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Radu Mihaileanu éclaire les enjeux du printemps arabe : interview

Publié le 9 novembre 2011 dans Actu ciné

La Source des Femmes: “Il y a deux révolutions à faire, celle qu’on voit dans la rue et celle qui se passe à la maison.”
Réalisateur du "Concert", véritable phénomène de l’automne 2009, Radu Mihaileanu est doté d’un sixième sens, son nouveau film "La source des femmes" est en prise avec les événements qui secouent le monde arabe depuis le début 2011.

Quelle est votre réaction par rapport à ce qui se passe dans le monde arabe ?
Je suis heureux, très heureux, même si je sais que rien n’est fait, mais cela bouge. Si, partout, il a fallu beaucoup de courage, les situations sont différentes dans chaque pays.

Les femmes ont-elles pris une part active ?
C’est en cela que je pense, rien n’est fait. Si les femmes - qui ont été actives dans le renversement des régimes - ne sont pas associées à leur transformation, ces révolutions n’iront pas loin. Tant que la révolution n’aura pas lieu à l’intérieur de la maison, il ne pourra y avoir de démocratie, ce sera juste un changement de pouvoir, des militaires remplacés par des islamistes, un pouvoir d’hommes, une autre dictature. Il y a deux révolutions à faire, celle qu’on voit dans la rue et celle qui se passe à la maison. Si on ne donne pas du pouvoir aux femmes, si on ne leur permet pas d’étudier, si on continue les mariages forcés et à détourner le Coran, rien ne va changer. On oublie trop vite que c’était la même chose dans la civilisation chrétienne. L’homme veut le pouvoir, et il ne laisse pas la femme y accéder.

Mais vous montrez que certains sont mûrs pour le partage.
Le film ne s’adresse pas qu’au monde arabe. Dans nos sociétés occidentales, l’égalité est encore loin d’être parfaite entre hommes et femmes. Quand je prends le Thalys Paris-Bruxelles, la première classe, celle des gens qui ont du pouvoir, est occupée par des hommes. Et puis, le film parle aussi de l’amour entre l’homme et la femme. Cette relation est de plus en plus difficile dans toutes les sociétés, car chacun s’aime lui-même de plus en plus. Par peur, nous avons de moins en moins la capacité d’aimer les autres. Une des raisons, c’est que nous n’avons plus de temps. Le temps est brisé dans nos sociétés. Notre seule préoccupation, c’est nous-même.

Est-on passé de la société de consommation à la société de la peur ?
Je le pense. Nous avons peur de tout et, dès lors, nous avons l’impression qu’il faut tout sauver, tout sécuriser. Ça me rappelle la période fasciste. Nous ne prenons plus le temps de nous poser la question : qui suis-je ? Cela prend du temps, et que nous sommes dans la société de l’immédiateté, de la vitesse. Tout doit aller vite, il n’y a pas de temps pour réfléchir, pour voir les autres, construire quelque chose ensemble. Nous sommes en train de détruire l’essentiel de la condition humaine. Celle-ci se compose de moi et de l’autre. Si on coupe l’autre, je deviens malade, car, en fait, on coupe la moitié de moi-même. On ne peut se construire sans les autres, sans miroir. Le film parle de cela. Quand les femmes demandent qu’on leur apporte l’eau. Métaphoriquement, elles demandent qu’on leur apporte l’amour. Partout, le désert avance, dans notre âme, aussi.

Les Russes dans “Le Concert”, les Falashas, ces juifs noirs d’Ethiopie, dans “Va, vis et deviens”, votre filmographie ressemble à un voyage à travers les cultures.
C’est ma passion, mon mode de vie. J’ai besoin de vivre avec les autres. Sans les autres, je me sens malheureux, misérable. Le cinéma est mon moyen d’aller à leur rencontre, leur sensibilité, leur subjectivité. J’adore écouter les histoires de partout. Grâce aux festivals, aux sorties de mes films, je vais aux quatre coins du monde où j’écoute les histoires qu’on me raconte. Ces gens-là sont très différents de moi dans leur façon de penser, de se comporter, et pourtant, ils vivent les mêmes problèmes, ils se posent les mêmes questions. Cela n’a pas de sens de vouloir manger la même chose tous les jours, j’ai envie de tout goûter.

Dans le film, êtes-vous présent dans la peau du journaliste ?
Oui. Parce que de manière métaphorique, il ne s’intéresse qu’aux petites choses, aux insectes. Aujourd’hui, on ne s’intéresse qu’à des grosses affaires qui existent dans un monde de plus en plus virtuel. Pour moi, le vrai monde, la vraie vie sont dans les détails. Si on tue ces petites bestioles, on tue la vie. Quand il a trahi Leila, c’était pour une femme riche. Il n’a pas fait attention aux détails. Leila n’était pas riche, c’était une petite chose. Mais cette petite chose était le vrai amour. Sincère. Nos yeux sont attirés par ce qui est gros, spectaculaire, alors qu’il y a tant de petites choses merveilleuses à nos côtés. Toutes ces petites choses qui font la beauté de notre vie.

Entretien à Cannes, Fernand Denis

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