La Religieuse portugaise

Titre original: A Religiosa Portuguesa
Origine:
  • Portugal
Genre:
  • Drame
Public: Tout public
Année de production: 2009
Durée: 2h07
Synopsis : Hommes et femmes s'imaginent une vie, se battent pour la construire au mieux. Et souvent, leur destin bascule sur une simple rencontre. Julie qui sort d'une histoire d'amour compliquée est heureuse de pouvoir s'exiler au Portugal pour tourner un long-métrage austère où elle incarne une religieuse. Le soir, elle croise des inconnus qui nourrissent son expérience. Une nuit, elle remarque une nonne, isolée dans une chapelle, et va lui parler.
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Avis des internautesdu film La Religieuse portugaise

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Publié le 26 novembre 2011
Autre temps fort du dernier Écran Total que La Religieuse Portugaise, un film d'Eugène Green sorti en... 2008. D'abord parce que c'est une sacrée émotion que d'avoir Léonor Baldaque (récente égérie de Manoel de Oliveira), plein cadre, qui regarde en vous. Non pas vers vous, mais grâce à la magie cinématographique des champ/contre-champs de Eugène Green, directement en vous, en abattant le quatrième mur, offrant une prise directe émotionnelle et rare du spectateur et de l'actrice à l'écran. Le silence de la salle devient celui de l'intimité et de la nudité nouvelle du spectateur. Si son visage aimant rappelle en vous une amie chère, les moindres frémissements de ses traits n'en seront que décuplés. Et chez Eugène Green, entre une sacrée émotion et une émotion sacrée, il n'y a qu'un reflet de miroir que le cinématographe permet de révéler. A bien des égards, Baldaque est une « modèle » rêvée, elle rivalise avec l'habitué Adrien Michaux et à eux deux, ils écrivent dans leur parole proférée parmi les plus belles pages d'amour de l'auteur du Monde Vivant. « Écrivent » parce que chez Green, l'acte de parole n'est plus dissocié de l'écriture : c'est un même et ample mouvement des mots vers l'extérieur qui terminent leur course à l'intérieur des êtres, et se déposent dans leur intériorité. La langue portugaise, chargée de mysticisme en elle-même (les mots s'y égrènent comme des chapelets), est en soi une friandise susurrée avec la beauté du diable, mais chut!, les grands cinéastes chrétiens comme Rohmer ne veulent pas entendre parler de la perversité pourtant à l'œuvre dans leur films. Et la beauté répond à une équation simple, c'est de la simplicité + du paradoxe. Les acteurs ne se parlent pas à eux-même comme chez Bresson, la parole est au contraire toujours tournée vers l'autre, face à lui même, et sa sédimentation se produit déjà dans l'espace avant tout, en un point aveugle qui épingle le temps. D'où l'intérêt des panoramiques qui inscrivent Lisbonne dans le récit, et le récit dans Lisbonne jusqu'à ne plus permettre de scinder l'un de l'autre avec une précision toute documentaire ( un de ses plans larges de la ville est quasi-identique à celui vu dans L'étrange affaire Angélica). En jouant le sempiternel refrain du film dans le film, devenu à la longue une tarte à la crème du cinéma moderne, Green nous invite plutôt à l'élévation spirituelle d'un degré d'adéquation supplémentaire avec l'héroïne et son existence pleine de rencontres fantasmatiques rendues possibles par cette fragmentation d'un été à la lumière irradiante et aux soirées interminables qu'à rejouer off une antichambre auto-référentielle à son questionnement spirituel. La mise en abyme, comme son nom l'indique, induit un vertige, ici une superposition de la vie et de l'art. Pas de Carrosse d'Or mais une série de fausses pistes. D'abord, la comédienne Julie propose une nouvelle fin au réalisateur : Julie qui pleure ou Julie qui rit, il verra bien au montage. Ensuite, en voyant Green jouer lui-même le rôle du cinéaste, on croit un moment à un alter-ego filmique amusé, d'autant que Green se donne un ton plus chantant que prévu, contrepoint malicieux aux voix de ses modèles. Mais de manière surprenante, on trouve sa profession de foi la plus lucide mise dans la bouche d'un autre personnage. « Dans ma prière, je cherche le Verbe incarné » : c'est la religieuse portugaise qui le dit. Entre un réalisateur qui se rêve en nonne et des comédiens qui font tomber la barrière du regard caméra, vous spectateur êtes regardés par un film (littéralement, et non plus dans un avatar lointain de l'image-attraction des premiers temps) et non l'inverse, événement suffisamment rare pour être souligné. Or La Religieuse Portugaise est vu lui-même à son tour par un faisceau convergents de regards, autrement dit : une vision. Dans une certaine exemplarité théorique, Green ne se lasse pas de reproduire cinq fois, dix fois son découpage consistant en un axage progressif dans la subjectivité, jusqu'au basculement (provocant forcément de facétieux faux-raccords) en un face-à-face mystique, culminant dans le dialogue où la religieuse et la comédienne se superposent à s'en confondre. Comme toujours, Green est menacé par la préciosité et l'assèchement de son univers, par un recours fréquent à l'auto-citation, l'humour réflexif et le commentaire didactique sur le cinématographe. Heureusement il trouve ici un point de fuite en faisant se côtoyer plusieurs systèmes de représentation du réel divergents. Cette hétérogénéité en question s'aperçoit dans deux scènes limpides : captation documentaire de non-professionnels lorsque Julie prend le bus et que la caméra s'attarde sur plusieurs passagers qui la regardent à leur tour (et donc vous encore) et jeu classique, lyrique et pathétique dans la scène du cabaret où la chanteuse exprime par son visage contrit toute la souffrance du fado déchirant qu'elle interprète, soit tous les excès que les acteurs Green-iens sont sommés de réprimer. Mais par un transfert d'émotion étonnant, c'est Julie qui verse la larme tant attendue, déchargeant l'émotion contenue dans la scène, laissant peu à peu s'éteindre la saudade en elle dans un nouvel équilibre serein. Par effet de contagion, c'est le film lui-même qui devient cette coda du fado, outre ses thématiques communes évidentes, en proposant comme à ses capsules d'espace/temps étanches la forme d'une parenthèse désenchantée dont le gagnant est une fois encore le cinéma lui-même, dont la courbe des tournages épouse celle du destin. N'est-ce pas simplement cela que l'on demande aux grands créateurs, de nous (a)mener dans un temps et un espace qui est le leur, différent ?
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