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Les cinéastes appellent à la solidarité avec la Syrie

Publié le 11 septembre 2012 dans Cinéphiles

Le week-end prochain, Bozar et la Cinémathèque soutiennent les cinéastes syriens. Rencontre à Paris avec deux cinéastes exilés. Rencontre.
Il a 35 ans, il croyait pouvoir toujours aller et venir entre Damas et le reste du monde. Il s’appelle Orwa Nyrabia et a disparu du jour au lendemain, le 23 août, à l’aéroport de Damas alors qu’il embarquait pour Le Caire où il aurait dû présenter son dernier film qui traite de la révolution en Egypte et du rôle qu’y ont joué les femmes. Il a été arrêté et maintenu au secret. Depuis, plus de nouvelles. Une pétition signée par 140 cinéastes réclame sa libération immédiate : "Tout son travail, lit-on, consiste à bâtir pacifiquement des ponts entre les êtres, considérant l’art, le cinéma, comme un des moyens les plus efficaces pour atteindre ce but."

A Paris, à la terrasse du café Sarah Bernhardt au Châtelet, son oncle, le cinéaste Ossama Mohammed est sans nouvelles de lui. Ossama, un des grands cinéastes syriens, réfugié pour l’instant en France et qui viendra à l’initiative des Halles de Schaerbeek, pour un événement de quatre jours au palais des Beaux-Arts, du 14 au 17 septembre. Au programme, réalisé avec la Cinémathèque : projections de films, débats, moments citoyens sous le titre "Que peut le cinéma ? A propos de la Syrie". Il est assis avec sa femme, la chanteuse Noma Omran, souvent invitée à Bruxelles, et qui donnera un récital pour clore cet événement. "Enfant, raconte-t-il, je pouvais me nourrir de films français et américains, de Truffaut comme de Kubrick. Mais le parti Baas au pouvoir a fait le choix, ensuite, de contrôler le cinéma. Il y avait encore 20 salles de cinéma en Syrie en 1990, il n’y en a plus que six alors qu’il y a cent salles à Beyrouth ! Le parti n’aidait plus qu’un film par an, soumis à d’incessants contrôles. Vingt-cinq réalisateurs attendent leur tour. Si j’avais dû compter uniquement sur ça, je n’aurais pu faire qu’un film tous les 30 ans."

Ossama Mohammed est né à Lattakieh en 1954. En 1988, "Etoiles de jour", son premier long-métrage, fut considéré comme une des critiques les plus virulentes de la société syrienne sous le régime du parti Baas. Il n’a jamais pu être montré en Syrie. En 1992, il coréalisait "La Nuit" avec le grand cinéaste documentaire Omar Amiralay, disparu l’an dernier et à qui cet événement à Bozar rendra hommage.

"Pour réaliser quand même des films, beaucoup ont dû accepter des compromis. Aujourd’hui, le gouvernement considère que le cinéma, c’est ‘shit’. Mais je vois que des petits films indépendants surgissent, parfois réalisés sur des caméras compactes ou sur celles de smartphones. Cette génération nouvelle a compris que faire de l’art est aussi une manière de se défendre. J’irais même plus loin, en Syrie, si vous n’avez pas en vous une grande force artistique, vous êtes écrasé. Mon héros, quand j’étais jeune, était Spartacus ! Avant même de savoir que Kubrick en avait fait un film."

"Il n’y a pas un instant maintenant où je ne pense pas au fils de ma sœur, le cinéaste Orwa Nyrabia. Il fait partie de cette génération nouvelle qui parle toutes les langues, qui s’intéresse autant au cinéma documentaire qu’à la fiction, qui fut même, grâce à son physique avenant, une star de la télé, un des seuls moyens en Syrie pour devenir vite riche. Il a d’abord travaillé comme assistant avec moi, mais il fut vite plus que cela."

Si, comme beaucoup d’artistes syriens, Ossama Mohammed regrette l’attitude du grand poète Adonis qui s’en est pris à la révolution en cours, il explique que la majorité des réalisateurs, poètes et artistes en Syrie soutiennent la révolution. Il ne comprend pas qu’il n’en soit pas ainsi pour tous : "On a d’abord connu six mois de manifestations pacifiques et cependant 15 000 morts. Il faut arrêter ça. Je ne comprends pas ceux qui tergiversent encore en se demandant ce que sera la suite. Si on est médecin et qu’on voit devant soi un grand blessé qui va mourir, on ne discute pas, on le sauve. C’est un problème de droits de l’homme, d’humanité. Je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas eu en Europe des gens dans les rues pour exiger qu’on arrête ces massacres comme on avait vu des gens défiler en masse quand il s’était agi de l’Irak. Dans la révolution, les extrémistes sont très minoritaires. Mais le problème est qu’Israël et les pays occidentaux restent sur le côté par opportunisme, croyant qu’Assad pourrait quand même l’emporter. S’ils arrêtaient de le soutenir en sous-main, il tomberait vite."

