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Marjane Satrapi, la sale gosse : entretien

Publié le 16 novembre 2011 dans Cinéphiles

Marjane Satrapi revient avec "Poulet aux Prunes". La néoréalisatrice apparaît toujours aussi sûre d'elle et libre.
"Je ne fais pas de conneries, que des choses bien dans la vie. Mais vous ne pouvez même pas imaginer combien je suis gaffeuse ! J’aime bien aussi sonner aux portes et partir en courant. Ça me fait la même chose que quand j’avais 7 ans..." Le ton est donné ! De passage à Bruxelles il y a quelques jours, Marjane Satrapi n’a rien perdu de sa gouaille. La sale gosse du cinéma français défend avec chaleur et enthousiasme son second film.

Faire un film, c’est la même excitation que sonner aux portes ?
Quand j’étais enfant, on disait avec les copains : on va faire un spectacle, il y aura ça, ça et ça... Pour moi, le cinéma, c’est exactement la même chose. On voit un truc entre amis. Sur "Persepolis", l’ambiance ressemblait à tout, sauf à un studio d’animation. On aurait dit une maison de gitans. Entre les mecs qui fumaient des joints et les trucs qui pendaient partout, c’était pas l’ambiance des studios d’anime chinois ou américains. Il ne faut pas perdre de vue ce côté ludique.

Est-ce pour cela que vous êtes allée vers le cinéma plutôt que de rester seule face à votre planche à dessins ?
Je ne suis pas du tout allée vers le cinéma parce que j’en avais envie. On m’a proposé d’adapter "Persepolis", et je pensais sincèrement que c’était la plus mauvaise idée du monde. En même temps, il y avait quelque part une petite voix qui me disait : nom de Dieu ! Ils vont te donner plusieurs millions d’euros pour que tu apprennes une nouvelle chose, tu dois être con pour dire non ! Qu’est-ce qui peut t’arriver ? Tu vas faire une merde ? Et alors ? Et puis, une fois qu’on l’a fait, j’ai pris goût au cinéma. Mais avant, je n’avais aucune envie de faire du cinéma. Mais je n’avais aucune envie de faire de la BD, non plus. C’est a posteriori que je prends goût aux choses.

Vous sentez-vous aujourd’hui plus cinéaste que dessinatrice ?
Je continue à dessiner, mais je peins surtout. Pour le moment, je n’ai pas du tout envie de faire de la BD. Mais je ne me pose pas plus de question que ça. C’est juste que si vous n’avez pas envie de faire les choses, il ne faut pas les faire. Point. J’ai déjà envie de faire un nouveau film. Mais plus à partir de quelque chose de préexistant. Il n’y a plus de livre à adapter...

Après la sobriété de “Persepolis”, petit film d’animation en noir et blanc, aviez-vous besoin de trancher radicalement ?
Non. C’est juste que "Persepolis" était mieux en animation. On a fait un film qui se trouvait être un dessin animé. L’abstraction du dessin nous permettait d’avoir un propos plus universel. C’était la forme qui convenait le mieux à ce qu’on avait envie de raconter. "Poulet aux prunes" est une comédie sur la mort, qui parle d’un homme qui se rappelle de tout. Forcément, c’est pas de façon linéaire. Le cadrage, la lumière, les couleurs varient d’un souvenir à l’autre. Ça s’est imposé de le faire comme ça. En décors, parce que ça se passait dans les années 50 et qu’on aimait beaucoup le cinéma des années 50, les décors peints de Powell ou Lubitsch. S’il y a un 3e film qui parle d’autre chose, il faudra le traiter différemment...

