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Jaco Van Dormael fut à 2 mm de tourner "Tintin au Tibet"

Publié le 20 octobre 2011 dans Actu ciné

“La spécificité du film “rêvé”, c’est qu’il a un seul spectateur. J’ai fait une projection dans mon lobe frontal, j’ai bien aimé.”
"J’ai vécu six mois avec Tintin, et ce n’est pas un mauvais souvenir", nous confie Jaco Van Dormael, juste après avoir refermé la porte de sa maison, en face du Wolvendael à Uccle, ce parc ou des milliers d’enfants ont caressé, des années durant, la statue du célèbre reporter belge coulée dans le bronze par Nat Neujean.

"C’est un film rêvé, car tous les films ne sont pas tournés", observe le réalisateur de "Toto, le héros". On espère toutefois que le scénario qu’il vient d’écrire avec Thomas Gunzig connaîtra un autre sort. On a trop envie de le voir ce "Dieu existe, il habite à Bruxelles".

"La spécificité du film rêvé, c’est qu’il a un seul spectateur. J’ai fait une projection privée dans mon lobe frontal, j’ai bien aimé (rires). Ça se passe en 97- 98, je pense. A ce moment, Claude Berri, qui avait les droits, venait d’abandonner. Tintin m’attirait énormément, parce que, comme tous les Belges, j’ai appris à lire avec Tintin. Et au-delà, je pense qu’il m’a beaucoup influencé. Quand la possibilité est apparue, que l’intérêt de Moulinsart s’est manifesté, je me suis mis au travail. La contrainte, c’était que Moulinsart voulait approuver le scénario. Cela a refroidi pas mal de candidats, dont Jean-Pierre Jeunet après moi. J’ai quand même fait le pari de me lancer sans avoir les droits. J’ai travaillé un peu avec Benoît Peeters, et j’ai écrit un traitement d’une trentaine de pages avec quelques images de storyboard.

J’étais parti de l’histoire d’amitié avec Tchang. En effet, la difficulté avec la plupart des albums de Tintin, c’est leur structure picaresque, à la Don Quichotte. Et alors, et alors, et alors ! On va de rebondissement en rebondissement. En revanche, "Tintin au Tibet" a une structure plus proche du cinéma et surtout une dimension émotionnelle. En plus, cette histoire d’amitié commençait déjà dans "Le Lotus Bleu" qui pouvait donc servir en flash-back. Et plus j’étudiais l’adaptation, plus mon intérêt pour Hergé grandissait, notamment pour sa relation d’amitié avec Tchang. Au moment de la révolution culturelle, il n’avait plus du tout de nouvelles de son ami. Celui-ci était sculpteur et les gardes rouges avaient rassemblé toutes ses œuvres dans une pièce et l’avaient obligé à tout détruire à la masse. C’était sa punition! Au même moment, Hergé était au faîte de sa gloire. Il y avait une histoire linéaire, celle de l’album. Il y avait le flash-back avec le "Lotus Bleu". En parallèle et en pointillé, il y avait l’amitié entre Hergé et Tchang. Et puis, il y avait une superstructure où les personnages se demandent s’il n’y a pas un envers au décor, où le personnage de Tintin ne sait pas qu’il est la créature d’Hergé. Comme le film ne s’est pas fait, j’ai repris quelques idées dans "Mr Nobody".

A l’époque, on ne disposait pas de la technologie d’aujourd’hui; je souhaitais travailler avec des personnages réels évoluant dans des décors en images de synthèse, autrement dit, avec des acteurs jouant devant un écran vert. J’avais pensé à Macaulay Culkin dans le rôle de Tintin, je l’avais d’ailleurs rencontré à Londres. Je voulais approcher cette sensation 2D stylisée, cela devait avoir l’air vrai et faux à la fois. Et dans l’ombre, il y avait Hergé. A un moment donné, Tintin quittait son monde pour entrer dans le réel et se retrouvait dans la chambre d’Hergé, face à son créateur.

Je pense que ce n’était pas ce que Moulinsart attendait. Ils voulaient un album adapté le plus fidèlement possible. Parce que ce sont des héritiers, pas des auteurs. Si Hergé avait donné son accord, il l’aurait donné en tant qu’auteur en accordant une latitude. D’une certaine manière, il l’avait donnée à Spielberg, puisqu’il l’avait choisi. Les héritiers, je pense, sont plus dans le respect de l’œuvre. On est tout de même allé jusqu’au jour de la signature avec la bouteille de champagne, le contrat, le stylo que Nick Rodwell décapuchonne, la plume qui s’approche de l’endroit où il va signer. Il hésite un moment, il referme. Il dit à mon producteur Philippe Godeau et à moi : "Je dois encore réfléchir la nuit là-dessus. Je vous rappelle demain." Il n’a jamais rappelé."


Fernand Denis

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