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Le Festival de Cannes 2012 au jour le jour par Nicolas Gilson

Publié le 28 mai 2012 dans Actu ciné

Chaque jour, Nicolas Gilson nous fera vivre le Festival de l'intérieur.
25 mai

Rythme Paradoxal


Les journées sont chaudes et ensoleillées, alors que le festival touche à sa fin, le rythme cannois se met enfin en place. Situation paradoxale puisque le marché du film est maintenant désert et que les sections parallèles ferment une à une leurs portes.

Ainsi la 51 ème Semaine de la Critique s’est clôturée hier avec la projection de deux court-métrages : MANHA DE SANTO ANTONIO de João Pedro Rodriguez et WELKER – BEAUTIFUL de Tsaï Ming-Liang. Le palmarès a été auparavant dévoilé. Le Grand Prix Nespresso a été remis à Antonio Méndez Esparza pour AQUI ALLA et le prix Révelation revient pour sa part à SOFIA’S LAST AMBULANCE de Ilian Metev. Meni Yaesh voit son film LES VOISINS DE DIEU être couronné du prix de la SACD. Côté court, c’est UN DIMANCHE MATIN de Damien Manivel qui est primé – une mention spéciale a été remise à O DUPLO de Juliana Rojas. HORS LES MURS de David Lambert – le seul film de la section que nous avons vu – y a reçu un prix satellite : le Rail d’Or remis par les cheminots cinéphiles.

Aujourd’hui, alors que la compétition semble terminer en apothéose en ce qui concerne les castings qui montent les marches, la Quinzaine fermera ses portes. Peut-être l’occasion de célébrer cela en musique et en se trémoussant, comme ce fut le cas hier lors de l’ultime soirée de la Semaine de la Critique – sans vraiment se trémousser pour notre part. Sur la plage Nespresso où avait lieu l’événement, Céline Sciamma (TOMBOY) a mis le feu en se glissant derrière les platines… Mais en ayant COSMOPOLIS de David Cronenberg au programme dès 8h30 – en traduction réveil à 7h pour être sûr d’avoir une place correcte – nous fuyons la fête.

Un nouveau film américain projeté de bon matin afin d’avoir un casting glamour sur la « red carpet » de la projection de 20h, celle-là même qui défilera en direct à la télévision et qui permettra à une partie du casting de passer en direct sur le plateau de Canal plus. L’équation est systématique : pour la « principale » montée des marches, il faut exciter le spectateur lambda, mettre les strass et les paillettes en avant. Ainsi PAPERBOY, KILLING THEM SOFTLY, LAWLESS ou encore ON THE ROAD semblent répondre à cette nécessité – espérons que COSMOPOLIS vaille la peine au-delà de son casting, ce qui ne fut pas les cas des trois autres films. Zac Efron en slip blanc sous la pluie face à une Nicole Kidman hyper sexué, c’est drôle, sans doute moins indigeste lorsque l’impression de satiété n’est pas atteinte, mais là, c’est juste insupportable. Au-delà de la l’appréciation de la légitimité de la sélection de ces films en sélection officielle et/ou en compétition, c’est la désolation de constater que le « business » fait sa loi. Si nous ne regrettons pas de voir les équipe de VOUS N’AVEZ ENCORE RIEN VU ou AMOUR monter les marches sous les projecteurs et le crépitements des flash, ne jamais mettre en lumière des films plus compliqués ne leur est sans doute pas salutaire auprès du large public. La cinéphilie a donc ses limites… toutes commerciales.


23 mai

Premier bilan

Après une semaine de festival, alors que soleil brille à nouveau sur Cannes – et d’avis des locaux le mauvais temps s’en est allé –, l’heure est à un premier bilan.

La course de film en film est effrénée, si bien que découvrir les sélections des sections parallèles est complexe voir impossible. Nous sommes ainsi passé à côté du Gondry, avons à peine survolé le programme de la Quinzaine ou repéré les possibles perles de la Semaine de la Critique (où nous avons vu HORS LES MURS de David Lambert)… Après tout, il nous fallait écrire et digérer, aussi, certains films. Et la pluie a coupé notre élan initial – non, les fêtes et le manque de sommeil ne sont pas les seules raisons.

