Actualités
"Je suis un acteur avant d’être un réalisateur"
Publié le 18 juillet 2012 dans Actu ciné
Capricieux ou lucide, autoritaire ou directif, arrogant ou brillant... Xavier Dolan sait ce qu’il fait et le fait à fond.
En avril dernier, la déception de Xavier Dolan à l’annonce qu’il ne serait pas en compétition à Cannes mais "seulement" en section "Un Certain Regard" fut mal interprétée. Le réalisateur de 23 ans tint à préciser la nature de sa réaction : "Laurence Anyways" est plus abouti, plus complet, plus accessible, plus touchant. C’est le film dont mes prochains films seront victimes de la comparaison. Je le sais, je n’ai pas besoin d’attendre que les journalistes me le disent." Au lendemain de la projection cannoise, mi-mai, il pouvait être conforté de ce sentiment, tant la presse française encensa son film.
Effet pervers dû à votre âge, on vous attribue toujours diverses influences ou modèles. Qu’en est-il réellement ?
C’est comme si un jeune réalisateur ne pouvait que faire du plagiat. J’ai une culture cinéma assez limitée. J’essaie de développer mes propres goûts. J’ai vu peu de films dans ma vie. Je n’ai pas la culture que je "devrais" avoir en tant que jeune réalisateur. Alors, je pratique ce que j’appelle "le mensonge blanc" : je visionne des bandes annonces sur YouTube pour pouvoir faire illusion dans les conversations Tout le monde me parle d’Almodovar et me l’envoie à la figure comme une référence. J’ai vu trois films d’Almodovar - les trois derniers avant "La Piel que Habito". C’est tout. Donc, le Almodovar auquel on me raccroche, je ne le connais pas. Après "Les Amours imaginaires", la presse me rattachait à la Nouvelle Vague : j’ai vu deux films de la Nouvelle Vague, qui est l’époque du cinéma français à laquelle je m’identifie le moins et que j’apprécie le moins. C’est un cinéma très libre, très génial, mais aussi très cérébral. Très pénible aussi. Admirable pour la révolution des codes, mais surestimé. Pour moi, à part Truffaut, il y a beaucoup de pièges, d’après ce que j’ai vu.
La musique occupe une présence importante dans “Laurence Anyways”. Le film y trouve-t-il son origine ?
J’écris des scènes pour utiliser des chansons précises. 60 % de la musique est dans ma tête quand j’écris le scénario. Le fait que la musique soit présente dès l’origine guide la réalisation. Le reste, ce sont les surprises ou ce qui doit s’ajouter dans la post-production - par exemple pour accompagner une scène dans un café. Le choix de la musique relève de goûts personnels, mais est aussi lié au choix de situer le film en 1989, l’année de ma naissance. "If I have A Heart" et "The Funeral Party" étaient des choix antérieurs au tournage. "Visage", depuis le début pour la scène de bal, c’était évident. De même que la présence des morceaux de Duran Duran ou Depeche Mode. "Moderate" était dans ma tête. Quand j’ai entendu cette chanson, je savais qu’elle servirait à la bande-annonce avant même d’avoir fini d’écrire le scénario.
Pour la première fois, vos personnages principaux n’ont pas votre âge. Vous brûlez les étapes, semble-t-il.
"J’ai tué ma mère", disons que c’est un ado. "Les Amours imaginaires", des young adults comme on dit aux Etats-Unis. "Laurence Anyways", des adultes. Et mon prochain film aura pour héros un baby-boomer. Il y a une sorte d’inconscience là dedans, logique et ésotérique en même temps. Le cinéma, c’est vivre en accéléré. Sur un plateau de tournage, on est sous adrénaline. Il faut progresser. J’ai l’impression de prendre un coup de vieux à chaque film. Je suis sur des plateaux de tournage depuis que j’ai l’âge de quatre ans. On est forcé de grandir très vite dans cet environnement, quand on est entouré d’adultes qui blasphèment, qui rotent, qui parlent de leurs histoires de sexe... C’est un lieu à la fois extrêmement évolué et vulgaire pour un enfant. Du coup, je mens parfois comme une vieille âme. Mais réaliser des films, c’est aussi un exutoire pour ça.
