Actualités
Noémie Lvovsky : "Je ne suis pas une personne légère"
Publié le 19 septembre 2012 dans Cinéphiles
La question du temps qui passe et du destin passionne la
réalisatrice depuis “Petites”. Entretien
C’est la
première fois que vous jouez dans un film que vous
réalisez. Y a-t-il une raison plus personnelle qui
l’explique ?
C’est l’idée du producteur Jean-Louis Livi qui a eu très tôt l’intuition que je devais jouer le rôle. Mais il m’a demandé de passer des essais, ce que j’ai fait, et je n’étais pas bonne. Il en convenait, mais il a insisté, et on a refait des essais. Je n’étais pas encore bonne, mais j’ai eu beaucoup de plaisir à jouer Camille. Et là, Jean-Louis m’a proposé quelque chose de rare, c’est de faire les essais en conditions réelles, dans les décors, avec les costumes, avec maquillage, etc. Ce qui donne une énergie et une intensité différentes. Après ces essais, je ne pouvais plus dire non à Jean-Louis.
Auparavant, l’idée que Camille soit interprété par la même actrice aux deux âges était-elle présente dès le début ?
Oui, avant même de commencer l’écriture. Si les deux âges n’étaient pas joué par les mêmes acteurs, je ne faisais pas le film. Je ne savais pas où cette histoire me mènerait en la faisant. Mais j’étais consciente de deux choses : des questions que je me posais à travers cette histoire et de la nécessité d’avoir les mêmes acteurs pour les deux âges.
Ce qui est un sacré défi : cela aurait pu être ridicule d’avoir une comédienne quadra qui se met dans la peau d’une adolescente.
J’ai évacué cette question très vite. Si les choses sont fausses, s’il n’y a pas de vérité, elles sont ridicules. Après, je me disais qu’il fallait qu’on soit vrai en jouant.
Après six films, il est évident que la question des âges et du temps qui passe vous obsède.
C’est le cas depuis l’adolescence, voire même l’enfance. Je me suis toujours posé la question des âges que je n’avais pas ou des âges que je n’ai plus. Ça me passionne, ça me fascine. Est-ce que le temps nous change au point de nous faire devenir une autre personne, ou y a-t-il une part de nous qui est irréductible ou qui change dans l’amour, dans l’amitié ? C’est une vieille question qui reste. Après "Faut que ça danse !", je me suis rendu compte que la question était toujours là. Mais j’ai décidé de la traiter sous un autre angle, à travers un autre âge. Après l’homme âgé qui refuse qu’on l’enterre vivant, je me suis demandé comment être encore plus concrète dans le traitement. Et j’ai pensé à l’idée du voyage dans le temps.
Dans “Petites” et “La vie ne me fait pas peur”, il y avait déjà un groupe de quatre copines. Pure coïncidence ?
Ce n’est pas fortuit, mais ce n’est pas un prolongement ou une suite, ou un remake. Il se trouve que j’ai eu une bande d’amis très, très soudés. Nous avons grandi ensemble, pratiquement sans adultes pour nous guider, pour nous encadrer. Nous étions quatre, aussi. J’ai l’impression que les années passées avec ces amis ont été déterminantes, sans que je puisse vraiment formuler en quoi. Mais elles nous ont changés, peut-être même sauvés la vie d’une certaine manière. Cette dynamique continue de me fasciner, c’est pour cela qu’elle est revenue naturellement dans "Camille redouble". Par ailleurs, j’aime l’esprit de troupe, ce que raconte ce groupe de filles.
Vous avez d’ailleurs votre famille artistique. A 16 ans, l’âge de Camille dans le film, vous avez décidé de ne pas être actrice, alors que c’était votre rêve. Et c’est la famille du cinéma qui vous y a ramenée, après avoir occupé divers postes – casting, scripte, scénariste…
Quand j’étais petite, c’était une vocation, le métier de comédienne de théâtre. Mais j’y ai renoncé. D’abord, parce que c’était une passion dévorante. Et j’ai eu peur. A quinze ans, j’ai passé une audition que je n’avais pas le sentiment d’avoir foirée, mais je n’ai pas eu le rôle et, surtout, on m’a fait des réflexions sur mon physique. Et là, je me suis dit que je pourrais devenir folle à être en permanence dans le regard. Quand c’est revenu vingt ans plus tard, c’est un peu par hasard, lorsque Yvan Attal m’a proposé de jouer dans son premier film. On s’était rencontrés très jeunes à la Fémis. Mais ce n’est pas moi qui ai cherché à jouer. Mais ça m’a permis de revenir vers ça, sans les affres que j’aurais connus plus tôt.
Yvan Attal connaissait-il votre vieille vocation ?