En avril dernier, lors de la conférence de presse dévoilant la sélection de cette 65ème édition Thierry Frémaux semblait dire que le cinéma américain a le vent en poupe : force est de constater que cela résonne avec ironie. LAWLESS (John Hillcoat) ou KILLING THEM SOFTLY (Andrew Dominik) paraissent servir la couverture médiatique de l’évènement plus que louer le moindre renouveau cinématographique. Pour assurer une montée des marches pleine de glamour et les crépitements de flash, placer ces films hors compétition aurait été suffisant. Là, on frôle le ridicule ! Mais les frères Wenstein doivent être heureux…

L’urgence de la réalisation de Yoursi Nasrallah est compréhensible – et peut-être qu’après une mise en avant par le biais de documentaires du Printemps Arabe à la dernière Berlinale il était nécessaire que Cannes s’inscrive aussi dans cette mise en lumière politico-socétale – mais l’absence de qualité est telle, qu’à nouveau une sélection hors compétition aurait été salvatrice : car si APRES LA BATAILLE est mauvais, les enjeux qu’il sous-tend sont primordiaux.

Mais puisque la fête est au cinéma, chantons la maîtrise de Haneke qui livre avec AMOUR un chef d’oeuvre – le terme est employé à dessein. Le réalisateur transcende l’émotion. Un film à découvrir dans l’obscurité et la magie d’une salle de cinéma. VOUS N’AVEZ ENCORE RIEN VU d’Alain Resnais est un film riche et délicat, sans doute plus compliqué à saisir. Une nouvelle expérimentation syncrétique, majestueuse et sensible. HOLY MOTORS de Leos Carax, divise la critique. Il y met en place et en scène un univers barré et intelligent dont il ne faut sans doute rien savoir avant de se glisser dans la position de spectateur afin de se laisser emporter dans une expérience singulière.

Avec JAGTEN et REALITY, Vintenberg et Garrone sont revenus sur la croisette avec des films brillants. Sans doute méritent-ils d’être récompensé pour l’intelligence de leur scénario ou pour le brio du jeu de leurs acteurs. La qualité de jeu – celle de justement faire disparaître tout hypothèse de représentation – de nombreux acteurs et actrices des films de cette 65 ème édition du festival est surprenante. Jean-Louis Trintignant (AMOUR), Emmanuelle Riva (AMOUR), Denis Lavant (HOLY MOTORS), Mads Mikkelsen (JAGTEN), Aniello Arena (REALITY), Margareth Tiesel (PARADEIS – LIEBE) ou même Isabelle Huppert (AMOUR) nous emportent dans la sensation ! Matthias Schoenaerts témoigne d’une grand qualité d’interprétation mais le film de Jacques Audiard, DE ROUILLE ET D’OS, semble courir derrière l’émotion plus que la transcender si bien que la prestation de l’acteur n’émeut guère.

Apres la Palme d’Or remportée pour 4 MOIS, 3 SEMAINES, 2 JOURS, Cristian Mungiu était attendu. Sans doute aurait-il été judicieux de présenter son film, AU-DELA DES COLLINES au Certain Regard… Section où deux actrices sont admirables : Emilie Dequenne est foudroyante dans AIMER A PERDRE LA RAISON et Suzanne Clément dans LAURENCE ANYWAYS. Ces deux films s’imposent comme les incontournables de cette section : A PERDRE LA RAISON de Joachim Lafosse est sans conteste LE film qui aurait dû être en compétition officielle et LAURENCE ANYWAYS de Xavier Dolan impose un style.


22 mai

Le Grand Soir

Avec LE GRAND SOIR, Benoît Delépine et Gustave Kervern s’attaquent à la société de consommation. Si leur univers est reconnaissable, la maigreur tant de leur scénario que de leur propos et l’absence de réelle maîtrise esthétique rendent leur film franchement pénible. Peut-être s’en amusent-ils, pas nous.

