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Même absents, les Belges font parler d'eux à Cannes

Publié le 24 mai 2013 dans Actu ciné

Effet d'une météo typiquement nationale sur la Croisette ? Malgré une présence réduite sur les écrans de Cannes cette année, le cinéma belge a fait parler de lui dans la presse professionnelle durant ce 66e festival. Et y a parfois réglé ses comptes à fleurets mouchetés.
Le magazine Screen International se fend ainsi d'un dossier spécial Belgique dans son édition du 16 mai. "Pour un petit pays politiquement divisé, la Belgique à une culture cinématographique remarquablement solide" y écrit Geoffrey Macnab. Et ce confrère de mettre en avant l'essor tout aussi remarquable du cinéma flamand ces cinq dernières années, constatant au passage l'intérêt prononcé des agents artistiques américains pour les représentants de cette nouvelle vague flamande, Matthias Schoenaerts, Erik van Looy et Michaël R. Roskam en tête.

Derrière les talents, il y a aussi l'argent. Il n'a pas échappé à Screen International que le rôle qu'occupe désormais le cinéma belge sur l'échiquier international repose en partie sur le mécanisme du tax shelter. Macnab, toujours, n'a pas manqué de mettre en avant le débat qui a agité les professionnels belges ces derniers mois. Et qui trouvait une première ponctuation le jour même de la parution de son dossier, par l'adoption au parlement du premier volet d'une réforme de la loi, destiné à corriger quelques évolutions du mécanisme. 


Dans les pages de Screen, Peter Bouckaert, producteur et patron d'Eyeworks, ainsi que président de l'Union des producteurs flamands, tout en louant les vertus du tax shelter, insistait sur l'inefficience qu'a fini par acquérir le système. "Les coûts ont explosé" soulignait le producteur, qui estime aussi que "le tax shelter n'est vendu que sur la promesses de retour garanti sur investissement, ce qui, comme nous le savons tous, n'existe pas dans le cinéma."

Adrian Politowski, patron du groupe uMedia, auquel le Hollywood Reporter consacrait pour sa part une page entière d'entretien, donne un autre son de cloche. "Les investisseurs sont heureux" assure-t-il, comparant dans les pages de Screen International le volume de films produits en Belgique avec celui de la Grande-Bretagne (une confusion, sans doute : le dernier Focus Market de l'Observatoire européen de l'Audiovisuel, présenté à Cannes, relève que 223 films ont été produits en 2012 au Royaume-Uni, pour 64 en Belgique). Fort du développement éclair de uMedia à partir de l'optimisation des levées de fonds tax shelter, Adrian Politowski ne cache pas les ambitions internationales de son groupe et sa volonté de développer des projets en anglais pour un public nord-américain - d'où l'ouverture récente de bureaux à Los Angeles et le rapprochement avec Peter Rogers, ancien patron de Lionsgate International. 

Les tensions animant le secteur ressortent toutefois dans certaines déclarations. Pour Geneviève Lemal de Scope Invest (qui a financé et coproduit via Scope Pictures La vie d'Adèle d'Abdellatif Kechiche, présenté en compétition), "la loi telle qu'elle existe serait suffisante si elle était appliquée et respectée" - sous-entendu : elle ne l'est pas par tous. Et la financière d'oser dans Screen International cette saillie qui fera sans doute grincer quelques dents en Belgique : "ce sont souvent ceux qui s'en plaignent le plus qui ont les pires pratiques sur le marché".


Dans les revues professionnelles françaises, il est aussi beaucoup question du tax shelter. Dans son édition du 22 mai, Ecran Total annonce même le vote probable de la "petite réforme" du tax shelter, début juillet, à la Chambre, preuve de l'attention particulière des professionnels français sur la question. Entre les récents débats qui ont eu lieu en Belgique sur la question, et les reproches de délocalisation des tournages formulés par tout un pan des professionnels français, les Belges se sont lancés dans un exercice délicat : rassurer leurs partenaires français quant à la pérennité du mécanisme et tempérer les craintes des techniciens français. Au risque de paraître tenir un discours différent de celui défendu en Belgique ces derniers temps.

Ainsi, Patrick Quinet, président de l'Union des producteurs de films francophones (UPFF) et Thierry Dubois, président de l'Union des industries techniques bruxelloises (UB&BV) se sont-ils livré à un petit jeu de duettistes dans les pages de l'Ecran Total et du Film Français. "Pour 1 euro français investi dans un film belge, près de 4 euros belges le sont dans les films français." Le mécanisme profite donc à la France (on appréciera en Belgique...). Rappel important : si les levées de fonds tax shelter impliquent des dépenses en Belgique, le mécanisme belge respecte les règles européennes (mieux que le crédit d'impôt français) en autorisant que ces dépenses portent sur le salaire d'artistes et techniciens étrangers. « Il arrive que les équipes françaises continuent à travailler durant les tournages en Belgique » a ainsi rappelé Thierry Dubois. 


Tant mieux pour les Français, tant pis pour les Belges : Thierry Dubois s'en plaignait lui-même lors des auditions sur le tax shelter à la Chambre. Il rappelle d'ailleurs aux Français que plusieurs sociétés hexagonales ont des filiales en Belgique, vers lesquelles se tournent préférentiellement les producteurs français lorsqu'ils trouvent de l'argent en Belgique (et dont les patrons sont parfois les mêmes qui montent au créneau en France pour défendre la territorialisation des dépenses...). "C'est pour nous un réel sujet d'inquiétude car nous ne profitons pas suffisamment des effets bénéfiques du tax shelter". Moralité (dans les pages de l'Ecran Total) : « les délocalisations dénoncées par l'industrie française n'ont pas les effets pervers qu'elle leur attribue » (message adressé aux Français) et « l'industrie belge est loin de bénéficier de l'ensemble des dépenses réalisées en Belgique dans ce cadre » (message adressé aux Belges). On appréciera l'ironie de cette délicate mise au point.

Alain Lorfèvre, à Cannes

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