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Martin Scorsese de Knokke à Gand

Publié le 15 octobre 2013 dans Actu ciné

Le réalisateur américain présenta son premier court métrage en 1967 au Festival de Knokke. A l'occasion de sa 40e édition, le Festival du Film de Gand lui rend hommage avec une exposition majeure.
Rares sont les cinéastes pouvant se targuer d’avoir eu l’honneur d’une exposition rétrospective de leur vivant, a fortiori alors qu’ils sont encore en activité. Et lequel de ses pairs était mieux indiqué que Martin Scorsese pour accompagner de la sorte le 40e Festival de Gand, dont le focus porte sur le cinéma indépendant américain ? Le réalisateur de Mean Streets, film dont on célèbre cette année le quarantième anniversaire, est peut-être le dernier représentant du Nouvel Hollywood, même s’il tourne désormais dans une économie plus que confortable, avec l’un des trois acteurs les mieux payés d’Hollywood, Leonardo DiCaprio. Pour ceux qui en douteraient, l’exposition, qui se tient jusqu’au 26 janvier 2014 au Caermersklooster de Gand, rappelle la place majeure qu’occupe le réalisateur américain dans l’histoire du cinéma mondial.

Rappel d’une filmographie plurielle

La visite s’ouvre sur un mur où est projeté The Big Shave, court métrage expérimental de 1967 qui, nous rappelle-t-on, fut présenté au Festival du film de Knokke la même année, et donna au réalisateur "son premier coup de projecteur international". Sur une musique de jazz entraînante, un homme se rase tant et plus, jusqu’à se taillader tout le visage. On y vit à l’époque une métaphore de l’Amérique plongée dans la guerre du Vietnam.

Premier bon point d’une visite qui permet au grand public de (re) découvrir les aspects moins connus de la filmographie du réalisateur de Casino. A côté de ce dernier, si tout le monde connaît ne serai-ce que de titre Raging Bull (son film le plus éblouissant), Les Affranchis (le plus populaire), Gangs of New York (le plus décrié, à tort) ou Taxi Driver (le plus mythique), beaucoup ont oublié Alice ne vit plus ici (premier film hollywoodien), La Dernière tentation du Christ (le plus polémique), After Hours (le plus drôle), Le Temps de l’innocence (le plus romantique) ou Bringing Out the Dead (le dernier film new-yorkais en date).

Le parcours dans l’exposition souligne ainsi la diversité formelle et thématique d’une œuvre qu’on a trop souvent (et à tort) réduite à des films de gangsters. Ce qui n’empêche pas de souligner néanmoins la remarquable cohérence de la filmographie de Scorsese - comme avec cette grande maquette qui cartographie sur un plan de New York les films s’y déroulant (on eut toutefois aimé un dispositif plus interactif).

Fétichisme

Ceux qui connaissent par contre la carrière de Scorsese auront leur content de fétichisme. Ils pourront notamment découvrir et lire à loisir des originaux de scénarios, des notes de travail ou des courriers échangés avec des confrères. Voir des storyboards de la main même du réalisateur (notamment ceux de scènes mythiques de Taxi Driver ou Raging Bull). Avec quelques pièces à même de satisfaire le fétichisme des cinéphiles. On peut notamment découvrir des photos de Marty, son frère Frank ou son ami d’enfance, Robert Uricola, dans le Little Italy des années 1960. Est aussi présenté l’original de la première page de Who’s that Knocking at My Door (1969), de même que la lettre et le contrat de Jonathan Taplin portant sur Mean Streets (1973), son premier film professionnel et personnel, réalisé après son film de commande Boxcar Bertha (1972) pour Roger Corman. On peut également lire une lettre de John Hill, un détenu de droit commun, qui fit office de conseiller pour le personnage de Max Cady dans Les Nerfs à vif (1990), elle est révélatrice de la préparation minutieuse de ses films.

Autres pièces fétichistes : la robe portée par Cate Blanchett dans son incarnation de Katharine Hepburn dans L’Aviateur (2004), la licence de chauffeur de taxi obtenue par Robert De Niro pour préparer son rôle dans Taxi Driver (1976) ou le short et les gants de boxe qu’il portait dans Raging Bull (1980). Plus émouvants : la palme d’or cannoise reçue en 1976 pour Raging Bull ou les chaussons rouges portés par Moira Cheerer dans le chef-d’œuvre éponyme de Michael Powell, offerts par ce dernier à son admirateur Scorsese.

Car non content de réaliser des films à la réputation internationale, Scorsese est un cinéphile accomplit qui regarde au moins un film par jour, dont il note scrupuleusement le titre dans un agenda - on peut voir à l’exposition un exemple d’une semaine type où il peut avoir vu (ou revu) The Night of the Party de Michael Powell, Bad Lieutenant d’Abel Ferrara ou Point Blank de John Borman.

Il a eu des échanges épistolaires avec la crème de ses pairs. Notamment pour la mise en place de sa Film Foundation ou lorsqu’il lança une pétition prestigieuse pour convaincre la firme Kodak de livrer des pellicules garantissant l’intégrité des couleurs des films : les réponses enthousiastes de Steven Spielberg, Sydney Lumet, Michael Powell, Nagisha Oshima ou Leni Riefenstahl sont exposées. Particulièrement émouvant, aussi, ce bel échange de remerciements entre Akira Kurosawa et Scorsese après que ce dernier eut joué Van Gogh dans Rêves (1990) du premier.

La scénographie des expositions sur le cinéma est toujours difficile. Divisée ici non pas selon un parcours chronologique, mais thématique (la famille, les frères réels ou figurés), hommes et femmes, cinématographie, montage…), la visite est agrémentée de projections d’extraits sur les murs. Manque, peut-être, un peu plus d’analyse de fond du travail de Scorsese.

Surtout, il est frappant que, pour une exposition réalisée du vivant de son sujet, le réalisateur semble n’avoir pratiquement pas contribué (si ce n’est pas une mise à disposition de ses archives). D’un auteur aussi érudit et passionné par son art, on aurait aimé entendre plus les anecdotes, explications, précisions ou réflexions, bref sa voix, au débit si caractéristique, durant la visite. Mais c’est sans doute le revers d’un homme hyperactif que de n’être pas disponible pour parler de lui-même.

Vision panoptique

Reste ce qui, à nos yeux, est un des clous de la visite, moment d’immersion particulièrement réussi dans le cinéma de Scorsese : la projection d’extraits panoptique sur quatre écrans. Au départ d’une démarche a priori iconoclaste, qui consiste à démonter les plans constituants plusieurs séquences majeures de sa filmographie, et à les projeter parfois simultanément, le dispositif révèle au contraire l’art de la composition de Scorsese. Un simple dialogue en champ/contre-champ entre Michelle Pfeiffer et Daniel Day-Lewis dans Le Temps de l’innocence prend ainsi une force nouvelle. La récurrence du motif de la crucifixion dans les films de Scorsese est illustrée superbement. Et l’immersion dans une des scènes de boxe de Raging Bull transcende le choc initial éprouvé lors de la première vision de celle-ci.

Bon augure ? L’exposition s’achève sur une photo de Brigitte Lacombe, prise sur le tournage de The Wolf of Wall Street, le nouveau film de Martin Scorsese, qui sortira en fin d’année.

Par Alain Lorfèvre.

Infos pratiques: Martin Scorsese, Caermersklooster, Vrouwebroersstraat 6, 9000 Gand.
                       L'expo sera visible jusqu'au 26 janvier, du mardi au dimanche de 10 à 17h.

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