L’amour perdu de Nasser Ali est dans chaque note de sa musique. L’Iran est-il dans chacun de vos dessins ou de vos plans ?
Evidemment. Je ne peux pas écrire une histoire sur la Guerre de 14. Je dois croire à fond à mes histoires. Pour cela, il faut qu’elles fassent partie de ma mémoire génétique, que ce soient des choses avec lesquelles j’ai grandi. Des trucs où vous savez que c’est comme ça et pas autrement. Je n’intellectualise pas du tout, je ne suis pas théoricienne. Je ne peux pas vous dire pourquoi, mais je sens qu’il faut le raconter de telle façon. C’est "21 grammes" qui m’a donné envie d’écrire "Poulet aux prunes". Il y a une connexion qui s’est faite. Je le regardais en me disant : c’est moi la plus conne dans cette salle. Tout le monde comprend, et moi, je pige rien. Et à la fin, j’ai tout compris : il met des bouts d’histoires comme ça, et à la fin, ça fait une unité. C’est ça qui m’a donné envie d’écrire l’histoire de cet homme qui se remémore sa vie. Forcément, la mémoire ne vient pas de façon linéaire; on a des bribes d’histoire...

“Persepolis” était un film plus politique sur la situation en Iran; ici, on est plus dans la nostalgie, la mélancolie…
Je ne pense pas que "Persepolis" était un film politique. Il traitait de questions universelles. Cela aurait pu se passer en France, dans d’autres conditions Ici, ça se passe à un moment précis, dans les années 50, quand le rêve de démocratie s’envole en Iran. Eh oui, l’amoureuse s’appelle Irâne, comme si elle s’appelait France en France. Mais c’est sous-jacent...

Mais c’est quand même l’histoire d’amour avec un pays inaccessible…
Il y a une analogie, bien sûr. Mais avant tout, il faut que ce soit une belle histoire d’amour. Si elle fonctionne, le film est réussi. Après, les messages subliminaux qu’il y a en dessous, tant mieux, si les gens les voient. C’est comme quand je me dis : le jour où je retournerai en Iran, j’espère qu’elle me reconnaîtra. Est-ce que je la reconnaîtrai ? C’est une question que je me pose forcément.

Même s’il est en live, “Poulet aux prunes” reste magique. Avez-vous peur du réalisme ?
Le réalisme ne m’intéresse pas du tout. J’aime bien le beau, ce qui transcende, j’aime bien le glamour. C’est pour ça, par exemple, que j’aime les films de Ken Loach. Pour moi, ce n’est pas du réalisme. Quand il fait "My Name is Joe", Mr Joe, ce n’est pas n’importe qui. Il est génial, cet homme, il est transcendé. C’est ça aussi que j’adore chez Aki Kaurismaki, pour moi le plus grand cinéaste européen. Quand, dans "Un homme sans passé", il fait s’embrasser ces deux personnages qui ont la cinquantaine, qui ne sont pas vraiment beaux, dans un tas d’ordures Nom de Dieu, vous venez de voir Humphrey Bogart embrasser Ingrid Bergman ! Parce qu’il transcende, il magnifie ses personnages.

“Poulet aux prunes” est un vrai mélo, mais désamorcé par l’humour…
On ne peut pas faire du mélo sur du mélo. Quand on raconte l’histoire, on la désamorce en disant aux gens qu’on est en train de la raconter. On n’est pas dupes. On fait tout le temps cet aller-retour. Et puis, la vie est comme ça. Vincent et moi, on adore rigoler, on adore les choses connes, kitsch, potaches. Quand on veut être tout le temps dans du très bon goût, on finit par s’habiller tous les jours en beige Je préfère quelqu’un qui fait des fautes de goût en mettant quelque chose d’un peu dingue. Les gens beiges m’ennuient.

Le sketch aux Etats-Unis est hilarant…
Quand je regarde une partie de ma famille aux Etats-Unis, je me dis : Mon Dieu, qu’est-ce qui s’est passé ? C’est comme si leur mère à tous s’appelait Jennifer et leur père Kevin. Il y a un travestissement complet. Il n’est pas nécessaire de renier une culture pour en adopter une autre...


Hubert Heyrendt

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