letizia

letizia
  • Membre depuis le 03/03/2009
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Publié le 3 mars 2009
« Le passé n’est pas mort, il n’est même pas passé »*. Cette phrase résonne sous mes pas et m’enserre alors que je marche le long du couloir grillagé qui me mène au métro tentant peu à peu de rassembler les sensations éparpillées de ma vision du film « La Bande à Baader. Chronique des années de plomb. » Le film est basé sur l’ouvrage éponyme de Stefan Aust, journaliste allemand et se concentre sur l’histoire de la Fraction armée rouge (RAF) à partir de ses débuts en 1968 jusqu'à l’automne 1977. Le film commence sur une plage nudiste sous une musique qui scande “Oh lord, won’t you buy me a Mercedez Benz » et un couple, celui de Ulrike Meinhof, une journaliste allemande de gauche en vue, venant de publier une lettre-pamphlet à Farah Dibah, l’épouse du Shah d’Iran. Nous sommes en mai 1967, la visite officielle en Allemagne du Chah et de son épouse, déclenche une vague de manifestations dont une dégénère en bain de sang. Le 9 octobre de la même année, Che Guevara est exécuté en Bolivie. Le 2 avril 1968, deux semaines après le massacre de My Lai au Viêt-Nam et deux jours avant l’assassinat de Martin Luther King à Memphis, Andreas Baader, militant contre l’intervention américaine au Viêt-Nam met le feu aux deux grands magasins Kaufhaus à Frankfort, avec l’aide de Gudrun Ensslin, sa compagne et un ami, en protestation contre "l’indifférence de la population ouest-allemande face à la guerre impérialiste des Américains", provoquant ainsi d’importants dégâts matériels mais pas de blessés. Dans le contexte des révoltes estudiantines en Europe et de l’essoufflement des mouvements contestataires contre la guerre du Viêt-Nam aux Etats-Unis, Ulrike Meinhof, soutient le mouvement anarchiste naissant de Baader, qui sera soutenu par une jeunesse allemande révoltée contre la génération précédente,directement issue des jeunesses hitlériennes. Deux ans plus tard, Baader est arrêté et emprisonné à Berlin-Ouest. Ulrike Meinhof aidera le groupe à organiser son évasion et bascule ainsi dans la lutte armée, devenant l'une des combattantes les plus actives du RAF et porteuse de la pensée politique du groupe. Ainsi naît « La bande à Baader » qui va terroriser l’Allemagne sur trois générations qui se succèderont dans la lutte armée et dont l’épisode culminant en automne 1977 se termine par le suicide (version officielle) des membres de la RAF en prison et l'exécution de Hanns-Martin Schleyer, représentants des patrons allemands et président de la société Daimler-Benz, otage devenu inutile. Sorte de biopic sur la genèse et l’évolution de la bande à Baader, le film par les échos qu’il génère entre les époques réussit toutefois à aller au-delà d'une simple chronique. Au niveau du style, le film surfe à la façon d’un clip, dans le tissu de l’histoire pour élaborer une reconstitution réaliste des évènements principaux. On regrette immédiatement que le film n’ait pas utilisé plus d'images d’archives et posé une réflexion sur l'histoire et sa répétition et sur l’image elle-même introduisant un espace critique au sein même de la terreur tant il est vrai que les questions posées par l’action de la RAF et le climat général de son émergence demeurent aujourd’hui d’une rare actualité. Au travers des extraits cités de la pensée d’Ulrike Meinhof, le film réussit néanmoins à donner au personnage une profondeur qui ébauche le questionnement de l’engagement politique et la lutte armée : A partir de quand agir ? Comment agir ? A partir de quand écrire n’est-il plus agir ? Quand l’homme peut-il éradiquer le mal qu’il identifie comme tel ? Quand l’éradication de l’autre, personnifiant ce mal, est-elle justifiée ? Quelle alternative face à la violence de l’Etat ? Malgré et peut-être précisément de par ces manquements et au vu du climat politique actuel, « La bande à Baader » est un film qui ne s’est pas laissé regarder sans laisser de traces. Traces de frémissement devant l’hyperréalisme d’une manifestation de contestation se transformant en bain de sang alliant la police contre les manifestants (rappelant les