En parlant d’exutoire, “Laurence Anyways” véhicule beaucoup de colère, de violence...
C’est la rage de mes personnages que je partage. J’ai été un enfant très très violent quand j’étais petit. Avez-vous vu "Punch, Drunk, Love" ? J’ai beaucoup de filiation avec le personnage d’Adam Sandler. Le cinéma est ce que j’ai trouvé de mieux pour évacuer ma colère. Mes personnages me vengent et qui vengent ceux que j’aurais voulu venger, les victimes de la société, comme ma mère.
Selon Melvil Poupaud, vous bousculez vos acteurs.
Je dirige. Je n’engueule pas. Oui, je suis directif. J’aime les pousser dans leurs retranchements. Je parle aux acteurs : "Continue ! Tousse ! Dis ça ! Regarde par la fenêtre !". Je leur dis de faire ce que je ferais moi-même. Je ne leur laisse pas de répit, même à Nathalie Baye. Tout le monde à besoin d’être dirigé. Surtout les grands acteurs qui sont désireux de donner au réalisateur ce qu’il veut. Mais je suis respectueux des acteurs. Je réalise un film comme un acteur. Je suis acteur avant d’être réalisateur.
N’avez-vous jamais eu peur de ce statut “d’enfant prodige” et de cette vitesse accélérée dont vous parlez ?
Non, parce que, autre caractéristique du cinéma : à chaque film, on remet les compteurs à zéro. La quête est renouvelée. Dans la carrière de quelqu’un, il y a les accomplissements, mais il y a aussi la qualité qu’il faut atteindre à chaque fois. La différence entre un cinéaste et un autre métier, c’est l’itération - le fait que, de jour en jour, on répète la même routine. Au cinéma, chaque film est différent : on change d’histoire et de personnage. Il n’y a pas de routine.
Vous avez parlé de ce film comme le dernier d’une trilogie.
Une trilogie inconsciente, oui, sur les amours impossibles. D’abord l’amour impossible entre une mère et son fils, puis entre deux amants et un bel inconnu, puis, ici, entre deux idéalistes qui ne savent vivre sans aimer ou aimer sans vivre. Mais, pour le quatrième, ce sera aussi un amour impossible entre le cinéma et un baby-boomer. Après, j’ai trois projets radicalement différents : un thriller politique, un thriller psychologique et une adaptation de pièces de théâtre. On peut faire une pré-entrevue si vous voulez !
Entretien à Cannes, Alain Lorfèvre
Effet pervers dû à votre âge, on vous attribue toujours diverses influences ou modèles. Qu’en est-il réellement ?
C’est comme si un jeune réalisateur ne pouvait que faire du plagiat. J’ai une culture cinéma assez limitée. J’essaie de développer mes propres goûts. J’ai vu peu de films dans ma vie. Je n’ai pas la culture que je "devrais" avoir en tant que jeune réalisateur. Alors, je pratique ce que j’appelle "le mensonge blanc" : je visionne des bandes annonces sur YouTube pour pouvoir faire illusion dans les conversations Tout le monde me parle d’Almodovar et me l’envoie à la figure comme une référence. J’ai vu trois films d’Almodovar - les trois derniers avant "La Piel que Habito". C’est tout. Donc, le Almodovar auquel on me raccroche, je ne le connais pas. Après "Les Amours imaginaires", la presse me rattachait à la Nouvelle Vague : j’ai vu deux films de la Nouvelle Vague, qui est l’époque du cinéma français à laquelle je m’identifie le moins et que j’apprécie le moins. C’est un cinéma très libre, très génial, mais aussi très cérébral. Très pénible aussi. Admirable pour la révolution des codes, mais surestimé. Pour moi, à part Truffaut, il y a beaucoup de pièges, d’après ce que j’ai vu.
La musique occupe une présence importante dans “Laurence Anyways”. Le film y trouve-t-il son origine ?