Non. Mais, sans que je sache pourquoi, il était persuadé que je pouvais jouer. Je lui ai pourtant dit non au début. Je lui ai proposé au contraire de faire le casting pour lui. Mais il était convaincu que je pourrais jouer sa soeur à l’écran.
Faute d’avoir eu une formation accomplie et classique, comment travaillez-vous vos rôles ?
Je n’ai pas d’assise. Je vais sur les films pour leur réalisateur avant tout, pas pour le rôle. Je m’inspire toujours du réalisateur, je m’imprègne de lui, de son univers. Même si c’est un petit rôle qui n’a rien à voir avec lui. Le monde qu’il veut construire dans le film m’inspire aussi. Je passe beaucoup de temps à regarder le réalisateur. Je considère que si l’on joue même une seule scène, on joue tout le film. J’essaie donc de me « charger » du film. Cela vient des gens avec lesquels j’ai appris, comme Arnaud Desplechin, avec qui j’ai beaucoup travaillé quand j’étais jeune. Il m’a appris à essayer de faire des films quel que soit le poste en arrivant habité par le film, c’est-à-dire en y étant totalement impliqué et pas seulement en y effectuant un rôle technique.
Vous n’avez donc pas de technique d’actrice, contrairement à ce que votre prédilection pour les seconds rôles de composition pourrait faire penser.
Oh non, je n’ai pas de technique. Ou alors une technique dont je n’ai pas conscience et que j’ai appris sur le tas. Je ne sais d’ailleurs pas comme je jouerais si j’avais de la technique. En secret, sans en parler au réalisateur ou aux partenaires, je joue avec la situation, en fonction des indications du metteur en scène et du partenaire, mais il y a quelque chose qui vient du fait que j’essaie de rentrer dans la tête du réalisateur et dans la tête du film.
Dans la tête du film ?
Oui, un film prend parfois son autonomie. Il est fabriqué, contrôlé par des tas de personnes, mais il a sa logique propre, il devient une entité qui est la somme des entités qui la compose - les personnes et les plans. Il a sa puissance à lui, son rythme, son pouls.
Dans un entretien à Libé, à la question de savoir qui pourrait vous interpréter à l’écran, vous avez répondu Yolande Moreau – qui joue ici la mère de votre personnage.
Yolande, c’est à mes yeux un des plus grandes actrices du monde. Elle est de la trempe de Gena Rowlands, d’Anna Magnani, de Meryl Streep. C’est une immense actrice et une très belle personne. Et c’est merveilleux de travailler avec elle car elle a une lecture des situations et des dialogues complexe et riche et précise en même temps. Mais quand elle joue, c’est à la fois singulier, surprenant et familier. Familier parce que cela sonne vrai. Elle joue mille pensées à la seconde, des choses que parfois on n’avait pas l’impression d’avoir écrites. Et ça sort d’une manière extrêmement limpide. On ne sait jamais ce qui va arriver la seconde d’après avec elle.
Il y a dans “Camille redouble” un ton jubilatoire qu’on ne vous aurait pas soupçonné il y a encore quelques années. Comme si vous vous laissiez plus aller.
C’est sans doute la joie, la jubilation que j’ai à tourner, à réaliser, à jouer, à être avec des acteurs, avec l’équipe. Je n’ai vu le film qu’une fois complètement terminé. J’ai du mal à revoir mes films. Mais pendant la tournée promo, je reste pendant le premier quart d’heure pour vérifier le son et l’image. Hier soir, en revoyant la scène avec Jean-Pierre Léaud, j’étais incapable de dire si c’est Camille qui réagit face à lui ou si c’est moi. Parce que tout ce qu’il fait est inattendu. Et je me laissais porter par son jeu, comme Camille se laisse porter par l’horloger.
Cette légèreté, vous en étiez capable, il y a quelques années ?
Légèreté ? (elle rit). Je ne suis pas très légère J’aimerais bien. Mais la jubilation, ça dépend des films. Sur "Petites" ou "La vie ne me fait pas peur", oui, je jubilais. J’étais dans le même état que les quatre adolescentes. Un film ressemble à chaque personne qui le fabrique, jusqu’au stagiaire régie, et en même temps, il est le scanner et le microscope de son réalisateur.
La photo que l’on voit de vous dans le film est-elle liée à un contexte ou un souvenir particulier.
Mais pas du tout ! Tout le monde croit que c’est une photo de moi il y a vingt ans, mais elle est récente !
Ah bon ?
Oui, on l’a prise pendant la préparation du film. Je suis maquillée et le noir et blanc permet de tricher sur l’âge. On avait écrit dans le scénario l’expression de Camille sur la photo et la manière dont Eric la décrit à Camille. J’ai donc "joué" pour la photo.
Si c’était à refaire, qu’est-ce que vous referiez dans votre vie ?
