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Haneke, mon amour

Publié le 29 mai 2012 dans Actu ciné

Le jury de Moretti n’est pas passé à côté de la Palme. Mais ce palmarès sans Anderson, Salles, Resnais, Audiard et surtout Nichols est globalement décevant.
Nanni Moretti est un cinéaste capable du meilleur et du pire. Le meilleur, c’est "La chambre du fils"; le pire "le Caïman", ce pamphlet anti-Berlusconi si prétentieux, qu’il finissait par générer de la sympathie pour cette pourriture. Et, souvent, le meilleur côtoie le pire, à l’image de "Habemus Papam", où la bouleversante attaque de panique de Piccoli en futur pape côtoyait Moretti en psychanalyste, initiant les cardinaux au volley. Son palmarès lui ressemble : on y trouve le meilleur et le pire.

Le meilleur, c’est la Palme d’or. Ouf, le jury n’est pas passé à côté de "Amour". C’est LE film qui a marqué cette 65e édition et il possède toutes les qualités d’une palme. A commencer par un potentiel public car le sujet est universel, c’est l’amour au travail alors que la maladie s’attaque à un couple soudé depuis des décennies. Exemplaire, la mise en scène témoigne d’une évolution dans l’approche de Haneke. Ses plans-séquences ne s’inscrivent pas dans une mécanique de précision chargée de faire apparaître le point de vue de l’auteur. Ils sont chargés d’une humanité pudique, jamais sentimentale, insufflée par la grâce de ses acteurs, Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva, l’inoubliable interprète de "Hiroshima mon amour".

Voilà pour le meilleur. Maintenant, le pire : le Prix de la Mise en scène à Carlos Reygadas. Le prix du film abscons, certainement. Le prix du film prise de tête, assurément. Le prix du poseur, incontestablement, mais pas le prix de la mise en scène. Il fallait le donner au Roumain Cristian Mungiu. Sa mise en scène, tout en plans-séquences tendus, est virtuose. Elle injecte toute l’intensité à "Au-delà des collines" et pas du tout le scénario primé, qui aurait pu être resserré. Ni son duo d’actrices, Cristina Flutur et Cosmina Stratan, excellentes mais pas exceptionnelles comme l’est Margarethe Tiesel dans "Paradise : Love" de Ulrich Seidl.

L’essai réussi de Matteo Garrone de relancer la comédie à l’italienne avec "Reality" méritait d’être encouragé. Avec le prix du jury, par exemple, pas le grand prix, chargé, lui, de récompenser une œuvre formellement audacieuse. C’est comme "La part des anges" de Ken Loach. Trotsky sait qu’on aime le cinéaste britannique, mais ce n’est pas ce que le réalisateur de "Kes" a fait de plus fort, chaleureux, sensible ou drôle. Juste un chouette petit Ken Loach.

Que Mads Mikkelsen soit un acteur formidable, c’est une évidence, mais ce qu’il fait dans "The Hunt", film très manipulateur de Vinterberg, n’est pas son travail le plus subtil au point d’enlever le prix d’interprétation masculine, alors que Matthias Schoenaerts est stupéfiant dans "De rouille et d’os". Le mélodrame contemporain de Jacques Audiard est reparti bredouille, comme Resnais et Salles. Wes Anderson aussi. Et "Mud" de Jeff Nichols. Et là, c’est un scandale. Voilà bien un des films les plus lumineux de l’édition 2012, un classicisme réinventé à tomber. Passer à côté d’un pareil bijou, du John Ford de demain, c’est la honte.

S’il a sauvé l’essentiel, la palme, le 65e palmarès est globalement décevant, sauf pour les Dardenne. Coproducteurs de trois films en compétition, ils s’en retournent avec trois prix : deux pour "Au-delà des collines" de Mungiu et un pour "La part des anges" de Ken Loach.


Fernand Denis

Les principaux prix :


COMPÉTITION

- Palme d’or: "Amour" de l’Autrichien Michael Haneke.
- Grand prix: "Reality" de l’Italien Matteo Garrone.
- Prix d’interprétation féminine: Les Roumaines Cosmina Stratan et Cristina Flutur pour "Au-delà des collines" de Cristian Mungiu.
- Prix d’interprétation masculine: Le Danois Mads Mikkelsen pour "La Chasse" de Thomas Vinterberg.
- Prix de la mise de scène: Le Mexicain Carlos Reygadas pour "Post tenebras lux".
- Prix du scénario: Le Roumain Cristian Mungiu pour "Au-delà des collines".
- Prix du Jury: "La part des anges" du Britannique Ken Loach.
- Caméra d’or: "Les Bêtes du Sud sauvage" de l’Américain Benh Zeitlin.
- Palme d’or du court métrage: "Silence" du Turc Rezan Yesilbas.

UN CERTAIN REGARD
- Prix Un Certain Regard (meilleur film): "Después de Lucia" du Mexicain Michel Franco.
- Prix spécial du jury: "Le Grand Soir" des Français Benoît Delépine et Gustave Kervern.
- Prix d’interprétation féminine: Exceptionnellement, le jury a décerné deux prix d’interprétation féminine (qui ne sont pas ex aequo), et pas de prix d’interprétation masculine, à la Belge Emilie Dequenne pour "A perdre la raison" de Joachim Lafosse et à la Québecoise Suzanne Clément pour "Laurence Anyways" de Xavier Dolan.
- Mention spéciale: "Enfants de Sarajevo" de la Bosniaque Aida Begic.

QUINZAINE DES RÉALISATEURS
- Prix Art Cinema Award: "No" du Chilien Pablo Larrain.
- Prix SACD: "Camille redouble" de la Française Noémie Lvovsky.
- Prix Label Europe Cinemas: "Le repenti" du Français Merzak Allouache

SEMAINE DE LA CRITIQUE
- Grand Prix: "Aqui y alla" de l’Espagnol Antonio Mendez Esparza.
- Prix Révélation: "Sofia’s last ambulance" du Bulgare Ilian Metev.
- Prix SACD: "Les voisins de Dieu" de l’Israélien Meni Yaesh.

RAIL D’OR
"Hors les Murs" du Belge David Lambert.

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