J’écris des scènes pour utiliser des chansons précises. 60 % de la musique est dans ma tête quand j’écris le scénario. Le fait que la musique soit présente dès l’origine guide la réalisation. Le reste, ce sont les surprises ou ce qui doit s’ajouter dans la post-production - par exemple pour accompagner une scène dans un café. Le choix de la musique relève de goûts personnels, mais est aussi lié au choix de situer le film en 1989, l’année de ma naissance. "If I have A Heart" et "The Funeral Party" étaient des choix antérieurs au tournage. "Visage", depuis le début pour la scène de bal, c’était évident. De même que la présence des morceaux de Duran Duran ou Depeche Mode. "Moderate" était dans ma tête. Quand j’ai entendu cette chanson, je savais qu’elle servirait à la bande-annonce avant même d’avoir fini d’écrire le scénario.
Pour la première fois, vos personnages principaux n’ont pas votre âge. Vous brûlez les étapes, semble-t-il.
"J’ai tué ma mère", disons que c’est un ado. "Les Amours imaginaires", des young adults comme on dit aux Etats-Unis. "Laurence Anyways", des adultes. Et mon prochain film aura pour héros un baby-boomer. Il y a une sorte d’inconscience là dedans, logique et ésotérique en même temps. Le cinéma, c’est vivre en accéléré. Sur un plateau de tournage, on est sous adrénaline. Il faut progresser. J’ai l’impression de prendre un coup de vieux à chaque film. Je suis sur des plateaux de tournage depuis que j’ai l’âge de quatre ans. On est forcé de grandir très vite dans cet environnement, quand on est entouré d’adultes qui blasphèment, qui rotent, qui parlent de leurs histoires de sexe... C’est un lieu à la fois extrêmement évolué et vulgaire pour un enfant. Du coup, je mens parfois comme une vieille âme. Mais réaliser des films, c’est aussi un exutoire pour ça.
En parlant d’exutoire, “Laurence Anyways” véhicule beaucoup de colère, de violence...
C’est la rage de mes personnages que je partage. J’ai été un enfant très très violent quand j’étais petit. Avez-vous vu "Punch, Drunk, Love" ? J’ai beaucoup de filiation avec le personnage d’Adam Sandler. Le cinéma est ce que j’ai trouvé de mieux pour évacuer ma colère. Mes personnages me vengent et qui vengent ceux que j’aurais voulu venger, les victimes de la société, comme ma mère.
Selon Melvil Poupaud, vous bousculez vos acteurs.
Je dirige. Je n’engueule pas. Oui, je suis directif. J’aime les pousser dans leurs retranchements. Je parle aux acteurs : "Continue ! Tousse ! Dis ça ! Regarde par la fenêtre !". Je leur dis de faire ce que je ferais moi-même. Je ne leur laisse pas de répit, même à Nathalie Baye. Tout le monde à besoin d’être dirigé. Surtout les grands acteurs qui sont désireux de donner au réalisateur ce qu’il veut. Mais je suis respectueux des acteurs. Je réalise un film comme un acteur. Je suis acteur avant d’être réalisateur.
N’avez-vous jamais eu peur de ce statut “d’enfant prodige” et de cette vitesse accélérée dont vous parlez ?
Non, parce que, autre caractéristique du cinéma : à chaque film, on remet les compteurs à zéro. La quête est renouvelée. Dans la carrière de quelqu’un, il y a les accomplissements, mais il y a aussi la qualité qu’il faut atteindre à chaque fois. La différence entre un cinéaste et un autre métier, c’est l’itération - le fait que, de jour en jour, on répète la même routine. Au cinéma, chaque film est différent : on change d’histoire et de personnage. Il n’y a pas de routine.
Vous avez parlé de ce film comme le dernier d’une trilogie.
Une trilogie inconsciente, oui, sur les amours impossibles. D’abord l’amour impossible entre une mère et son fils, puis entre deux amants et un bel inconnu, puis, ici, entre deux idéalistes qui ne savent vivre sans aimer ou aimer sans vivre. Mais, pour le quatrième, ce sera aussi un amour impossible entre le cinéma et un baby-boomer. Après, j’ai trois projets radicalement différents : un thriller politique, un thriller psychologique et une adaptation de pièces de théâtre. On peut faire une pré-entrevue si vous voulez !
Entretien à Cannes, Alain Lorfèvre