A nouveau les réalisateurs mettent en scène des petites gens. Deux frères sont les protagonistes principaux du GRAND SOIR : le premier, Not, est un « punk à chien », le second est un vendeur de matelas qui, fatigué par sa petite vie bien creuse, pète un câble. Accompagnant ces deux comparses tout au long de leur pérégrinations, une série de rôles secondaires, accessoires et caricaturaux, font sourire ou amusent le temps de séquences absconses.

Le film manque cruellement de rythme. Les entrelacs entre la fiction et une certaine réalité fatiguent tant les réalisateurs ne se renouvellent pas et semblent ne pas parvenir à nourrir leur cinéma de film en film. Si Benoît Poelvoorde et Albert Dupontel performent plus qu’ils ne jouent, cela ne suffit guère à nous emporter dans une aventure qui s’avère bien tortueuse pour pas grand chose.

Heureusement la musique de Brigitte Fontaine – également au générique – ponctue le film de-ci, de-là et en constitue le seul élément abouti.


21 mai

In Another Country

Hong Sangsoo fait du bricolage. IN ANOTHER COUNTRY est un film amusant qui flirte avec l’expérimentation. Le réalisateur coréen offre à Isabelle Huppert un rôle multiple, puisqu’elle est au sein du film trois personnages différents qui, en un même lieu et avec les mêmes protagonistes, vit des aventures qui se font étrangement écho.

Le principe de construction du film est d’emblée mis en place. Une jeune fille travaille à l’écriture d’un scénario. Les lignes de départ nous sont livrées par voix-over tandis que le développement narratif s’inscrit par le biais de la fiction. La jeune fille aurait pu parler d’elle et de sa situation mais elle décide de s’inspirer d’une actrice française rencontrée lors d’un festival. Son protagoniste s’appelle Anne.

« Ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre », Anne se rend à Mohang-ni pour des raisons différentes. A chaque nouvelle approche dramatique, les situations sont complètement différentes. Toutefois certains protagonistes, pareillement caractérisés, reviennent d’une variante à l’autre. Ainsi Anne rencontre à trois reprises un maître-nageur, et sa personnalité module l’interaction…

Le dessein est évident. Trop peut-être. Hong Sangsoo est systématique dans son approche – des choix de mise en scène aux ponctuations musicales. Cela permet une pleine cohérence mais seule l’interprétation d’Isabelle Huppert devient l’enjeu de cette gentille expérimentation. Il est dès lors regrettable que l’actrice ne transcende pas l’écran, comme si elle s’amusait en passant d’une robe à une autre.

IN ANOTHER COUNTRY est léger mais in fine bien creux. Un exercice de style qui laisse à penser aux films expérimentaux de Maya Deren sans jamais en avoir la force – esthétique, sensible ou sensitive. Récréatif.



Vous n’avez encore rien vu

Avec VOUS N’AVEZ ENCORE RIEN VU, Alain Resnais compose une œuvre cinématographique troublante. Il y met en scène une nouvelle rencontre syncrétique entre la dramaturgie théâtrale et le médium cinématographique qui semble voyager à travers sa propre filmographie tout en chantant l’intemporalité de la tragi-comédie. Film-testament.

« Quand ils eurent passé le pont, les fantômes vinrent à leur rencontre »

A la base du scénario que le réalisateur immortalise, il y a la fusion en un texte original de l’adaptation de deux pièces de Jean Anouilh : « Eurydice » et « Cher Antoine ». Dans VOUS N’AVEZ ENCORE RIEN VU Antoine devient l’auteur d’« Eurydice » et, à sa mort, convie les comédiens qui ont interprétés ses personnages à un drôle de jeu : regarder la captation des répétitions de la pièce par une jeune troupe.

La distribution des rôles a été évoquée. Le casting, composé de nombreux comédiens qui ont déjà collaboré avec Alain Resnais, présente l’intérêt d’établir une confondante impression de mise en abyme. Tous – ou presque – interprètent leur propre rôle. Plusieurs générations n’en font alors qu’une.

Lorsque les répliques prennent place, les comédiens-spectateurs sont peu à peu imprégnés des mots qui ont été les leurs. Ils hésitent. Ils murmurent. Ils redécouvrent le texte et l’émotion que transcendent les mots. Des sentiments universels dont l’écho mythologique est indéniable – celui-ci est d’ailleurs déjà mis en place par le générique d’ouverture. Peu à peu la contagion s’opère et la mise en scène prend place.