images des contestations d'Athènes, le sommet du G8 à Gênes, certaines interventions policières dans toute l’Europe lors des contestations d’expulsions de sans-papiers etc…). Traces face au doute d’une journaliste de gauche devant les tragédies de la guerre du Viêt-Nam et le glissement de son engagement politique vers la lutte armée au sein de la RAF. Traces des textes d’Ulrike Meinhof qui allient lucidité et radicalité. Traces de la lutte des militants en prison et de la solidarité de leurs camarades dehors contre la séparation et l’oubli ; traces encore de la violence à l’intérieur du groupe comme mode de fonctionnement. Traces d’un discours anti-israélien ambiant à l'époque, traces des amalgames véhiculés. Traces d’un temps qui s’écoule sans passer. Soutenu par d’excellents acteurs, ce film se laisse voir comme un « bon film d’action ». Mais c’est précisément le problème. Il ne retravaille rien. Fonctionnant en vignettes historiques créant des échos avec l’actualité d’aujourd’hui, le film, pour être vu, demande à être recomposé. Le danger est qu’il soit pris comme tel, comme une sorte de documentaire réaliste, écrasant ainsi l’histoire et la mémoire dans un récit dont la morale pourrait tout simplement viser à « éduquer » la jeunesse allemande contre les dérives de l’engagement politique vers la lutte armée, alors que nous traversons un temps qui appelle désespérément un changement de point de vue. Dans cette nécessité d’alternative, le danger de donner une valeur documentaire à ce film est de, ce faisant, occulter le réel au profit d’une vision spectaculaire de l’Histoire, permettant ainsi des reconfigurations historiques faisant l’impasse sur les failles réelles de ce qui nous traverse de génération en génération et éloignant finalement le spectateur d’une véritable interrogation historique pourtant des plus urgentes. « Si nous sommes attaqués par l'ennemi, c'est une bonne chose, car cela prouve que nous avons tracé une ligne de démarcation bien nette entre l'ennemi et nous. » (Mao Tsé Toung). La question centrale de ce film et son actualité est bien celle-là. Cette limite entre l’Etat et le « terroriste », entre l’ennemi et moi, entre l’autre et moi est peut-être la question qui traverse la lutte armée et le terrorisme de manière la plus tragique. Dans cette lutte, l’Etat et le terroriste forment un couple fatal. Contre une forme d’oppression, le terrorisme en offre une autre. A la question de savoir ce qui motive les groupes armés et leurs sacrifices : un « mythe » dit l’Etat. Le droit au mythe serait-il alors ce que se disputent l’État et le « terroriste » ? Plutôt image d’un mythe et l'incapacité de celui-ci à se renouveler, à promettre une transmission. Voilà bien l’enjeu de l’Allemagne au lendemain de la guerre, question au cœur même du rapport à l'histoire et à l'image. Ce film nous a engagé dans une réflexion qui le dépasse de loin: la question d’un rapport nouveau au mythe est peut-être précisément ce qui serait susceptible d'engager un rapport nouveau à l'Etat et tous les mythes qui l’accompagnent. Un mythe pour être instrument de pouvoir doit être une image, ce n'est que lorsque le mythe quitte l'image et se renouvelle par une réappropriation et une transmission qu’il fait véritablement œuvre de processus humain et non d’enfermement. En tant qu’image, le mythe de l'État démocratique comme celui de la liberté révolutionnaire, n’est qu’un souffle enfermé … et c’est précisément ce que tend à perpétuer ce film : une image en lieu et place d’une parole et d'un regard. Pour en savoir plus : - Le procès Baader-Meinhof (Stammheim), un film de Reinhard Hauff (Scénario : Stefan Aust) - Fraction armée rouge (Baader), un film de Christopher Roth - L’automne allemand. 1977-1978, un film collectif de R.W. Fassbinder, V. Schlondörff etc. - Le Faussaire, un film de Volker Schlöndorff - http://www.baader-meinhof.com/ - J. Smith, André Moncourt. The Red Army Faction, A Documentary History. Projectiles for the People, February 2009. - The Baader-Meinhof Complex, ouvrage de Stefan Aust, journaliste à Der Spiegel. * William Faulkner
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