Les chants de Mandrin

Origine:
  • France
Genres:
  • Film historique
  • Aventure
  • Drame
Public: Tout public
Année de production: 2011
Durée: 1h37
Synopsis : Le film commence après l’exécution de Louis Mandrin, célèbre hors-la-loi et héros populaire du milieu du 18e siècle, et s’attache à montrer comment ses hommes prolongent l’œuvre de leur chef défunt. Ils continuent à pratiquer le commerce de contrebande, à lutter contre la police du pouvoir, à vendre au peuple des marchandises à bas prix soustraites à la forte imposition pratiquée à l’époque. Mais ils ne se contentent pas d’action, ils entretiennent la mémoire de Mandrin par le chant et l’écrit. Ce qui est beau aussi, c’est cette alliance entre la politique et la culture, le vécu et l’imaginaire, le réel et le mythe, et le fait qu’elle n’est pas réservée aux élites mais irrigue les couches populaires.
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Publié le 22 août 2012
Avec la bande à Mandrin, brigands exilés en rase campagne dans l'Aveyron et l'Hérault du XVIIIè qui entament une nouvelle campagne de contrebande suite à l'exécution de leur meneur, Rabah Ameur-Zaïmeche (scénariste, réalisateur, acteur, producteur et même imprimeur) a trouvé une utopie pour juguler la complainte de Mandrin et par la même occasion, réalisé son meilleur film. Ameur-Zaïmeche a le goût du « poétique dans l'historique » (pour reprendre le mot d'Ishaghpour sur Godard), et celui de la fable, transforme l'essai métaphorique (Dernier Maquis) en allégorie fantasmatique mais très concrète (les combats, le marché libre). La première brise à souffler les braises du récit ne tarde pas à venir : voilà que le marquis (Jacques Nolot, dans son meilleur rôle en tant qu'acteur) recueille un colporteur égaré (Christian Milia-Darmezin) dans son carrosse. Mais le commerçant n'est pas habitué à ce mode de transport et les hoquets rocailleux de la route ne tardent pas à lui donner des hauts-le-coeur. Tandis que le colporteur supplie son hôte d'arrêter le véhicule, le fou-rire qui prend le marquis est aussi celui de l'acteur qui le joue -et qui ne le joue plus à ce moment-là. Les disjonctions et court-circuits narratifs opérés par Rabah Ameur-Zaïmeche (abrévions R.A.Z.) ne conduisent pas à une réflexion, vue et revue chez d'autres, sur le film et sa fabrication, parce qu'il aurait lu quelque part que « tout film de fiction est avant tout un documentaire sur sa fabrication », mais sur la jouissance du spectateur, en prise directe avec la confection toute artisanale du film qu'il a sous les yeux. Retour à la jouissance de la chose-cinéma contre plaisir de l'effet-cinéma (Holy Motors,Twixt : les films importants de 2012 y reviennent décidément). « Le plaisir, au cinéma, a partie liée au triomphe d'une illusion : le spectacle d'un personnage-acteur-corps-voix confondus. Au plein de cette confusion. » (S.Daney,La Rampe,p.69). Or qui vois-je dans Les Chants de Mandrin ? Le rôle ou la joie de l'acteur à le jouer ? Les deux, rigoureusement superposés. Non plus « cacher cet acteur que je ne saurais voir » mais « montrez cette confusion qui n'opère plus » mais qui peut me réjouir autant qu'elle embrase l'écran. Les plus beaux moments du film sont aussi les plus instables, et c'est toute l'honnêteté de R.A.Z. que de rendre cette fragilité du matériau à son équivoque fondateur. La démarche atteint un pic à la fin lorsque le réalisateur prend l'acteur dans ses bras et hurle le vers manquant de la complainte : « Du haut de ma potence/ Je regarde la France ». Le réalisateur endossant le rôle de Bélissard livre chacune de ses répliques au jeu des doubles sens. « On a pas besoin d'être courtisé » dit-il en farouche indépendant du cinéma français. Son cinéma, comme la bête qu'il présente au colporteur, est lui aussi « croisé avec un pur sang arabe ». Le cinéma de R.A.Z. est tellement déconnecté de toute logique économique (et la rentabilité commence au stade de la narrativité ; ici pas besoin de raconter), guidé du seul bâton du sourcier, qu'il peut s'attarder à tout ce que le direct lui ouvre comme possibilité: escapade lyrique sur des chevaux courant en rond, injonction narrative (il suffit qu'on remarque que « les femmes sont rares » pour qu'elles apparaissent dans le plan suivant), goût pour la préciosité du langage (souvenez-vous du « ragondin » de Dernier Maquis), sensualité de la lumière (plan inouï d'une poitrine féminine soulevée par sa propre respiration). Leur gratuité touche au sublime. Toute cette douceur ne peut pourtant pas rendre inaudible les puissants appels à l'insurrection du cinéaste : ils dessinent une communauté accueillante mais hors-la-loi (on occulte souvent la brutale ouverture du film, trois morts). Les Chants de Mandrin récompensent tous ceux qui ont cru (à raison) depuis le début en son auteur. Quand il accélère brutalement la narration où qu'il tourne face au soleil (silhouettes de cavaliers embrasées) ou qu'il partage son cadre en 2/3 de ciel-1/3 de terre, R.A.Z trouve même des restes de mythologie fordienne, qu'il fait sortir de la terre de l'Aveyron en automne comme autant de pépites égarées. Les anachronismes ne sont évidemment pas envisageables dans ce bric à brac culturel et religieux issu d'époques métissées, et qui fait penser au Pasolini de Edipo Re ou au Fassbinder de Die Niklashauser Fart. On trouve même dans leur marché du parfum pour ces dames ; on est loin des Converse subliminales de Sofia Coppola. La révolte et la révolution, c'est toujours ici et maintenant, comme les pouvoirs du cinéma. Les jurons, les teints, la bave sont bien d'aujourd'hui. Dans la plus belle scène du film, alors que les contrebandiers manquent d'être assiégés dans la ville et préparent une barricade, Bélissard cite les paroles d'A Ton Etoile écrites par Bertrand Cantat : « A la joie/ A la beauté des rêves » comme cri de guerre avant que pour conclure la scène il lance un « C'est terminé pour aujourd'hui ! » comme un assistant annoncerait une fin de journée, et que les rires éclatent de connivence. On ne sort pas du paradoxe d'être dans cette joie de faire un film et de vouloir le dire en même temps. C'est à ces paroles d'une autre chanson de Noir Désir, naturellement titrée Le Vent Nous Portera, qu'amène finalement la trajectoire de cette histoire de l'Histoire : « Infinité de destins/ On en pose un/ Qu'est-ce qu'on en retient ? ».
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