VOUS N’AVEZ ENCORE RIEN VU a pour décor initial une maison en carton-pâte qui devient peu à peu un plateau de cinéma qui ne cesse de se moduler. Les protagonistes du film deviennent les étranges fantômes d’un théâtre magique qui se transforme en gare ou en chambre d’hôtel, qui s’habille ou s’accessoirise, et qui semble disparaître au profit des interactions.

L’espace se transforme tandis que les comédiens voyagent au-delà de lui et du temps. L’artificialité est totale. Plus qu’être palpable, la mise en scène est marquée. Alain Resnais semble composer son film devant nos yeux – en faisant preuve d’une maîtrise totale dont il semble se jouer par le biais de l’exagération –, et la justesse du texte fait mouche tout en stimulant l’imaginaire.

Pierre Arditi et Sabine Azéma renouvellent leurs amours. Et en campant Orphée et Eurydice, ne subliment-ils pas à nos yeux la cinématographie d’Alain Resnais au sein de laquelle, de film en film, ils ont été les acteurs de la pluralité amoureuse ; au sein de laquelle ils sont devenu l’archétype de l’amour-total à l’instar des figures mythologiques.

Orphée et Eyrydice n’ont pas d’âge – comme Pierre Arditti et Sabine Azéma dans SMOKING et dans NO SMOKING. Ils n’ont pas de visage non plus. Et pour rendre commune la force de la tragédie, les distributions se confrontent avant de se confondre. De la prime rencontre, par écran interposé, entre les comédiens-amis d’Antoine et les nouveaux comédiens naît une sublime interaction.

Mais VOUS N’AVEZ ENCORE RIEN VU s’impose aussi comme troublant. Antoine, personnage d’Anouilh est devenu dramaturge et metteur en scène, dès lors comment ne pas confondre à notre tour Antoine et le réalisateur qui, comme son protagoniste, a le sens de la mise en scène et apprécie les coups de théâtre ?


20 mai

Dansons sous la pluie

Après une claque matinale qui ne donne pas envie de vieillir – mais alors vraiment pas ; ou alors amoureux mais en espérant que les droits à l’euthanasie soient reconnus –, le déluge s’abat sur la croisette. Montée des marches pluvieuse, récompenses heureuses ? Trop tôt pour en juger mais le film de Michaël Hanneke, AMOUR, s’impose comme remarquable, maîtrisé de bout en bout. L’émotion transcende l’écran. Des sensations qui réchauffent le cœur.

La journée est chargée mais la pluie aura peut-être raison du programme. Car si la violence des vents frappant les parois de la salle du 60ème était surprenante, elle ne laissait pas présager que des poubelles et autres objets s’envolent et frappent les passants ni l’annulation de la projection officielle du film VILLEGAS présenté hors-compétition. Néanmoins la pluie a rendu heureux des marchands de fortune qui revendaient parfois pour 25 euros des micro-parapluies pliables… Mais fera-t-elle notre affaire alors que, pour une fois, nous avons accès à deux soirées sur des plages privées ?

Un film belge était aujourd’hui à l’honneur : HORS LES MURS, le premier long-métrage de David Lambert, programmé à la Semaine de la Critique. Comme nous avons vu le film et qu’en plus nous en avons interviewé le réalisateur, nous avons obtenu un premier sésame – bien que la porte nous fût déjà ouverte. Alors peu nous importe l’ovation reçue lors des projections tant une seule question nous obsède : « La soirée aura-t-elle bien lieu ?»

Alors que l’inquiétude nous ronge, nous faisons un saut au pavillon allemand pour retirer notre invitation à la projection « Next Generation Short Tiger » (des court-métrage que nous ne verrons pas car on y préfère d’abord un film en compétition avant de décider, à défaut d’y avoir accédé, d’aller manger). Bref, nous retirons notre invitation pour la soirée qui suit la projection. Des bonbons en forme de petits ours nous font alors de l’œil. C’est la journée pour penser à la Berlinale où il fait froid et où souvent il neige, mais la queue ne se fait ni à l’extérieur, ni sous la pluie ! (A bien y réfléchir, y fait-on seulement la queue ?)

