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Bacri tout chiffonné ? : Entretien

Publié le 5 septembre 2012 dans Cinéphiles

Projeté à Venise, “Cherchez Hortense” de Pascal Bonitzer met Jean-Pierre de bonne humeur. Forcément, ce type chiffonné, c’est le meilleur rôle qu'on lui a écrit.
Il faut le sortir, Jean-Pierre Bacri ! Comme son chien (Chabat) dans "Didier". Sur la terrasse de l’hôtel Manos à Bruxelles, fines lunettes solaires sur le nez, cigarette à la main - trois fois, il demandera si cela ne dérange pas - il est plus que détendu, carrément cool. C’est pas forcément un client, Bacri ! Ça peut mal se passer mais au moins, ce n’est pas le MacDo, pas le discours promo pré-mâché pour plateau-télé. Quand on lui lance une question bateau, faut pas s’étonner de prendre un coup de rame. Mais là, on sent que cela va bien se passer. Grâce à Hortense qui lui a offert un des meilleurs rôles de sa carrière, du moins parmi ceux qu’il ne s’est pas écrit sur mesure. "Cherchez Hortense" est le dernier film de Pascal Bonitzer en partance pour Venise. Le festival sera-t-il sous le charme de cette dramédie jubilatoire ? Bacri ne fera pas le voyage, il ne prend pas l’avion et le train de nuit appartient au passé.


Après avoir vu “Cherchez Hortense”, je sais que chaque fois que j’entendrai le mot “chiffonné”, je penserai à vous.
Chiffonné me va bien. Il va bien à mon physique pas rasé, à ma tête. Le personnage a beaucoup de raisons d’être chiffonné.

Vous tournez un film par an, c’est le bon.
Toute la subtilité est d’arriver à trouver le bon. Si j’en trouvais trois par an, je les ferais. Ce n’est pas un rite, une superstition. Parfois, je n’en trouve qu’un en deux ans. Pourquoi j’irais m’ennuyer à tourner des merdes, on n’a qu’une vie. Je suis à l’abri de la nécessité. Pourquoi tourner si c’est pour me dire : elle est nulle cette scène aujourd’hui. J’ai fait ce métier pour être heureux, pour m’amuser comme un enfant, pour jouer. Jouer, c’est pas s’ennuyer.

C’est bien pour nous aussi, car on se dit : Bacri fait attention à ce qu’il tourne, le film doit être bien.
Vous ne pouvez pas me faire plus plaisir car c’est exactement mon but. Je ne voulais pas être acteur, je l’ai été par hasard en draguant une fille qui suivait un cours d’art dramatique. Je ne pensais pas que cela existait encore. Je ne voulais pas être acteur mais j’allais au cinéma et je me disais, à chaque fois que Rochefort et Marielle sortaient un film : j’y vais car ils sont rares, ça doit être bon. C’est pas comme Delon et Belmondo. De fait, Marielle et Rochefort, c’était souvent bien. Et quand j’ai commencé à tourner, je me suis dit : je veux être comme ces mecs-là. Pas celui qu’on voit trois fois par an; celui qui n’est pas souvent là, mais quand il est là, tu peux y aller.

Pourquoi est-il bon celui-ci ?
J’ai adoré. Si c’est pas le rôle de ma vie, on n’en est pas loin. Bonitzer a un talent exceptionnel. Moi-même étant dialoguiste, il m’a complexé. Vraiment. Qu’est-ce qu’il est brillant ! Regardez la scène avec Rich quand il parle des cases : "Je fais ce que je veux et personne ne me mettra dans des cases", c’est écrit magistralement. Je suis bluffé par les dialogues. J’étais fou de joie qu’il me propose cela. Je n’avais jamais tourné avec Bonitzer, j’avais l’impression qu’il ne me connaissait pas. Mais quel cadeau royal. Parfois, le matin, je passais devant lui et je lui disais : "Mais quel cadeau tu m’as fait, Pascal !"

C’est le rôle d’une vie aussi, on a l’impression d’assister à un film choral de thèmes : les sans-papiers, le divorce, la relation père-fils, les puissances émergentes, la mid-life crisis, le communautarisme sexuel, la cuisine japonaise…
Un film choral de thèmes ! C’est pas mal. Ça marche bien. Je vais vous le piquer pour le reste de la promo. Je vais passer mon temps à dire : c’est un film choral mais de thèmes. Moi, je me disais que c’était un type qui essaie de remonter dans sa propre estime. Il y a un moment qui me plaît quand il est au bistrot et qu’il dit à Isabelle (Carré) : "J’ai singulièrement baissé dans l’estime de ma femme. Et dans la mienne aussi." C’est un type qui bascule quand sa femme part. Il prend cette résolution de remonter dans son estime. C’est à ce moment qu’il trouve la force de parler avec son père, d’aller jusqu’au bout du service qu’on lui a demandé même si ça ne marche pas. Il arrache une page et recommence sur une blanche. Il donne un coup de talon sur le fond de l’étang glauque dans lequel il s’est enfoncé et il remonte. Mais un film choral de thèmes, ça me plaît bien.

