se connaître, c’est une expérience proche du voyage", disait-il.
Après "Le choix des armes", Corneau va d’ailleurs prendre une sacrée distance avec les banlieues glaciales de ses polars pour s’aventurer dans le désert de "Fort Sagane". A la tête de ce qui est alors la superproduction la plus chère du cinéma hexagonal, il se lance avec Depardieu et Noiret dans une sorte de "Lawrence d’Arabie" à la française qui fera l’effet d’un mirage. Arrivé au sommet de sa popularité, il entame dès lors sa descente. Abrupte, avec "Le môme", il passe pour un has-been.
En 89, il réapparaît où l’on ne l’attendait pas avec "Nocturne indien", adaptation intimiste et très personnelle de Tabucchi, l’histoire d’un homme qui se cherche à Bombay, interprété par un tout jeune acteur, Jean-Hugues Anglade. Cette fois, ses convictions, sa cinéphilie sont davantage en retrait, laissant apparaître davantage sa personnalité. Et en 1991, sa passion pour la musique débouche sur un film sublime, touché par la grâce "Tous les matins du monde". Soit, un biopic comme on ne disait pas encore, consacré aux musiciens baroques, Marin Marais et son maître "monsieur de Sainte-Colombe", compositeurs au temps de Louis XIV. "Musiciens baroques et de jazz ont la même mentalité à mes yeux. Ce sont des musiques de solistes, débarrassées du sentimentalisme et ouvertes à l’improvisation. C’est la musique baroque qui conduit au jazz. C’était une obsession pour moi de faire un film dont la musique serait le corps central. En fait, c’est un film collectif, tricéphale. Sans Jordi Savall, pas de film. Sans Pascal Quignard, pas de film. Sans mon équipe et moi, pas de film. Jordi a travaillé des années dans le noir pour le renouveau baroque. Alors que ce film mette tout ce travail en lumière, c’était le comble du bonheur", nous confiait-il alors.
Austère, beau comme un de la Tour, avec un Marielle à contre-emploi, "Tous les matins du monde" va, contre toute attente, enchanter le public. Il lui fera un succès alors que la profession le couvrira de prix (dont sept césars). C’est assurément le deuxième sommet d’une carrière, qui sera dès lors suivie d’une deuxième descente, plus lente.
En 95, il tente de laisser tomber un peu le masque dans "Un nouveau monde". Il met en scène ce dixième film comme si c’était le premier, se souvenant de son adolescence dans les années 50 à l’heure de Levi’s, Coca, Miles et wop-doo-wop. Il avait toutefois surestimé sa capacité à l’impudeur.
En 98, il revient au polar sous le signe du réalisme s’attachant au couple flic-indic dans "Le Cousin". Fluide, efficace, Corneau étale discrètement sa classe et se permet un coup d’éclat : confier les rôles clefs à deux comiques, Alain Chabat et Patrick Timsit. Ils ne font pas rire, c’est dire s’ils étaient crédibles et le directeur d’acteurs doué. On s’en aperçoit dans "Stupeur et tremblements", une formidable adaptation d’Amélie Nothomb dans laquelle Sylvie Testud est mémorable, complètement lost in translation à sa manière. En revanche, on peine à reconnaître le conteur styliste dans "Le prince du Pacifique" (2000), "Les mots bleus" (2005) et même "Crime d'amour" (2010).
Le dernier temps fort de sa carrière, ce sera en 2007, lorsqu’il empoigne le classique de Melville au titre hautement symbolique "Le deuxième souffle". Sa version stylée sublime l’anecdote en tragédie. "Mon deuxième souffle ! s’esclaffait alors cet homme incroyablement chaleureux. Mais, je ne m’en suis aperçu qu’à la fin du tournage. J’ai vu le film de Melville adolescent, j’ai été collé au mur, il m’a marqué à tout jamais. Il m’a fallu 40 ans pour revenir à ce grand texte, revenir à ce qui m’a formé." Un retour au genre, en somme. "Les genres ont disparu à cause de la crise, de la télévision. Mais pour moi, le western italien est solidaire de Fellini. Quand l’un disparaît, l’autre est en danger. C’est mon analyse. D’un côté, il y a les films de genres (aventure, policier, comédie) et de l’autre des films d’auteur très martiens".