D’UNE SOIREE A L’AUTRE

BIENVENUE ! Le film HORS LES MURS est co-produit entre la Belgique, le Canada (précisons même le Québec) et la France, et la fête qui lui est consacrée semble louer cette initiative. Y verrons-nous Xavier Dolan qui a assisté dans l’après-midi à la projection du film ? La réponse est simple : non. Sans doute a-t-il préféré la soirée de Wild Bunch… Toujours est-il qu’en smoking ou en tenue de ville le jeune-homme porte un carré rouge, le signe de soutien à la grève des étudiants au Québec ! Aurons-nous l’occasion d’aborder le sujet de la situation de l’éducation et des arts au Québec ? Nous avons encore quelques jours pour répondre à cette question. Après tout, c’est open-bar : pleurons la perte de la cinérobothèque de Montréal en noyant notre chagrin – sincère – dans l’alcool ! Non ? Tout le cinéma belge se trouve sur place, de la délégation du FIFF à celle des Magritte, en passant par Christelle Cornil et l’incontournable Pierre Duculot.

WILLKOMMEN ! Quittons l’équipe de Films Boutique, les vendeurs de HORS LES MURS et faisons un sut du côté du court-métrage allemand. D’emblée l’atmosphère n’est pas la même. Sans doute est-ce dû au Dj-setting… Toutefois,a ver une rigueur surprenante, après un « Last Dance » annonciateur, la fin de soirée sonne comme un glas de manière radicale. Alors, puisqu’il est déjà tard, autant être soulagé – à défaut de faire demi-tour de retrouver une belgitude qui flaire bon la guindaille. Et comme la fête de Wild Bunch se tient au Suquet, l’ascension qui nous conduira à Morphée est loin d’être pénible puisqu’elle nous permet de faire connaissance avec des individus que nous croiserons à nouveau, au mieux dans une autre soirée et au pire dans un autre festival.

Toujours est-il que lorsqu’ils nous proposent de prolonger la soirée, la seule chose à faire est de décliner l’invitation et de  vérifier que le réveil est bien programmé sur 7h. Voilà Cannes : lorsque nous ne cherchons pas à être invité, nous le sommes ! Et demain, si le temps s’y prête, c’est la fête du cinéma belge (francophone) !


19 mai


Entretien avec David Lambert, réalisateur d"Hors les murs"

David Lambert signe avec HORS LES MURS un premier film touchant. Celui-ci est présenté à Cannes, en première mondiale, à la Semaine International de la Critique. Il concourt en outre à la Caméra d'Or. Rencontre.

HORS LES MURS est votre premier long-métrage en tant que réalisateur, mais auparavant vous avez collaboré à plusieurs projets d'écriture : comment êtes-vous arrivé au scénario ?
Quand j'étais étudiant en Littérature, j'étais passionné par la narratologie. Je n'avais pas assez confiance en moi pour me dire que je pouvais être metteur en scène de cinéma mais par contre, comme j'aimais les structures narratives, la dramaturgie, j'ai commencé à beaucoup bosser ça. Je suis arrivé au scénario comme ça. Je voyais que tout le monde voulait réaliser, faire le malin mais n'avait rien à dire. Et je me suis dit que c'était peut-être mieux d'arrêter de faire le malin et d'avoir un truc à dire et pouvoir l'articuler. Ca m'intéressait de ne travailler que ça à la base, plutôt que commencer à se poser des grandes questions sur la mise en scène. De toute façon, la base de la base, pour moi, ça reste le scénario ou ce qui est raconté – après comment on le raconte c'est une autre étape. Je suis passé d'une culture très VHS, où je regardais 5 films par jour quand j'étais adolescent, à des études de Littérature à l'Université et le mixte des deux a donné que j'ai commencé à faire du scénario.