Hala Mohammad aussi, a quitté la Syrie l’an dernier quand la guerre a éclaté. On présentera à Bozar son film "When Qasiyun grows tired", un documentaire réalisé en 2006 autour du poète syrien Mohammad al Maghout décédé en 2008. Elle est née aussi à Lattakieh, à la fin des années 50, mais se fâche si on cherche à en déduire de quelle communauté confessionnelle elle vient. "Aux journalistes qui me demandent ça, je réponds que je les emmerde. Je suis une citoyenne syrienne, c’est tout. Je refuse qu’on m’enferme dans des identités religieuses. J’ai grandi à Lattakieh où toutes les portes étaient ouvertes. Mon père, un enseignant, nous apprenait le français. La révolution en cours veut effacer toutes ces discriminations. La lutte en cours est au nom de l’humanité. Mon chemin personnel est d’abord celui de la poésie. Mais je suis passée aussi au cinéma. J’ai voulu dès le départ m’attaquer, grâce au cinéma, à des tabous de la société syrienne, comme ce qui se passe en prison. J’ai réalisé trois films sur les liens entre littérature et prison. J’ai été questionnée, interrogée régulièrement pendant un an sur mes intentions, mais je n’ai rien changé."

"Je suis venue à Paris avec ma fille. Je pourrais rentrer en Syrie quand je veux. Mais sur place, il n’y a plus de logique. On peut vous laisser en paix et, un jour, vous pouvez être arrêté sans raison. Avant l’arrivée du père Assad, la société syrienne était douce et ouverte. Comme poète, je suis évidemment pacifiste et ne souhaite pas ajouter la guerre à la guerre par des interventions armées extérieures, mais si les pays extérieurs cessaient de soutenir Assad en dépit de ce qu’ils disent, le régime tomberait. Tous les jours, il y a 250 martyrs nouveaux qui meurent. La majorité des gens veulent la démocratie. Vous Européens, vous vous dites démocrates, alors aidez le peuple syrien, soutenez-le. Je ne comprends pas pourquoi les démocrates européens ne peuvent pas faire davantage entendre leurs voix. La lutte est implacable car le régime syrien est criminel et ne craint pas de tuer son propre peuple. Mais celui-ci - et singulièrement ses femmes - est fort. Déjà des artistes se font les témoins de la révolution sur leurs petits films. Quand l’horizon sera enfin libre, l’art pourra aider à changer le monde."



4 jours de films et de débats : Découvrir la Syrie à travers tout un cinéma.

Du vendredi 14 au lundi 17 septembre, "Que peut le cinéma ?" montrera pour la première fois à Bruxelles des films marquants, des classiques syriens mais aussi de nouvelles productions, le tout ponctué de débats. Un hommage spécial sera rendu à Omar Amiralay, le père du documentaire critique en Syrie, disparu en février 2011, juste avant que n’éclosent les premières manifestations, avec notamment son film "A Flood in Baath Country (2003)", projeté vendredi à 20h au Palais des Beaux-Arts (salle "M") suivi à 22 h par un film réalisé en 1982 sur le massacre d’Hama. Les réalisateurs Ossama Mohammed et Hala al-Abdallah dresseront un état des lieux du cinéma syrien en 2012 samedi à 16 h. Le public pourra aussi découvrir une série de courtes vidéos (d’animations et de reportages) fraîchement sorties de Syrie, de manière clandestine, samedi à 21 h. Une manière de voir que l’art reste important même dans un contexte de guerre sans merci.

Le dimanche matin, à 10 h 30, des spécialistes de la région, venus ou revenus de Syrie (Mohammed Ali Al-Atassi, Jean-Pierre Perrin, Amer Mattar, le père Paolo) témoigneront à propos de la révolution et de la situation présente. À 15 h, une "action citoyenne" de prises de position est prévue avec Médecins du Monde. Le soir, à 20 h, la chanteuse Noma Omran, l’une des meilleures interprètes contemporaines du maqâm syrien donnera un récital. Enfin, le lundi, Cinematek clôturera ce week-end avec des films d’Omar Amiralay (19 h) et d’Ossama Mohammed (21 h).

Du 14.09 au 17.09 au Palais des Beaux-Arts, Studio
rue Ravenstein, 23 à 1000 Bruxelles.

Infos & tickets : +32 (0) 2 507 82 00 et www.bozar.be

Pour un complément d’informations, voir www.halles.bewww.bozar.be et www.cinematek.be


Guy Duplat, envoyé spécial de La Libre Belgique à Paris

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