Mais le public ne le suivra pas, le privera de ce deuxième souffle, un choc pour cet homme dont la passion brillait autant que les yeux, dont l’enthousiasme était aussi généreux que le sourire, dont les films lui ressemblaient toujours un petit peu.
Fernand Denis - La Libre Belgique
Avec le réalisateur de "Série noire", disparaît un des grands auteurs du cinéma français, mais pas du tout dans le sens où on l’entend au pays des Cahiers du cinéma. Avec Alain Corneau, auteur ne signifie pas mettre son nombril à l’écran. D’ailleurs, tout au long de sa carrière, il a adapté des livres et pour l’essentiel, il n’a tourné que des films de genre. En fait, Alain Corneau avançait masqué. "Jamais, je n’aurais pu raconter mes souvenirs. Quand je choisissais un scénario de film policier, c’était aussi parce qu’il comportait des éléments très personnels. Mais on ne les voyait pas car on est protégé par le genre lui-même. On peut être très impudique dans un polar, car les spectateurs ne peuvent pas identifier les éléments personnels", nous confiait-il voici quelques années.
On sait que le film noir se sert du ressort policier pour donner un point de vue sur la société. Il en va de même avec Alain Corneau qui se cherche à travers ses polars. En effet, ce fils de vétérinaire du côté d’Orléans, cet enfant de notable qui adore ses parents, va devenir un trotskiste de chez radical.
Et c’est tout naturellement que ce batteur de jazz semi-professionnel, étudiant à l’IDHEC, se tourne vers le film politique de gauche. Il devient en 1970, l’assistant de Costa-Gavras sur "L’aveu" et puis celui de Nadine Trintignant pour "Droit de savoir". Il partagera d’ailleurs l’existence de la réalisatrice le reste de sa vie.
C’est en 1974, qu’il dirige son premier film, une œuvre de politique-fiction "France société anonyme" très originale dans le paysage français. La fibre cinéphile de ce passionné de films américains prend ensuite le dessus sur sa veine politique avec "Police Python 357" en 1977.
C’est le premier volet d’une formidable trilogie noire qui comprend "Série noire" (79) et "Le choix des armes" (81). On y voit comment le cinéaste assimile et puis mixe tradition française et influences américaines, pour livrer des œuvres très personnelles et très riches. Son talent culmine dans "Série noire" où il offre à Patrick Dewaere, bluffant dès le générique, un espace de jeu aussi vaste que celui laissé à De Niro par Scorsese, à Pacino par Lumet. C’est tout à la fois un thriller - il y a un crime - et un portrait psychologique complexe grâce à un Dewaere insaisissable en type qui se la joue faute de savoir qui il est vraiment. Clairement, le genre n’est plus qu’un prétexte pour montrer la violence de l’introspection. A l’image de cette scène inoubliable où Dewaere se tape la tête contre une voiture, pour de vrai. La recherche d’identité est définitivement le fil rouge de son œuvre. "Le cinéma permet de mieux se connaître, c’est une expérience proche du voyage", disait-il.
Après "Le choix des armes", Corneau va d’ailleurs prendre une sacrée distance avec les banlieues glaciales de ses polars pour s’aventurer dans le désert de "Fort Sagane". A la tête de ce qui est alors la superproduction la plus chère du cinéma hexagonal, il se lance avec Depardieu et Noiret dans une sorte de "Lawrence d’Arabie" à la française qui fera l’effet d’un mirage. Arrivé au sommet de sa popularité, il entame dès lors sa descente. Abrupte, avec "Le môme", il passe pour un has-been.