Quelle est la genèse de HORS LES MURS ?
C'est le premier scénario que j'ai écrit quand j'avais 22 ans. Il était dans un version très mauvaise. Je l'ai maturé pendant 15 ans et je suis arrivé à synthétiser toute une série de choses, de ma vie affective et amoureuse, au fur et à mesure qu'elles se déroulaient. J'ai commencé sérieusement à le retravailler il y a 7 ans et, à l'époque, je voulais le faire réaliser par quelqu'un. Je m'étais entêté à devenir scénariste en Europe et à me dire que j'allais trouver mon alter-ego réalisateur qui allait tout comprendre à mon univers… Chose qui ne s'est pas faite. Tous les retours que j'ai eu me disaient de le réaliser moi-même. J'ai fait un court-métrage, VIVRE ENCORE UN PEU, qui a eu le mérite de très bien fonctionner, du coup j'ai eu assez de confiance.

Comment le projet est-il arrivé devant un producteur ?
J'étais sur une co-écriture sur un film qui était produit par Frakas (producteur de HORS LES MURS). On se parlait au téléphone et comme j'avais écrit le court-métrage je l'ai fait lire au producteur. Et il a trouvé ça génial. On a monté le court ensemble et on a fait le long. Sans réfléchir. C'est à dire qu'au moment où j'ai fait le court-métrage je lui ai fait lire le long. Et une fois le court terminé, on a enchaîné sur le long. On s'est vraiment rencontré dans un flux de travail.

HORS LES MURS prend place à Bruxelles. Etait-ce important ?
C'est une ville multi-culturelle où l'on peut se marier entre hommes et où l'on peut fumer des joints sans se faire arrêter. Bruxelles contraste avec la prison française où, une fois que l'on traverse la frontière, on est dans un monde beaucoup plus sécuritaire. Alors qu'on est dans une génération qui est née avec l'Europe et qui n'a pas conscience qu'en traversant une frontière les codes peuvent changer.

Lorsque Paulo rend visite à Ilir en prison, il y a une forme de rite de passage. La frontière est alors effective.
C'est très très doux par rapport à ce que c'est dans la réalité. C'est une réalité que j'ai vécue et c'est beaucoup plus dur au niveau de l'attente et des démarches. Comme on est au cinéma et que ce n'est pas un film spécifiquement la-dessus, j'ai été très vite. Mais ces quelques séquences essaient de raconter ça : comment quelqu'un de très accessible devient, du jour au lendemain, complètement inaccessible.

Vous abordez l'homosexualité avec justesse.
Dans la première partie, il y a un rapport très intimiste où l'amour se déploie dans un cocon qui est la chambre d'Ilir et tout le reste est déjà problématique. Il n'y a rien de l'ordre du coming-out. C'est traité avec drôlerie. Le film n'a pas vocation à donner une image de l'homosexualité, c'est un film sur l'amour. J'ai voulu faire un film avec deux mecs dans une histoire d'amour et, qu'à un moment donné, cela se passe très mal et que ce soit très dramatique… mais que ce soit décomplexé et réaliste.

Comment Guillaume Gouix est arrivé sur le film ?
Je l'avais repéré dans COPACAPANA de Marc Fitoussi et quand je l'ai rencontré en casting, JIMMY RIVIERE n'était pas encore sorti, il était moins exposé que maintenant. Je l'ai casté pour Paulo – au départ c'était Paulo et Désiré, Désiré étant congolais – et c'était une catastrophe, ça n'allait pas du tout pour le personnage. Et puis Guillaume m'est resté en tête. En même temps, mon court-métrage a fait plus de 50 festivals dont 15 dans les pays de l'Est, et visiblement la manière décomplexée d'approcher un trucs de mecs avait un réel impact là-bas. C'était touchant de voir ça. Du coup j'ai changé le personnage et j'ai tout réécrit pour Guillaume. Ce qui a donné un rôle taillé sur mesure. Après il a eu un peu peur.

Il a eu peur d'être catalogué ?
Il y a eu cette peur là mais elle a été vite levée. C'est aussi un rôle qui n'est pas facile à jouer. Sur scénario, une scène de fellation ou une scène de ceinture de chasteté, tu ne sais jamais comment ça va être traité.