Je n’arrive pas à me poser vraiment la question. Si ! Un truc : je ne commencerai pas à fumer jeune. Parce qu’après, on n’arrive pas à s’en passer (NdlA : Noémie Lvovsky a fumé pendant tout l’entretien ).
Alain Lorfèvre
C’est l’idée du producteur Jean-Louis Livi qui a eu très tôt l’intuition que je devais jouer le rôle. Mais il m’a demandé de passer des essais, ce que j’ai fait, et je n’étais pas bonne. Il en convenait, mais il a insisté, et on a refait des essais. Je n’étais pas encore bonne, mais j’ai eu beaucoup de plaisir à jouer Camille. Et là, Jean-Louis m’a proposé quelque chose de rare, c’est de faire les essais en conditions réelles, dans les décors, avec les costumes, avec maquillage, etc. Ce qui donne une énergie et une intensité différentes. Après ces essais, je ne pouvais plus dire non à Jean-Louis.
Auparavant, l’idée que Camille soit interprété par la même actrice aux deux âges était-elle présente dès le début ?
Oui, avant même de commencer l’écriture. Si les deux âges n’étaient pas joué par les mêmes acteurs, je ne faisais pas le film. Je ne savais pas où cette histoire me mènerait en la faisant. Mais j’étais consciente de deux choses : des questions que je me posais à travers cette histoire et de la nécessité d’avoir les mêmes acteurs pour les deux âges.
Ce qui est un sacré défi : cela aurait pu être ridicule d’avoir une comédienne quadra qui se met dans la peau d’une adolescente.
J’ai évacué cette question très vite. Si les choses sont fausses, s’il n’y a pas de vérité, elles sont ridicules. Après, je me disais qu’il fallait qu’on soit vrai en jouant.
Après six films, il est évident que la question des âges et du temps qui passe vous obsède.
C’est le cas depuis l’adolescence, voire même l’enfance. Je me suis toujours posé la question des âges que je n’avais pas ou des âges que je n’ai plus. Ça me passionne, ça me fascine. Est-ce que le temps nous change au point de nous faire devenir une autre personne, ou y a-t-il une part de nous qui est irréductible ou qui change dans l’amour, dans l’amitié ? C’est une vieille question qui reste. Après "Faut que ça danse !", je me suis rendu compte que la question était toujours là. Mais j’ai décidé de la traiter sous un autre angle, à travers un autre âge. Après l’homme âgé qui refuse qu’on l’enterre vivant, je me suis demandé comment être encore plus concrète dans le traitement. Et j’ai pensé à l’idée du voyage dans le temps.
Dans “Petites” et “La vie ne me fait pas peur”, il y avait déjà un groupe de quatre copines. Pure coïncidence ?
Ce n’est pas fortuit, mais ce n’est pas un prolongement ou une suite, ou un remake. Il se trouve que j’ai eu une bande d’amis très, très soudés. Nous avons grandi ensemble, pratiquement sans adultes pour nous guider, pour nous encadrer. Nous étions quatre, aussi. J’ai l’impression que les années passées avec ces amis ont été déterminantes, sans que je puisse vraiment formuler en quoi. Mais elles nous ont changés, peut-être même sauvés la vie d’une certaine manière. Cette dynamique continue de me fasciner, c’est pour cela qu’elle est revenue naturellement dans "Camille redouble". Par ailleurs, j’aime l’esprit de troupe, ce que raconte ce groupe de filles.
Vous avez d’ailleurs votre famille artistique. A 16 ans, l’âge de Camille dans le film, vous avez décidé de ne pas être actrice, alors que c’était votre rêve. Et c’est la famille du cinéma qui vous y a ramenée, après avoir occupé divers postes – casting, scripte, scénariste…
Quand j’étais petite, c’était une vocation, le métier de comédienne de théâtre. Mais j’y ai renoncé. D’abord, parce que c’était une passion dévorante. Et j’ai eu peur. A quinze ans, j’ai passé une audition que je n’avais pas le sentiment d’avoir foirée, mais je n’ai pas eu le rôle et, surtout, on m’a fait des réflexions sur mon physique. Et là, je me suis dit que je pourrais devenir folle à être en permanence dans le regard. Quand c’est revenu vingt ans plus tard, c’est un peu par hasard, lorsque Yvan Attal m’a proposé de jouer dans son premier film. On s’était rencontrés très jeunes à la Fémis. Mais ce n’est pas moi qui ai cherché à jouer. Mais ça m’a permis de revenir vers ça, sans les affres que j’aurais connus plus tôt.
Yvan Attal connaissait-il votre vieille vocation ?
Non. Mais, sans que je sache pourquoi, il était persuadé que je pouvais jouer. Je lui ai pourtant dit non au début. Je lui ai proposé au contraire de faire le casting pour lui. Mais il était convaincu que je pourrais jouer sa soeur à l’écran.
