Schizophrenia, le tueur de l'ombre

Titre original: Angst
Origines:
  • Autriche
  • Allemagne
Genres:
  • Crime
  • Horreur
Public: Tout public
Année de production: 1983
Durée: 1h22
Synopsis : Tout juste sorti de prison après avoir purgé une longue peine pour meurtre avec préméditation, un psychopathe se lance à la recherche de sa nouvelle proie à abattre. Il trouve de nouvelles victimes potentielles dans une maison où vivent une vieille dame et ses deux enfants...
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Publié le 14 août 2012
Silent Survivor est le titre d'une longue piste (31 minutes) inclue sur la réédition de la musique du film Angst de Gerald Kargl et signée Klaus Schulze. Morceau redécouvert sur des bandes oubliées, dont le seul point commun avec ceux de la bande originale est d'avoir été composé à la même époque, Silent Survivor a tout de l'inédit sorti du fond des tiroirs, qui ne ravira que les fans en stade terminal. La piste, avec ses drones de synthés industriels improvisés qui surgissent vers la moitié de la piste, mixés très en avant, notes plaquées sur la clavier à la manière brutale d'un Thelonius Monk, n'aurait pourtant pas dépareillé sur le film qui, fait rare, a été monté en fonction de la musique et non l'inverse (elle fut composée intégralement avant le tournage). Quel rapport, me direz-vous, avec le film lui-même, diamant noir égaré de la boite de Pandore de la décennie, et récemment exhumé en DVD par Carlotta ? Eh bien la logique d'effacement, d'oubli, qui préside à la destinée funeste de ce film véritablement maudit. Ce track absent est la clef pour (ne pas) entrer dans Angst, film que tout le monde semble vouloir oublier, de Schulze parce qu'il juge le résultat « ridicule » (dans les notes de l'album il écrit : « C'était un film tellement fou que je me demande qui ils auraient finalement dû arrêter : le tueur (dont s'inspire le récit -ndlr) ou le réalisateur ») au réalisateur lui-même par amertume envers le résultat final, dont il ne veut plus parler. Gerald Kargl appartient à cette catégorie assez rare de cinéastes dont le premier long-métrage est leur chef-d’œuvre... parce qu'ils n'en ont jamais tourné d'autres ! On lui adjoindra en priorité La Nuit du Chasseur de Charles Laughton et Honeymoon Killers de Leonard Kastle. Claude Beylie écrivait au sujet du second dans « Vers une Cinémathèque Idéale », en 1982 : « Rien n'exige d'un cinéaste plus de tact et de mesure que le traitement d'un fait divers sordide (...). La monstruosité est un vrai miroir aux alouettes. C'est un succédané grossier du mélodrame, une perche boueuse tendue aux médiocres, amateurs d'émotions fortes ». Empoignant cette citation a contrario un an plus tard (même s'il ne l'a sûrement pas lue), Kargl en redéfinit le relent moraliste bon teint et implante une caméra-satellite autour de son anti-héros affolé et ridicule, un tueur vaguement inspiré d'un autre, bien réel, qui défrayait alors la chronique pour avoir assassiné dans les quelques heures qui suivaient sa sortie de prison. A mille lieux de la question malgré son évidente actualité politique (et les débats qu'on imagine sur la récidive, sur la perpétuité effective pour les psychopathes, sur leur traitement en hôpital plutôt qu'en prison), Kargl n'essaye pas de nous faire pénétrer l'esprit du tueur (comme le ferait n'importe quelle série TV policière de bas étage) mais véritablement de nous faire « tourner autour » d'un corps affolé, gluant de sueur, cet animal plus traqué que traqueur par un système d'oppression sociétal auquel le dispositif filmique se joint volontiers, le découpage se partageant en mouvement de grue ascendants complètement délirants et système de miroirs très complexe élaboré par Zbigniew Rybczy?ski permettant de tournoyer, via un système de harnais, autour de ce personnage qui nous embarque dans une traque démentielle, filmée en quasi-temps réel avec des ellipses très discrètes (de sa sortie de prison au lendemain matin). La descente aux enfers du personnage se double ainsi d'une « montée au ciel » de la caméra : cinéma du pur vertige, ni terrestre ni aérien mais occupé à