Le cinéma de Bonitzer a-t-il un air de famille avec celui de Bacri et Jaoui ?
Oui, mis à part qu’il n’est pas aussi choral que le nôtre. Mais sur l’exigence d’authenticité, sur la vérité des dialogues, sur les rapports humains de soumission, d’incompréhension entre les personnages, il est vraiment de la famille. Je revendique cette parenté avec plaisir. J’ai beaucoup d’admiration pour sa façon d’écrire. Je parle de ce scénario, je n’en dirai pas autant de tous ses films. Je ne les ai d’ailleurs pas tous vus. J’en aime certains plus que d’autres mais là, je me sens très proche.

Vous dites que c’est le rôle de votre vie. Agnès Jaoui dans “Du vent dans mes mollets” peut en dire autant.
Complètement. On tient à rester sur le même niveau, comme cela on ne se perd jamais de vue (rires). En plus son film marche. J’adore cette femme.

Quand on voit l’affiche dessinée par Floc’h, on pense aussi à Resnais.
Oui, à "On connaît la chanson". Quel bon souvenir. Merveilleux. Je ne connais pas de personne plus délicieuse qu’Alain Resnais. On s’est beaucoup amusé à écrire cela.

Hormis Agnès Jaoui, c’est aussi la seule personne avec laquelle vous avez travaillé en matière de scénario.
Oui, c’est vrai. On a fait "Smoking, No smoking" aussi et puis après, on a décidé d’écrire pour nous. Même si on a adoré travailler avec Resnais, et puis avec Klapisch, on a toujours des frustrations. Quand vous écrivez quelque chose, vous ne pouvez pas vous empêcher de le voir, de l’écouter intérieurement. Avec Agnès, on pense à un rythme de jeu. Quand c’est donné à un tiers, aussi intelligent, aussi subtil soit-il, il se l’accapare et c’est lui qui décide du rythme. Avec Resnais, on avait un pacte. Nous avions carte blanche pour écrire mais une fois que le scénario était à lui, il en faisait ce qu’il voulait. Souvent, on rongeait notre frein, car on se disait "non ce n’est pas comme cela. C’est plus calme, ou plus violent, ou plus lent". A un certain moment, on s’est dit que le seul moyen, c’était de le faire nous-mêmes. Et comme je suis de nature paresseuse, c’est assez naturel qu’Agnès réalise.

Et quand des théâtres jouent vos pièces, “Cuisine et dépendances” par exemple, vous allez voir ?
Non. Parfois à l’étranger, quand c’est monté dans une autre langue par pure curiosité. Sinon, je ne préfère pas. Quand je vois que c’est joué de façon un peu boulevardière, ça me crève le cœur. On donne les droits à tout le monde, il n’y a aucune exclusivité mais on préfère de ne pas voir.

Etant donné votre image de bougon, éprouviez-vous une certaine jubilation à jouer un professeur de culture asiatique, un spécialiste des sourires ? Les avez-vous observés particulièrement en préparant le rôle ?
J’observe passionnément la nature humaine. Le paysage humain est, pour moi, le plus beau paysage du monde. J’ai toujours beaucoup de plaisir à regarder les gens, à les écouter parler. S’il y a un couple à côté de moi à table, je ne parle plus, je passe mon temps à l’écouter. Je suis très curieux. Le sourire en Asie, c’est sûrement très important mais en Occident, c’est tellement passe-partout, tellement un argument commercial que je n’y accorde pas beaucoup d’importance. C’est sans doute pour cela qu’on dit toujours que je fais la gueule. Moi, je souris quand il y a lieu de sourire. Un sourire, pour moi, ce n’est pas gratuit. Le sourire en tant qu’affiche publicitaire, comme représentant de soi-même, cela ne m’intéresse pas. Je préfère la sincérité. Tant pis, si c’est un peu plus abrupt mais je préfère avoir en face de moi une personne sincère. Peu importe si elle sourit, l’important c’est qu’on puisse se parler normalement. Il y a des dictateurs qui sourient tout le temps et prennent des enfants dans leurs bras, ça ne les empêche pas d’être des ordures. Bachar al-Assad, on n’arrête pas de le voir sourire. Ça ne veut pas dire grand-chose. Sauf chez les Asiatiques.



Fernand Denis

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