En 89, il réapparaît où l’on ne l’attendait pas avec "Nocturne indien", adaptation intimiste et très personnelle de Tabucchi, l’histoire d’un homme qui se cherche à Bombay, interprété par un tout jeune acteur, Jean-Hugues Anglade. Cette fois, ses convictions, sa cinéphilie sont davantage en retrait, laissant apparaître davantage sa personnalité. Et en 1991, sa passion pour la musique débouche sur un film sublime, touché par la grâce "Tous les matins du monde". Soit, un biopic comme on ne disait pas encore, consacré aux musiciens baroques, Marin Marais et son maître "monsieur de Sainte-Colombe", compositeurs au temps de Louis XIV. "Musiciens baroques et de jazz ont la même mentalité à mes yeux. Ce sont des musiques de solistes, débarrassées du sentimentalisme et ouvertes à l’improvisation. C’est la musique baroque qui conduit au jazz. C’était une obsession pour moi de faire un film dont la musique serait le corps central. En fait, c’est un film collectif, tricéphale. Sans Jordi Savall, pas de film. Sans Pascal Quignard, pas de film. Sans mon équipe et moi, pas de film. Jordi a travaillé des années dans le noir pour le renouveau baroque. Alors que ce film mette tout ce travail en lumière, c’était le comble du bonheur", nous confiait-il alors.
Austère, beau comme un de la Tour, avec un Marielle à contre-emploi, "Tous les matins du monde" va, contre toute attente, enchanter le public. Il lui fera un succès alors que la profession le couvrira de prix (dont sept césars). C’est assurément le deuxième sommet d’une carrière, qui sera dès lors suivie d’une deuxième descente, plus lente.
En 95, il tente de laisser tomber un peu le masque dans "Un nouveau monde". Il met en scène ce dixième film comme si c’était le premier, se souvenant de son adolescence dans les années 50 à l’heure de Levi’s, Coca, Miles et wop-doo-wop. Il avait toutefois surestimé sa capacité à l’impudeur.
En 98, il revient au polar sous le signe du réalisme s’attachant au couple flic-indic dans "Le Cousin". Fluide, efficace, Corneau étale discrètement sa classe et se permet un coup d’éclat : confier les rôles clefs à deux comiques, Alain Chabat et Patrick Timsit. Ils ne font pas rire, c’est dire s’ils étaient crédibles et le directeur d’acteurs doué. On s’en aperçoit dans "Stupeur et tremblements", une formidable adaptation d’Amélie Nothomb dans laquelle Sylvie Testud est mémorable, complètement lost in translation à sa manière. En revanche, on peine à reconnaître le conteur styliste dans "Le prince du Pacifique" (2000), "Les mots bleus" (2005) et même "Crime d'amour" (2010).
Le dernier temps fort de sa carrière, ce sera en 2007, lorsqu’il empoigne le classique de Melville au titre hautement symbolique "Le deuxième souffle". Sa version stylée sublime l’anecdote en tragédie. "Mon deuxième souffle ! s’esclaffait alors cet homme incroyablement chaleureux. Mais, je ne m’en suis aperçu qu’à la fin du tournage. J’ai vu le film de Melville adolescent, j’ai été collé au mur, il m’a marqué à tout jamais. Il m’a fallu 40 ans pour revenir à ce grand texte, revenir à ce qui m’a formé." Un retour au genre, en somme. "Les genres ont disparu à cause de la crise, de la télévision. Mais pour moi, le western italien est solidaire de Fellini. Quand l’un disparaît, l’autre est en danger. C’est mon analyse. D’un côté, il y a les films de genres (aventure, policier, comédie) et de l’autre des films d’auteur très martiens".
Mais le public ne le suivra pas, le privera de ce deuxième souffle, un choc pour cet homme dont la passion brillait autant que les yeux, dont l’enthousiasme était aussi généreux que le sourire, dont les films lui ressemblaient toujours un petit peu.
Fernand Denis - La Libre Belgique