mesurer la distance entre les deux, cinéma du sentiment du sol qui se dérobe sous les pieds, des échelles impossibles. Kargl invente tout un langage passant du micro au macroscopique, un grotesque carnavalesque et psychédélique (l'état d'hystérie et de transe qui saisit le tueur le réduit à l'état de gros insecte affolé) et dix prouesses techniques à la minute pour éviter de nous noyer dans un réel d'une glauquerie rarement atteinte. Grâce à cette attention au public (et à mille lieux de toute envie d'épate gratuite), Kargl évite la complaisance du cantonnement au point de vue subjectif d'un malade mental, auquel trop de réalisateurs irresponsables associent leurs spectateur. Chaque plan de Angst devient une micro-symphonie hallucinée, trop occupée à topographier l'univers de la banlieue autrichienne pour être tout à fait contaminé par la fièvre de tuer du personnage, un but unique et si simple que ses ramifications ne peuvent être que complexes, un décalage tel avec le déroulé de l'action qu'il débouche souvent sur des sommets de burlesque inattendu (la grand-mère qui meurt collée au mur), de décollement (humour=décalage, et ici on ne saurait être plus littéral) de l'horreur hyperréaliste vers le cauchemar kafkaïen. Soyons clairs mais précis : ce qui est proprement traumatisant dans Angst est le traitement de l'anecdote et du personnage par le travail de la caméra et de la mise en scène, pas cette anecdote elle-même, ni le niveau de violence ou de gore représenté, toujours rallié à l'humour (les giclées de sang subjectives des jugulaires de la fille). Le tueur-né, mais loser fini, à mille lieux des psychopathes à l'intelligence démoniaque et la précision melvilienne de toutes les séries (A à Z) américaines, rappelle volontiers le Archibald de la Cruz de Bunuel. Et le réel de tomber par pans entiers dans un imaginaire sordide qui renverse la vieille opposition réalité/fantasme (où le second est vécu comme un échappatoire à la première), tandis que le tueur nous inonde d'une voix-off au curieux statut (écrite au passé comme une confession) qui ne cesse d'évoluer à mesure que les « plans » qu'il élabore se soldent par des échecs les uns après les autres, dessinant une figure de minable monomaniaque incapable d'exécuter son délire. L'originalité de ce ton, de cette thématique finalement rohmerienne de l'écart entre les intentions énoncées d'un homme et ses actes réels, se mesure bien à l'extrait qui suit : « Je montrerai ces cadavres à mes futures victimes : elles en mourront de peur » annonce le tueur dans son délire tandis qu'il sort de la propriété en voiture avec les corps dans le coffre. A peine a-t-il fait dix mètres qu'il percute un autre véhicule et prend péniblement la fuite dans un état de panique total avant d'être arrêté à la station service où son calvaire avait commencé, dans un calme absolu. La même année 1983 verra l'antithèse de Angst sortir sur les écrans : L'argent de Bresson. La société est omniprésente dans L'argent ; le protagoniste de Angst s'en coupe immédiatement après un contact traumatisant (scène de la station service). Mais l'un comme l'autre, débarrassés de leur aura funeste, sont des films d'une profonde tristesse sur l'incapacité de vivre dans un monde mécanisé où les gens sont des machines absurdes aux réactions téléguidées. Nihilistes, ni l'un ni l'autre ne dessinent d'échappatoire, de rêveries ni de solution même provisoire (sinon la repentance chez Bresson le catholique, mais elle est bien maigre en proportion du chemin de croix). La (re)découverte de ce Angst se double donc de la cruauté qu'une telle inventivité de metteur en scène, une telle originalité de ton, une telle audace formelle ait été réduite au silence suite à cet échec public (sans compter les entraves en France de la commission de contrôle, insensible au caractère de farce grossière du film), dont l'influence se sent pourtant sur toute une génération de cinéastes de genre. On peut voir toute la filmographie de Gaspard Noé (pour ne citer que lui, Seul Contre Tous en tête) comme des variations mineures sur Angst.
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