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Rencontre avec François Ozon à l'occasion de la sortie de "Grâce à Dieu"

Publié le 3 avril 2019 dans Actu ciné

En février dernier, François Ozon présentait Grâce à Dieu en Compétition Officielle à la Berlinale où le film, unanimement applaudi par la critique comme par le public, remporta le Grand Prix décerné par le Jury présidé par Juliette Binoche.
Au fil de ce film documenté, le cinéaste français esquisse le portrait de trois hommes qui successivement libèrent leur parole afin de conjointement mener un combat contre l'Eglise dans le but que les abus qu'ils ont subi enfant soient jugés et condamnés, et que le père qui les a violés soit démis de ses fonctions. Fictionnalisant le réel, François Ozon construit un film à la forme singulière dans lequel il dirige avec brio un casting à couper le souffle.
Notre envoyé spécial à Berlin, Nicolas Gilson, a rencontré le réalisateur.

A l'issue de la présentation de Grâce à Dieu à la Berlinale, de nombreux en parlent comme de votre film le plus émouvant. Est-ce que vous partagez ce sentiment ?

Je n'ai pas encore la distance. Il y a eu beaucoup d'émotion. Et si on peut être pris par l'émotion d'une séquence ou des acteurs, j'ai surtout essayé que le film ne tombe pas dans le pathos. J'ai essayé de garder beaucoup de dignité car je trouvais que les personnes réelles en ont beaucoup. Dans tous leurs témoignages, les victimes ont décidé de raconter une fois pour toute au début ce qu'il leur est arrivé et de passer ensuite à autre chose. Elles ne parlaient plus de leur état de victimes mais concrètement de comment faire pour agir, pour que la situation change et pour que ce prêtre soit destitué.

Vous avez évoqué le désir de faire d'abord un documentaire avant prendre la décision de finalement vous diriger vers une fiction. Dès lors que vous ne changez pas les noms des personnes mises en scène, ou à peine, et que vous relatez en partie des faits reconnus et avérés, peut-on parler d'un film documenté ?

Pour chacun de mes films, je fais des recherches et je fais des enquêtes. Pour Jeune et Jolie, je me suis beaucoup renseigné sur la prostitution étudiante, pour Sous le sable, j'avais interviewé beaucoup de psychiatres par rapport au deuil. C'est un travail auquel je suis habitué. Mais il est vrai que cette fois-ci j'avais un matériel extrêmement important. Au début, lorsque j'ai découvert le témoignage d'Alexandre, je pensais ne faire un film que sur lui et je n'avais aucune idée que je ferais un film d'actualité et que j'y citerais tous les noms. Je voulais juste raconter son histoire. En le rencontrant, je me suis rendu compte que l'histoire continuait après lui, qu'il y avait d'autres personnages : du portrait que je voulais faire d'un seul homme, je me suis rendu compte que j'allais faire un film choral avec un ensemble de personnages très riche dans lequel il y avait beaucoup de situations humaines complexes. Le film s'est transformé.

Quel a été le processus d'écriture ?

Le processus était différent des autres scénarios. J'avais tellement d'informations qu'il a fallu trier et faire des choix. Il y a eu un vrai travail scénaristique de fiction qui a été demandé par la structure du film en trois parties. Je n'avais pas pensé précédemment à ce passage de relais qui correspond au déroulement de l'affaire telle qu'elle s'est passée : Alexandre qui se bat au sein de l'Eglise, François qui est médiatique et Emmanuel qui est plus sur l'aspect judiciaire. Ça, c'était le réel. Et le réel est un très bon scénariste.

Est-ce que vous avez travaillé avec des avocats ?

Oui. L'affaire est très connue en France, aussi tout ce que je raconte qui concerne Barbarin et Preynat avait déjà été publié. Il n'y a pas de surprise sur les faits. On s'est permis avec les avocats de citer les vrais noms. On trouvait hypocrite de les changer. Il me semblait aussi important d'ancrer la fiction dans la réalité, de dire que ça se passait aujourd'hui et maintenant. Après, le prêtre a, depuis trente ans, toujours avoué. C'est difficile qu'il y ait une présomption d'innocence. Le procès de Barbarin pour non dénonciation des faits commis par Preynat a eu lieu en janvier. Et on est sereins.

Derrière l'institution religieuse, il y a le spectre d'une institution plus commune : la famille. Etait-ce là un sujet que vous vouliez aborder ?


Je me suis vraiment intéressé à la parole et aux répercussions, aux déflagrations qu'elle provoque : la parole comme quelque chose de libérateur – comme le nom de l'association – et la parole qui détruit ou qui du moins pose beaucoup de problème à l'entourage. Quand un enfant est victime, toute la famille est touchée. Et c'est ce qui m'intéressait dans cette histoire. Lorsque j'ai rencontré les différentes familles, je me suis rendu compte qu'à chaque fois les réactions étaient très différentes et que les milieux sociaux était forcément en jeu ; que ceux qui avaient l'air les plus équilibrés n'allaient pas forcément le mieux. C'était humainement très complexe et très touchant.

La notion de pardon apparaît comme centrale.

La notion de pardon m'a passionné. Il est vrai que la religion catholique est fondée sur cette notion ; c'est une religion de miséricorde. Quand Alexandre m'a raconté cette confrontation organisée par l'Eglise où il a rencontré le pédophile qui l'a abusé et qui était supposé lui demandé pardon, j'en ai parlé à des psychologues qui m'ont dit que c'est effectivement quelque chose de complètement dingue qui est généralement catastrophique pour les victimes parce que ça les oblige à rester dans leur position de victime. Ce qui m'a intéressé, c'est qu'il y a dans le pardon l'idée d'une libération ; de se débarrasser quelque chose mais aussi d'enfermer quelqu'un, de le rendre prisonnier et de perpétuer un silence. On accepte le pardon, on tourne la page et c'est comme si cette chose n'avait jamais existé. Et c'est quelque chose qui n'est pas possible avec ces crimes.

Comment les personnes derrière les personnages ont-elles réagi ?

Je crois qu'ils ont été très bouleversés et quelque peu perturbés car voir sa propre vie mise en scène est quelque chose de très violent. Je crois que dans un premier temps ils ont été très choqués, notamment le personnage de François qui avait très très peur. Alors qu'on pense que c'est lui le plus solide, c'est lui le plus fragile. Ce qui était amusant, c'est que Pierre-Emmanuel – qui correspond au personnage d'Emmanuel joué par Swann Arlaud – est sorti ravi en disant : c'est 99% de ma vie. Je lui ai dit qu'il n'a jamais tapé sa copine et il m'a répondu qu'il aurait pu et que de toute façon c'est son histoire.

Y a-t-il eu, hormis les tentatives d'interdiction du film, quelque réaction de l'Eglise ?

Lors de la tournée d'avant-première en France, dans chaque ville où nous sommes allés, le distributeur a invité le diocèse à venir voir le film. Du coup, nous avons rencontré plusieurs évêques et on sent des réponses très positives parce que beaucoup de catholiques en ont ras le bol de cet amalgame entre leur religion et la pédophilie.



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