L'Incroyable vérité

Titre original: The Unbelievable Truth
Origine:
  • États-Unis
Genre:
  • Comédie dramatique
Public: Tout public
Année de production: 1989
Durée: 1h30
Synopsis : Josh Hutton, après un séjour en prison pour meurtre, retourne dans son village natal. Il rencontre Audry, toute jeune fille avec laquelle il sympathise. Elle lui propose de travailler pour son père qui tient un garage. Excellent mécanicien, il l'embauche, mais il voit d'un mauvais oeil Josh tomber peu à peu sous le charme de sa fille.
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Publié le 3 juillet 2012
Un mécanicien taciturne sort de prison (Robert John Burke, à l'underplay bressonien) et revient dans sa petite ville de province natale, comme un étranger au début d'un western. Une lycéenne qui rêve de fin du monde (regrettée Adrienne Shelly) solde son existence proprette et son futur tout tracé pour partir avec lui. L'actualité de ce film qui se termine par un discret mouvement de grue ascendant des deux amants regardant arriver la catastrophe à l'horizon n'est pas à démontrer : la politique mondiale et les spectres d'hier ont changé, mais le climat dépressif et le sentiment d'urgence dépassée sont étrangement similaires. Apocalypse now, redux. Les premiers films d'Hal Hartley, réalisés dans un mouchoir de poche entre 1989 et 1993 sont arrivés en Europe en sorties successives, de l'automne 1991 et l'hiver 1993. Indépendant, Hal Hartley l'est économiquement, mais aussi et surtout esthétiquement : The Unbelievable Truth (1989), Trust (1990), Simple Men (1992), Survivng Desire (1983) & Flirt (1993) faisaient entendre sa voix bien personnelle, mais bien solitaire aussi. L'inouï chez Hartley tient d'une condensation narrative autour d'observation de la vie en banlieue des petites villes telle qu'il n'y avait guère alors que Lynch avec Blue Velvet, et plus lointainement Preston Sturges, pour la satiriser. "What is she talkin' about ?" demande le père très terre-à-terre qui ne comprend rien aux prédictions nostradamusiennes de sa fille à la table du petit-déjeuner. "She's talking about the end of the world, and by the way the washing machine is broken !" répond la mère en trainant les pieds, voilà pour le ton décapant de l'ensemble. Un découpage intense, une puissance dynamique de volumes qui n'est pas sans évoquer Raoul Walsh (ses axes favorisant les diagonales du cadre, ses angles d'attaques et de fin de scènes qui témoignent du même esprit de synthèse, de la même concision), un tranchant opaque de l'ellipse et des cuts du montage, une dilatation, un suspens des réactions de personnages, un retard dans la réplique d'où nait un intense humour à froid, laconique et pince-sans-rire. Il y a des petits mouvements de caméra, comme le travelling demi-circulaire dans le garage, ou la très légère ascension de grue du plan final, mais ils sont toujours discrets, très coulés. Peu de cinéastes, hormis Clint Eastwood peut-être, auront si bien fait entendre le désarroi moral (ce "teen angst") et l'état psychique perturbé des années 90 naissantes, un état d'hypersensibilité épidermique mais aussi de détachement désincarné, une façon d'être au monde sans être au réel qui se radicalisera début 2000 (Elephant de Van Sant) qu'on retrouve plus en musique chez Yo La Tengo bien sûr (souvent au générique de ses films), Morphine, Red House Painters, Low, Slint, Lycia, Galaxie 500 ou Windy & Carl mais aussi chez Lisa Germano, Lida Husik, Juliana Hatfield (qui semblent les modèles les plus directs pour l'inspiration de ses personnages féminins). La musique de Jim Coleman anticipe d'ailleurs ici le "Edge of the Ape Oven" des Royal Trux de trois ans (boite à rythme disloquée et guitare désossée). Vus à hauteur d'homme, leçon bressonienne oblige, ses personnages sont d'une extrême solitude et profondeur, dotés d'une riche vie intérieure même si parfois réduits à des silhouettes ou croqués en deux répliques (le photographe), et surtout très inquiets, sans avenir plausible. Ce sont les femmes qui prédisent et ressentent l'imminente fin du monde tandis que les hommes feignent de se déchirer dans des combats de coqs pour se faire remarquer. Hal Hartley, cœur à vif, forge un vocabulaire personnel entre l'existentialisme de Schatzberg, celui de Malick et l'absurde de Jim Jarmusch (et donc de Beckett), dans le cinéma indépendant américain toujours préoccupé par les vies à la dérive, sans attaches, et les schèmes éprouvés de la comédie de mœurs cynique. Todd Solondz, très influencé par Hartley, en sera le point d'aboutissement. En exhibant le squelette de son storytelling rôdé (les intertitres « but », « meanwhile » en sont les stigmates), Hartley pose des archétypes pour mieux leur planter dans le dos un récit de comédie romantique à la Miracle of Morgan's Creek, où Chris Cooke ressemble d'ailleurs à William Demarest. Nombre de spectateurs cesseraient de s'emballer pour les fades comédies actuelles s'ils connaissaient seulement le travail, injustement oublié, de Hal Hartley.
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