Faute d’avoir eu une formation accomplie et classique, comment travaillez-vous vos rôles ?
Je n’ai pas d’assise. Je vais sur les films pour leur réalisateur avant tout, pas pour le rôle. Je m’inspire toujours du réalisateur, je m’imprègne de lui, de son univers. Même si c’est un petit rôle qui n’a rien à voir avec lui. Le monde qu’il veut construire dans le film m’inspire aussi. Je passe beaucoup de temps à regarder le réalisateur. Je considère que si l’on joue même une seule scène, on joue tout le film. J’essaie donc de me « charger » du film. Cela vient des gens avec lesquels j’ai appris, comme Arnaud Desplechin, avec qui j’ai beaucoup travaillé quand j’étais jeune. Il m’a appris à essayer de faire des films quel que soit le poste en arrivant habité par le film, c’est-à-dire en y étant totalement impliqué et pas seulement en y effectuant un rôle technique.
Vous n’avez donc pas de technique d’actrice, contrairement à ce que votre prédilection pour les seconds rôles de composition pourrait faire penser.
Oh non, je n’ai pas de technique. Ou alors une technique dont je n’ai pas conscience et que j’ai appris sur le tas. Je ne sais d’ailleurs pas comme je jouerais si j’avais de la technique. En secret, sans en parler au réalisateur ou aux partenaires, je joue avec la situation, en fonction des indications du metteur en scène et du partenaire, mais il y a quelque chose qui vient du fait que j’essaie de rentrer dans la tête du réalisateur et dans la tête du film.
Dans la tête du film ?
Oui, un film prend parfois son autonomie. Il est fabriqué, contrôlé par des tas de personnes, mais il a sa logique propre, il devient une entité qui est la somme des entités qui la compose - les personnes et les plans. Il a sa puissance à lui, son rythme, son pouls.
Dans un entretien à Libé, à la question de savoir qui pourrait vous interpréter à l’écran, vous avez répondu Yolande Moreau – qui joue ici la mère de votre personnage.
Yolande, c’est à mes yeux un des plus grandes actrices du monde. Elle est de la trempe de Gena Rowlands, d’Anna Magnani, de Meryl Streep. C’est une immense actrice et une très belle personne. Et c’est merveilleux de travailler avec elle car elle a une lecture des situations et des dialogues complexe et riche et précise en même temps. Mais quand elle joue, c’est à la fois singulier, surprenant et familier. Familier parce que cela sonne vrai. Elle joue mille pensées à la seconde, des choses que parfois on n’avait pas l’impression d’avoir écrites. Et ça sort d’une manière extrêmement limpide. On ne sait jamais ce qui va arriver la seconde d’après avec elle.
Il y a dans “Camille redouble” un ton jubilatoire qu’on ne vous aurait pas soupçonné il y a encore quelques années. Comme si vous vous laissiez plus aller.
C’est sans doute la joie, la jubilation que j’ai à tourner, à réaliser, à jouer, à être avec des acteurs, avec l’équipe. Je n’ai vu le film qu’une fois complètement terminé. J’ai du mal à revoir mes films. Mais pendant la tournée promo, je reste pendant le premier quart d’heure pour vérifier le son et l’image. Hier soir, en revoyant la scène avec Jean-Pierre Léaud, j’étais incapable de dire si c’est Camille qui réagit face à lui ou si c’est moi. Parce que tout ce qu’il fait est inattendu. Et je me laissais porter par son jeu, comme Camille se laisse porter par l’horloger.
Cette légèreté, vous en étiez capable, il y a quelques années ?
Légèreté ? (elle rit). Je ne suis pas très légère J’aimerais bien. Mais la jubilation, ça dépend des films. Sur "Petites" ou "La vie ne me fait pas peur", oui, je jubilais. J’étais dans le même état que les quatre adolescentes. Un film ressemble à chaque personne qui le fabrique, jusqu’au stagiaire régie, et en même temps, il est le scanner et le microscope de son réalisateur.
La photo que l’on voit de vous dans le film est-elle liée à un contexte ou un souvenir particulier.
Mais pas du tout ! Tout le monde croit que c’est une photo de moi il y a vingt ans, mais elle est récente !
Ah bon ?
Oui, on l’a prise pendant la préparation du film. Je suis maquillée et le noir et blanc permet de tricher sur l’âge. On avait écrit dans le scénario l’expression de Camille sur la photo et la manière dont Eric la décrit à Camille. J’ai donc "joué" pour la photo.
Si c’était à refaire, qu’est-ce que vous referiez dans votre vie ?
Je n’arrive pas à me poser vraiment la question. Si ! Un truc : je ne commencerai pas à fumer jeune. Parce qu’après, on n’arrive pas à s’en passer (NdlA : Noémie Lvovsky a fumé pendant tout l’entretien ).
Alain Lorfèvre