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L’intensité retrouvée de Victoria Abril - Entretien

Publié le 3 octobre 2012 dans Cinéphiles

La comédienne revient en mère brisée et combattante dans “Louves” de Teona Mitevska. Un rôle dramatique qui rappelle ses débuts à dix-sept ans, avant les années Almodóvar et les comédies françaises.
Dans "Louves", Victoria Abril s’éloigne des comédies françaises où on la voit (trop ?) souvent. La Madrilène internationale rappelle avec ce rôle intense d’une mère brisée par le suicide de son fils qu’elle est aussi une grande actrice dramatique. A cinquante-trois ans, cette gravité retrouvée sied bien à Victoria Mérida Rojas, de son vrai nom. A Berlin, en février dernier, elle ne ménageait pas son enthousiasme pour défendre ce film de la Macédonienne Teona Mitevska, qui sort ce mercredi en Belgique après une avant-première au Festival du film francophone de Namur.


“Louves” n’est pas à proprement parler un film “grand public”. Votre statut vous permet-il aujourd’hui de choisir des rôles plus risqués ?
J’ai fait une centaine de films. Tous ne sont pas des chefs-d’œuvre, loin de là. Ce qui veut bien dire que je prends toujours des risques. J’aime me mettre en danger dans les films. Cela me permet de jouer un personnage différent de ce que je suis. Quand j’avais 17 ans, j’ai joué dans "Mater amatíssima" de José Antonio Salgot, qui est allé à Cannes. C’était l’histoire d’une femme avec un fils autiste, une histoire très dure. J’avais dix-sept ans et je jouais une femme de trente ans, avec un enfant - une expérience totalement à l’opposé de ce qu’était alors ma vie. Le film est passé inaperçu. Je crois que peu de gens l’ont vu - et aujourd’hui, n’en parlons pas : il est oublié. Mais il a eu une importance énorme dans ma carrière, car la plupart des réalisateurs qui m’ont proposé des rôles au début de ma carrière m’ont dit que c’était suite à "Mater amatíssima". Pour en revenir au risque, il fait donc partie de ma personnalité. Sinon, je m’ennuie. Et le cinéma n’est pas là pour être normal. Ma vie est normale vingt-quatre heures sur vingt-quatre, mais les films ne le sont pas. J’ai besoin d’intensité.

Mais comment Victoria Abril se retrouve-t-elle sur une production macédonienne comme “Louves” ?
D’abord, il y a eu la rencontre avec les sœurs et le frère Mitevska. Ils m’avaient invitée à un festival en Macédoine. Ils ont été tenaces parce qu’au début je ne voulais pas y aller. Après plusieurs courriels, j’ai dit d’accord, mais pour un jour. Et finalement, je suis resté une semaine entière. J’ai voyagé à travers tout le pays. En partant, j’avais les larmes aux yeux. Une véritable amitié était née. Six mois plus tard, Labina m’a envoyé un courrier pour me dire que sa sœur Teona avait écrit un scénario pour elle et moi. Quand je l’ai lu, j’étais retournée. Puis, j’ai vu son film "I Am From Titov Veles". J’ai alors perçu ce que "Louves" pourrait être. Pour moi, elles sont comme Buñuel quand il a fait "Cet obscur objet du désir". Prendre deux femmes pour parler d’une seule - ou d’un même concept. A propos de la nationalité du film, savez-vous qu’il y avait près d’une quinzaine nationalités différentes sur le tournage ? Ce genre de film me fait croire en la tour de Babel européenne. Nous étions tous là et nous nous comprenions tous, étions capables de travailler et collaborer.

Avez-vous hésité ?
Pas une seconde. J’ai lu le scénario d’une traite. Après la première séquence, quelque chose se casse, et on avance d’une scène à l’autre. Je crois que j’ai senti les palpitations de mon cœur pendant toute la lecture. J’ai aussitôt pensé au tableau de Munch, au "Cri". Pourquoi a-t-il peint ce tableau ? Qu’est-ce qui l’a amené à faire cette image fantastique et terrible ? J’avais en permanence ce tableau en tête pour composer le visage d’Helena. C’est l’exploration de cette fracture qui m’intéressait dans le rôle. J’ai pris le téléphone et j’ai dit à Teona que c’était un choc, mais qu’il fallait le faire. C’était trop beau.

Vous réagissez toujours comme ça ? Vous avez besoin de ce sentiment de choc ?
Pas toujours. Mais quand ça se passe comme ça, quand vous sentez que le film est pour vous, vous sentez tout, vous pensez à la musique, à vos vêtements, à ce que vous allez faire. C’est une évidence. Dans ce cas-ci, comme je les avais rencontrées à Skopje, je savais aussi à qui j’avais affaire. Cela m’a aidé à prendre ma décision. C’est rare de lire des scénarios comme ça.

Avez-vous le sentiment que les scénarios qu’on vous propose aujourd’hui changent ?
Je ne sais pas. Etant jeune, je jouais déjà dans pas mal de drames. En France, on m’associe à la comédie, à la bande du Splendid. De quatorze à trente ans, la réalité, c’est que je n’ai fait que des drames. A trente ans, j’avais envie de me tourner vers la comédie. Mais j’aime bien alterner. Le seul personnage que je suis prête à jouer tous les jours, c’est le mien. Alors, quand je fais des films, ça me fait des vacances ! Et je n’aime pas retourner dans les endroits où je suis déjà allée. J’aime la variété.

C’est aussi pour cela que vous acceptez de jouer dans des “petits” films ou des premiers films ?
J’aime bien les jeunes réalisateurs, les premiers films, parce qu’il y a une effervescence que l’on ne retrouve pas par la suite. Ils ne sont pas blasés. Ils ont toujours un petit grain de folie.

Qu’est-ce qui vous a fait devenir actrice ?
Je suis devenue actrice par accident. J’étudiais la danse classique mais j’avais besoin d’argent pour payer mes cours. J’ai passé une audition pour un rôle, dans l’espoir que ça m’aiderait à payer le conservatoire. Et puis, j’ai fait cinq films l’un après l’autre. Fini le petit rat ! J’ai aussi découvert que le cinéma vous permettait d’avoir plusieurs vies. Et qu’il est aussi, parfois, une thérapie. Ou un combat émotionnel, comme dans celui-ci, pour créer un personnage comme Helena. Heureusement, dans la foulée, j’ai tourné "Mince alors !", la comédie de Charlotte de Turckeim. Ce qui m’a apporté un peu de légèreté.

A l’époque de vos débuts, vous enchaîniez effectivement les films à une cadence étonnante…
C’était une époque d’effervescence dans le cinéma espagnol, après la fin de la dictature. Je tournais en moyenne dans quatre ou cinq films par an. On m’associe souvent au cinéma de Pedro Almodóvar, mais Pedro est un des derniers réalisateurs de la nouvelle génération avec qui j’ai tourné - c’était en 1989, dans "La loi du désir". Moi, je travaillais depuis 1974, avant même la Movida. Je suis une fille de la transition, qu’on a appelée "El Destape". Il m’avait approchée dès 1984, mais je n’avais pas été tentée.

Retournerez-vous un jour un film avec Pedro ?
Oui, bien sûr. Mais ça dépend surtout de lui. Nous avons finalement peu de contacts, surtout depuis que je vis en France. Antonio Banderas était dans le dernier. Donc, le suivant, c’est pour moi, sí ? Le dernier remonte à plus de huit ans.


Alain Lorfèvre


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