Sous toi, la ville

Titre original: Unter dir die Stadt
Origines:
  • Allemagne
  • France
Genres:
  • Drame
  • Romance
Année de production: 2010
Date de sortie: 29/06/2011
Durée: 1h50
Tout public
Synopsis : Roland, un banquier influent installé au sommet d’une tour d’un quartier d’affaires, rencontre par hasard Svenja lors d’une exposition d’art contemporain. Cet homme de pouvoir est violemment attiré par la jeune femme, dont l’époux travaille pour lui, à un étage inférieur...
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Publié le 23 mars 2012
Des sentiments sans carnation ni lendemains et du principe d'incertitude laissé dans le sillon de l'école de Berlin (cette nouvelle Nouvelle Vague du cinéma d'outre-Rhin qui émergea début 2000) et très précisément par le Yella de Christian Petzold (2008), arrive Unter Dir Die Stadt plus d'un an après sa sortie française (sur les écrans liégeois du moins, et pour deux séances seulement ; il me semble que feu l'Arenberg l'avait programmé en juin dernier). Ces deux films situent les contours opaques de leur forme sur l'axe du thriller, dont le sujet apparent est un énième trio adultère, (très) vaguement inspiré des amours contrariées de David & Bethsabée -si les Inrocks le disent... Il est cependant un quatrième coin à ce triangle, en termes strictement géométriques, puisque la ville joue ici le rôle de l'intermédiaire, puis de l'adjuvant puis de l'opposant de ces deux trajectoires humaines convergentes (qui se tendent à se rejoindre quelque part vers l'infini). Il est beaucoup question dans les discussions de Svenja de l'attachement qu'elle éprouve pour sa ville natale, sa difficulté de s'attacher à Francfort, surtout quand l'ombre se dessine de devoir déménager à nouveau pour l'Indonésie. Enchevêtrement compliqué de béton et de verre, de portes translucides et d'artificielles tâches de verdure, obstacle concret contre lequel la peau vient achopper, la ville délimite et constate, la ville sous ceux qui du haut de la tour qu'ils ont érigé dirigent le monde depuis cet obscène symbole phallique, eux les nouveaux méchants idéels du cinéma et de la société, et aussi longtemps que le premier réfractera les questions de la seconde : les banquiers dont la rapacité n'est plus à démont(r)er mais qui gardent quelques cartouches de mystère et une aura de sadisme autour de leur personnalité afin de réassoir si besoin en est un pouvoir abstrait dans un futur illusoire, à moins qu'une simple cigarette suffisent à les craindre (comme c'est le cas dans une scène ici sur l'abus de pouvoir). Neutraliser l'ennemi sans se salir les mains semblent être leur préoccupation majeure, et se fier à l'impersonnalité de leurs toujours impeccables costumes trois pièces risquerait de faire manquer les éclats d'une colère accumulée dans un ascenseur ou les sourires carnassiers des vainqueurs se changeant en rictus. Cette neutralité de façade sert Hochhäusler, dont la moindre référence n'est pas bressonienne mais hitchcockienne (le premier plan du film, autour d'un sac à main, évoque directement celui de Marnie) : comme dans Torn Curtain par exemple, le feu des passions couve sous la glace des atmosphères de complot et des cadres au scalpel, et l'amour est le nerf de la guerre (hors-champ). Ce « sehnsucht », cette nostalgie pour les corps, Hochhäusler en raréfie l'usage pour en multiplier l'intensité : les effets sont d'autant plus ravageurs que ces scènes sont introduites brutalement, sèchement interprétées. A force de fouiller la plaie, le cinéaste semble trouver, souterraine, cette chaleur, cette sensualité promise. Son prix, heureusement détaché de considérations morales, c'est une dialectique simple (démarche centrifuge) entre les humains et leurs machines, leurs humeurs et la nouvelle « neutralité » du monde et des renvois (démarche centripète) à l'histoire du cinéma, plutôt abondants quitte à frôler la sclérose. C'est chaque plan que Hochhäusler fait jouer sur un niveau intertextuel, ne serait-ce les abondantes allusions thématiques à la modernité cinématographique et son inoxydable « incommunicabilité » du couple, cependant qu'il « invente » ni plus ni moins qu'une proposition de recadrage en post-production qui débouche sur de stupéfiants gros plans (de purs rapprochés dans l'axe en l'occurrence) dont la concrétion forme une série de champs aveugles dans le film, l'élevant du sens obvie au sens obtus -pour reprendre la terminologie de Barthes. La technique la voici (développée dans un article paru dans les Cahiers n°672 de novembre 2011) : chaque scène est couverte en un plan large (ou mastershot) qui est ensuite recadrée en post-production pour fabriquer des inserts, ou bien pour y appliquer des mouvements de type travelling latéral générés électroniquement, à un stade de création du film moins couteux que celui du plateau de tournage. On peut discuter la fiabilité du processus, notamment dans sa perte de qualité et de définition de l'image de ce nouvel avatar de la volonté de maitrise absolue du cinéaste coupé de certaines considérations économiques et techniques (le 4K pourrait-il minimiser ces effets ?), toujours est-il qu'Hochhäusler le tire vers des propositions esthétiques franchement inédites, et qu'on peut aussi en lire aisément les avantages : le mystère peut venir de la plus neutre et banale des chambres d'hôtel, l'inquiétante étrangeté peut naitre d'un accroc dans un mur, d'un biscuit croqué. Cela lui permet aussi de gagner du temps pour travailler le jeu d'acteurs en plateau et éviter au maximum les consensus qu'entrainent naturellement le tournage de chaque nouveau plan. Je parlais de la forme d'un thriller : elle se matérialise autour d'une oscillation des pôles narratifs. Leçon d'Hitchcock encore : c'est sortir du point de vue des personnages pour voir « objectivement » la bombe placée sous leur table qui crée quinze minutes de tension, de suspense au lieu de quinze seconde de surprise à son explosion. La scène d'écoute de Gang Gang Dance le met en évidence autour d'un simple effet d'auricularisation : il y a un avant et un après dans chaque scène de la première moitié du film. Ce qui, ailleurs, peut être dérangeant, est ici valeur ajoutée à cette ambivalence de la narration que Hochhäusler veut donner à ressentir (celle-là même de la séquence finale de l'Eclisse d'Antonioni ?) et ce qui change ou plutôt qui glisse, c'est bien le point de vue spectatoriel. Ce passage de l'un à l'autre, temporisé, rappellent les corps à leur mission contemporaine : lutter contre l'envahisseur urbain, contre ces quartiers d'affaires technocratiques qui ne ressemblent pas à des constructions humaines et déconnectent les individus qui y sont plongés les uns des autres. Et le tout dernier plan, une fois encore, est un exemplaire recouvrement du réel comme une claque à la figure des personnage, une politique du pire à l'image de la virgule dichotomique du titre : à trop garder distante notre vie du monde « d'en bas », on n'a pas vu la catastrophe arriver.
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