Justement par rapport au traitement on n'est jamais dans la monstration.
On est dans une pudeur quasiment extrême et puritaine. Il y a une retenue et une pudeur alors que la sexualité est franchement-là. Mais j'ai voulu rester, toujours, à distance de l'émotion. Je trouve que si tu montres trop de la sexualité, et surtout entre deux mecs, tu casses l'émotion et les vrais enjeux. Je trouve plus érotique quelqu'un d'habillé que quelqu'un complètement nu. Du coup ça correspond à ma configuration érotique. Mais c'est vraiment venu sur le plateau où Guillaume voulait plutôt se foutre à poils et moi je voulais qu'on garde un truc sobre. Et je trouve que dans cette sobriété il y a plus d'émotion qui passe. Comme j'avais mon deuxième film en tête qui va être un truc sur le milieu de la pornographie où je savais que je n'allais pas échapper à la bite en érection… Ca s'est aussi construit sur le deuxième film en préparation dans ma tête. Sur ce film-ci je voulais que ce soit plus retenu. Et quand on rentre dans ce trip-là il y a moyen de faire plein de choses. J'aime bien suggérer. Je trouve ça beau. Mais j'ai pris pleinement conscience de cela quand j'ai vu les rushs. Sur scénario on attendait un truc plus trash.

Le cadrage est relativement serré. Ce qui transcende presque l'intimité.
Quand tu as un scénario, tu te demandes qu'elle est la meilleure place de la caméra pour le raconter. Tu te demandes en fait, qu'est-ce qui m'intéresse moi et qu'est-ce qui va intéresser les autres. Ce qui me semble intéressant, ce sont les personnages, leurs visages et la manière dont l'émotion se crée ou ne se crée pas. Je me suis toujours dit que si je devais résumer HORS LES MURS ce serait assez simple : c'est un film qui se passe dans une chambre de bonne, dans une prison et puis dans une chambre d'hôtel. Mettre une caméra dans ces espaces ne laisse pas quinze milles solutions : tu dois être proche. La base du film ce sont des lieux exigus. Ca réduit les possibilité. J'aime être proche des acteurs au cinéma. J'essaie de trouver la nécessité de chaque plan et de ne pas perdre de temps. Et on peut se passer de plein de trucs, il y a plein de choses qui existent hors cadre, hors champs, hors récit : on n'est pas obligé de tout expliquer.

Pourquoi recourir à une dynamique, ponctuelle, de renfort musicaux extradiégétique ?
Sur mon court-métrage je suis resté dans de la musique intradiégétique tout le temps. Sur la construction de HORS LES MURS, je suis resté très longtemps sur cette idée. Après, comme le personnage est pianiste, avec la compositrice, j'ai essayé de rentrer dans la tête de Paulo. Le but était là. Peut-être que ça ne marche pas du tout et que ça paraît de la soupe, mais il y avait vraiment la volonté de renforcer le personnage et de se dire qu'on entre dans son anxiété avec un morceau qui reste très fouillé et très brouillon. Ce n'est pas un « original score » comme les autres. J'ai co-écrit notamment un film où il y a de la musique tout le temps et je devenais totalement taré car je déteste les renforts musicaux. Ici, j'ai vraiment essayé d'équilibrer à minima. Et entre la version sans musique et la version avec musique je trouve vraiment que le film y gagne – après c'est une question de goût.

Le film est au Festival de Cannes en première mondiale. De quoi devenir orgueilleux ?
Ca me fait plaisir pour le film car je me dis que ça va lui donner beaucoup de visibilité. Et c'est ça qui est important : arriver à ce qu'il soit vu. Je crois à sa nécessité. Ca raconte des choses sur l'amour, sur le surpassement de l'absence et sur le changement de vie qui me semblent importantes. Là où réside mon égo c'est que je pense que mon film est nécessaire, il ne réside pas dans le fait d'être à Cannes. C'est vachement bien pour le film. Et surtout je suis content d'être sélectionné à la Semaine de la Critique. C'est très « cinéphilique », très amoureux du cinéma, sans stratégie, à hauteur humaine : je suis assez content de ça. C'est une sélection qui convient bien au film.

