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Rencontre avec Ziad Doueiri, réalisateur de "L'Attentat"

Publié le 5 juin 2013 dans Actu ciné

Un film sur le conflit israélo-palestinien, une histoire d’attentat… Déjà-vu et pas sexy ? Sept raisons de considérer L’Attentat de Ziad Doueiri d’un œil différent.


Vocation. “Mon père est né dans un hôtel collé à un cinéma de Beyrouth, le cinéma Rivoli. C’était un fainéant à l’école. Il passait son temps à voir des films. Il nous a transmis sa passion. Pendant la guerre du Liban, le cinéma était le seul loisir. On se réfugiait dans les salles. Quand mes parents ont émigré aux Etats-Unis, je me suis inscrit dans une école de cinéma. C’était en 1984. Un professeur m’a conseillé de voir “Koyaanisqatsi”, de Godfrey Reggio, dont les images étaient signées Ron Fricke. Cette expérience m’a bouleversé. L’année suivante, Ron Fricke a réalisé ‘Chronos’, qui est sorti en Imax. Juste après l’avoir vu, je suis allé m’acheter une caméra Super 8 et j’ai bricolé un film en expérimentant sa technique du time laps.”


Tarantino . “Je suis devenu chef opérateur. J’ai été premier assistant caméra sur Reservoir Dogs, Pulp Fiction ou Jackie Brown, entre autres. Quentin Tarantino a eu une influence déterminante sur moi : parce qu’il est bavard. Il m’a décomplexé par rapport aux dialogues. Je n’ai pas peur d’en mettre dans un film. Le passage à la réalisation s’est fait progressivement, sans plan de carrière. Il y avait des moments où ça me frustrait de travailler pour quelqu’un d’autre. Mais je reste un technicien. En dehors du tournage, je n’ai pas grand-chose à dire aux comédiens. A la fin du tournage, j’aime bien m’asseoir sur la plate-forme du camion de la régie et bavarder avec les techniciens.”


Terrence Malick. “En 2005, à Beyrouth, alors que la guerre entre le Hezbollah et Israël avait repris, Le Nouveau monde, de Terrence Malick, est arrivé dans les salles. Personne n’osait sortir pour aller voir le film. J’ai appelé un cinéma, et je leur ai demandé le nombre de spectateurs, au minimum, il fallait pour qu’ils acceptent de lancer la séance. ‘Quatre’, m’ont-ils dit. J’ai acheté quatre billets et j’ai vu le film. J’y suis retourné le lendemain. Et encore pendant trois jours supplémentaires. Pour moi, Malick est le plus grand cinéaste lyrique de notre temps. Tree of Life a d’ailleurs failli détruire L’Attentat ! Je l’ai vu sept fois d’affilée. C’était deux semaines avant le tournage de L’Attaque. Je n’arrivais plus à me dissocier de son film. Cela commençait à influencer le langage cinématographique de mon film. J’ai senti que je devais me distancier.”


Yasmina Khadra. “Quand mon agent de New York m’a proposé d’adapter “L’Attentat”, le roman de Yasmina Khadra, j’ai d’abord refusé. Je me disais que ce serait un film à audience limitée. Après mes deux premiers films, West Beyrouth et Lila Says, je voulais quelque chose de plus léger, retourner à mes sources américaines. Auparavant, j’avais déjà mis de côté un scénario personnel sur la cause palestinienne, un film très politique. Mais c’était trop dur. J’en avais marre de tout ça. Pourtant, j’ai lu le roman de Khadra, et je l’ai trouvé d’une grande force. On ne peut qu’aimer le personnage principal. Il y a une humanité, une grande humanité dans cette histoire. C’est d’abord une histoire d’amour. Ma femme, Joelle Touma, et moi avons adapté le scénario ensemble.”


Moby, Eno et Orbitt. “Quand j’écris, j’écoute toujours de la musique. Elle suscite chez moi des ambiances, des images, toute une scène, parfois. Pendant l’écriture, j’écoutais beaucoup Moby, William Orbit et Brian Eno. Cela m’a beaucoup influencé pour la fabrication du film. Par exemple, toutes les scènes de flashback, où Amine se souvient de sa femme, m’ont été inspirées par les plages 8 et 9 de l’album “Pieces in a Modern Style”, de William Orbit. De Brian Eno, j’écoutais “Another Day on Earth”. Et Moby, c’était à peu près tous ses albums. Mais c’est peut-être “Hotel” que j’ai le plus écouté ici.”


Authenticité. “Il était important pour moi de tourner à Tel-Aviv et à Naplouse. J’avais besoin de cette authenticité. Nous avons traversé plusieurs fois les check point. On a ressenti exactement ce qu’a ressenti Amine. Ce n’est pas simple à organiser comme tournage, mais contrairement à ce qu’on pourrait croire, nous n’avons pas eu de vrais problèmes avec les autorités israéliennes ou palestiniennes. Ils nous ont donné ce qu’on demandait. Il y avait des acteurs et des techniciens israéliens et palestiniens ensemble sur le plateau. C’était même savoureux : un réalisateur libanais qui donne des ordres à des Israéliens ! (Rires.) Cela s’est tellement bien passé… Sur ce plateau, les engueulades n’étaient pas politiques ou religieuses, uniquement liées au boulot.”


Boycott . “Vingt-deux pays de la Ligue arabe ont interdit de diffusion le film sur leur territoire. Je suis maintenant interdit de séjour dans mon propre pays et menacé d’emprisonnement, parce que je me suis rendu en Israël. C’est considéré comme un acte de trahison. On dit que mon film est pro-israélien. Aux Etats-Unis, Focus Features, qui devait produire le film, s’est retiré, parce que considérant le film pro-plalestinien… Je n’ai pas honte de le dire : j’ai été anti-israélien. Je ne suis pas devenu pro-israélien pour autant. J’ai défendu et je défends encore la cause palestinienne. Mais comme être humain et artiste, je peux me mettre à la place de l’autre. On veut empêcher des artistes de travailler avec d’autres artistes. C’est stupide. On n’est pas là pour changer la société. Mais nous sommes là pour raconter des histoires. Nous vivons une période d’aveuglement, de démonisation de l’autre et de haine entretenue.”


Entretien : Alain Lorfèvre

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