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"Le Passé", le thriller familial d'Asghar Farhadi

Publié le 17 mai 2013 dans Actu ciné

Cannes a récupéré la découverte de Berlin, comme Wong Kar-wai autrefois, et présentait, hier, Le Passé en compétition.

Il n’y a pas que Cannes ! Voici deux ans, à Berlin, jury et critiques s’emballaient autour d’un film iranien : Une séparation. Leur enthousiasme se communiqua au public et l’Ours d’or d’Asghar Farhadi allait connaître une carrière exceptionnelle, un million de spectateurs en France pour une œuvre humainement vertigineuse. 


Tourné en France avec Bérénice Bejo et Tahar Rahim, on peut le regarder comme une sorte de suite logique. Une séparation traitait de la crise d’un divorce. Le Passé aborde la tension dans une famille recomposée. Quatre ans après leur “séparation”, une femme retrouve son ex et lui demande de parler à sa fille (à elle, pas à lui, interprétée par la montoise Pauline Burlet) pour savoir ce qu’elle a dans la tête. L’ex se retrouve dans la position d’un enquêteur cherchant à identifier les blocages au sein de la nouvelle famille.


On sort de cet authentique thriller familial avec un sentiment de plénitude, celui d’avoir vu un très grand film, simultanément palpitant et lumineux, le genre de ceux dont on sort un peu différent de ce qu’on était quand on y est entré. C’est que l’auteur y a isolé un rouage humain essentiel : celui qui génère les malentendus avec les petits scénarios persos qu’on se fabrique à partir de bribes d’information. Est-ce déjà la palme ? Pourquoi pas, le film touche notamment à une obsession du président Spielberg : ce poids très lourd, trop lourd que les choix des adultes déposent sur les épaules des enfants.


Peut-on qualifier votre film de thriller familial ?

Tous mes films peuvent être considérés comme des thrillers, sauf que l’inspecteur n’est pas dans le film mais dans la salle. On a l’habitude d’accompagner un détective dans son enquête. Ici, c’est vous le détective, c’est à vous de faire le boulot. Ce qui est intéressant, c’est que chaque spectateur détective a sa curiosité, son approche et n’arrive pas forcément aux mêmes conclusions.


Avec une voiture dès le début du film, vous montrez métaphoriquement que reculer, regarder derrière soi est dangereux, que le seul moyen d’échapper au passé, c’est d’aller de l’avant. Mais peut-on échapper au passé ?

C’est ma question, la question que les personnages se posent aussi. Marie arrive à cette conclusion, qu’il faut laisser le passé derrière soi. Samir pense la même chose mais il n’y arrive pas, il retourne voir sa femme. Est-ce qu’on peut laisser le passé derrière nous ? C’est la plus grande question que j’ai à partager avec les spectateurs. Jean-Claude Carrière, qui a lu le scénario, m’a dit que le passé n’existait pas. Pas plus que le futur. Ce que nous connaissons du passé, c’est notre souvenir subjectif des choses qui sont derrière nous. Tous les événements sont passés par le filtre de notre perception subjective. Décrire le passé ne veut pas dire en donner la vérité. Parfois, il me semble que plus nous nous expliquons, plus nous rendons les choses confuses. C’est pour cela que les gens parlent beaucoup dans ce film. Plus ils parlent, plus ils créent de la confusion, plus ils se sentent obligés de réexpliquer et la situation empire.


Le film est fascinant car vous faites apparaître ce rouage qui crée le malentendu entre les gens : la capacité de chacun à se créer son propre scénario à partir des bribes d’information.

Si on se concentre sur la toute première scène du film, tout est dit. Les deux personnages principaux se retrouvent, ils sont l’un en face de l’autre, ils se parlent, mais ce sont deux monologues car il y a une vitre épaisse entre eux et ils ne s’entendent pas. Cette séquence symbolise le fait que l’outil du langage qui nous permet de nous faire comprendre de l’autre, ne suffit pas à dire toute la complexité de nos vies d’aujourd’hui. Une autre dimension qui m’intéresse beaucoup, c’est que lorsqu’on justifie un fait passé, on a tendance à privilégier une explication, une dimension, alors que tout événement, même le plus petit, est toujours le résultat d’une multiplicité de raisons. Et il y a beaucoup de raisons dont on n’est pas conscient même si on a assisté à l’événement. Quand on relate un fait passé, qu’on essaie de l’expliquer, de le justifier, on rend les choses plus confuses à cause de cette vision unidimensionnelle. Mais, on n’a pas la capacité de dire cette multiplicité.


Et vous amusez d’ailleurs à rappeler au spectateur qu’il pose souvent un jugement beaucoup trop hâtif.

C’est présent dans tous mes films. C’est qu’en tant que spectateur vous êtes amené à juger avec beaucoup trop peu d’informations. Si vous en aviez un peu plus, vous pourriez prendre une décision opposée. Les spectateurs sont dans la même situation que les personnages, ils ne cessent de changer de vision en fonction de l’information disponible. Mais c’est ce qui fait que le spectateur n’est pas un témoin passif, il est comme le détective en train de reconstituer les événements. C'est le type de cinéma que j’aime dans lequel le spectateur est actif dans l’évolution du récit. C’est un lien que j’aime créer. Ce qui me désole dans beaucoup de films aujourd’hui, c’est que ce lien n’existe plus. Le film vous donne tout, il éteint votre capacité de jugement.


Entretien : Fernand Denis, à Cannes


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