Nicolas Gilson


17 mai


Drôles de Gallinacées

Avant d’inaugurer les projections matinales de 8h30, la nuit fut longue. Pourtant pas de soirée d’ouverture ni de passage à la fête de Wes Anderson organisée pour la première de MOONRISE KINGDOM. Bien que réfugié dans les hauteurs de la vieille ville, dans le Suquet, la tranquillité espérée n’est pas au rendez-vous. De bruyantes poules endimanchées ne cessent de se succéder, claquant les portes des taxis, pleurant leur mal aux pieds à cause de talons trop hauts ou de chaussures trop étroites, chantant leur joie alcoolisée, bref, au premier jour a fait place une première nuit. Celle qui a suivi la première montée officielle des marches, les premiers flash, les premières euphories… Et dans le Suquet les gallinacées sont nombreuses et caquettent même de la manière la plus naturelle du monde en se réveillant avec le soleil ! Si le bruit n’est pas suffisant, les rues sont nettoyées au jet d’eau dès l’aube… et le clocher s’emballe pour vous rappeler qu’il est déjà 8h !

Les escaliers se dévalent à toute vitesse, les ruelles se parcourent avec hâte afin de parvenir dans les temps au Grand Théâtre Lumière. Un passage obligé devant le Palais de Festival où le slalom entre les nombreuses personnes quémandant une invitation pour la projection est de rigueur – en affichant si possible un sourire de compassion signifiant que « non, je suis désolé, je n’ai pas de carton d’invitation » et ce même si foncièrement la seule pensée qui nous parcours l’esprit est qu’il reste une place pas trop excentrée afin d’apprécier la projection. Bref, au deuxième jour on redécouvre les projections matinales. Avec un petit plaisir, celui de fouler le tapis rouge qui, sans les flash, perd toutefois de sa gloire…

Au deuxième jour, ce sont aussi les ouvertures des sections parallèles. Alors tandis que les Français tentent vainement de trouver la manière la plus adéquate de prononcer le nom de Matthias Schoenaerts et que Marion Cotillard minaude à la conférence de presse de DE ROUILLE ET D’OS, on croise de nombreux journalistes dépités de n’avoir pas pu assister à la projection du film de Michel Gondry THE WE AND THE I, le film d’ouverture de la Quinzaine, et on file découvrir MYSTERY de Lou Ye au Certain Regard. Un film noir chinois où l’adultère est cause de bien des maux… et, même si les rebondissements sont nombreux et qu’il y est de loin question de polyamour (de très loin même), on se demande pourquoi le film s’est retrouvé dans la short-list des prétendants à la « Queer Palm ».

Quelques cafés plus tard, la découverture de PARADIES – LIEBE (Paradis – Amour) de l’autrichien Ulrich Seidl est troublante : un sujet fort, un mise en scène intelligente, une interprétation admirable, bref, un premier coup de coeur. Et un café de trop aura un goût amer, celui de ne pas parvenir à assister à l’ouverture officielle de la Quinzaine et de ne pas pouvoir découvrir le film de Gondry*. Alors on se moque bien de la montée des marches, on ne pense plus à la remise du Carrosse d’or** à Nuri Bilge Ceylan et, malgré tout repu par la digestion de trois long-métrage, on en oublie carrément l’ouverture de la Semaine de la Critique où est présenté BROKEN de Rufus Norris. Mais promis, si les rayons du soleil et l’envie viscérale d’aller découvrir les pires jaquettes de film au Marché ne nous empêchent pas de traverser la croisette de bout en bout (enfin presque), on ira à la Semaine ! Et plutôt que manger une glace, on ira peut-être se faire un JAMES BOND dans le sable…


* Nul voyage dans le temps, chaque film de la Quinzaine est programmé deux fois le jour de la première, en matinée et, de manière officielle, en soirée.

** Depuis 2002, les réalisateurs de la SRF rendent hommage à un de leurs pairs en lui remettant ce prix durant le Festival de Cannes. Ce prix vise à récompenser un cinéaste choisi pour « les qualités novatrices de ses films, pour son audace et son intransigeance dans la mise en scène et la production ».

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