lesynge

lesynge
  • 68 ans
  • Membre depuis le 16/07/2019
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Publié le 16 juillet 2019
Ne me demandez pas quel lien de parenté pourrait exister entre Camille et Pierre Vidal-Naquet : je n'en sais rien. Je ne puis que rappeler ici que Pierre Vidal-Naquet a été un très brillant historien, helléniste émérite, et un penseur engagé. Quant à Camille, il signe ici, à 46 ans, un premier long métrage très remarqué et surtout très remarquable. Le Bois de Boulogne, la rue, les mecs, d'autres mecs qui se paient leurs services,... un monde en marge que fréquente un monde qui, lui, est loin d'être à la marge. Deux ans de bénévolat au sein d'une association qui pratique la maraude au Bois de Boulogne, ont nourri Camille Vidal-Naquet dans l'élaboration de son scénario et dans le dessin du contexte. Mais ces années l'ont sans aucun doute marqué d'une profonde et sincère empathie. Le monde dans lequel il nous plonge est à peine imaginable : jamais je n'aurais pensé que l'on pouvait être paumé à ce point, à une demi-coudée des quartiers les plus chics de Paris. Je pense n'avoir jamais vu de ma vie de film aussi dénué d'intention manichéiste que celui-ci. Les personnages sont entièrement libres d'être ce qu'ils sont, et ne doivent rendre de compte à personne. C'est une très grande force du film : montrer. Sans commentaire, sans jugement. Il faut évidemment, quand on adopte cette posture éminemment respectable, pouvoir tout de même captiver le spectateur auquel on voudrait offrir autre chose que le compte-rendu analytique d'une séance de dissection anatomique ou sociale. Camille Vidal-Naquet triomphe de cette difficulté en poursuivant, en couvrant devrais-je dire, sans relâche de sa caméra le personnage principal : Léo (dit Draga), jeune prostitué mâle qui se donne (aime ? voudrait aimer ? aimait ? aimera ?) à d'autres mâles. Le regard de Camille est sans complaisance. Mais il se situe au plus près des tripes et de l'animalité de son sujet. Est-on pour autant dans un monde de brutes ? Oh que non ! Tarifées ou non, acceptées ou avortées, les scènes de tendresse ne manquent pas. Je devrais plutôt dire sans doute les scènes d'appel à la tendresse, d'appels sans écho, d'échos larvés, d'un désir profond dont l'assouvissement n'est pas montré. Pas montré parce que ni garanti ni exclu. Sa deuxième force, le film la trouve en son interprète principal : Félix Maritaud. Celui-ci dira qu'il s'agissait d'une prestation, du prêt de son corps et de sa voix à son personnage. Oui, bien sûr : je ne voudrais pas ne pas reconnaître ici la part de travail, de talent, de disponibilité à la scène dont fait montre le jeune interprète. Mais ce qui est exceptionnel en lui, c'est qu'il est incapable d'insincérité. Il est comme une pierre brute en laquelle se loverait pour longtemps encore le plus pur des diamants, il est comme le minerai dont le métal précieux bout dans ses veines enfouies, il est comme le feu de la terre issu de ses entrailles, les marbrures de son corps sont telluriques, la sauvagerie de son regard est primale, sa voix est celle de la nudité absolue, sans fard. Le film et l'acteur nous rapprochent, avec une fraîcheur que le sujet ne nous aurait pas permis de deviner, d'une sorte de genèse. Dit avec ma plus grande reconnaissance, en ce mois de juillet 2019.
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