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Toledano et Nakache, sans l’air d’y toucher

Publié le 3 novembre 2011 dans Actu ciné

“L’humour permet de faire passer la balle plus facilement de l’autre côté du filet”.
"Je préfère qu’on reste amis" (2005), "Nos jours heureux" (2006), "Tellement proches" (2009) et "Intouchables"; le tandem Eric Toledano/Olivier Nakache monte en puissance comique à chaque étape, mais surtout veille à accroître la densité du rire.

Le challenge des “Intouchables”, c’était réussir une comédie avec un sujet pareil ?
Toledano : Exactement, comment raconter cette histoire plombante ? D’ailleurs, on a très vite arrêté de la raconter aux gens. C’est sûr, on n’aurait pas pu empoigner ce sujet-là pour notre premier film. Il fallait un peu de bouteille et un peu de crédit auprès des financiers. Mais c’est de la profondeur du sujet qu’émerge sa dimension comique. Ces deux-là sont tellement désespérés qu’ils en deviennent drôles.

Nakache : Quand on a vu ce documentaire sur Philippe Pozzo di Borgo, il y avait un tel décalage entre les deux. L’un est très cultivé, très érudit très cynique. L’autre est passé par la case prison, il sort vanne sur vanne. Cela faisait des étincelles. Les deux étaient seuls, ils n’avaient plus rien à perdre. L’un comme l’autre n’ont pas de possibilités de se projeter dans un avenir. Du coup, ils sont dans l’instant. Qu’est-ce qu’on peut faire pour rendre le présent un peu dingue ? Et cela devient drôle.

Bien qu’il affiche la mention “inspiré de faits réels”, le film appuie la dimension très cinéma, bigger than life.
T. : On leur a demandé si on pouvait déborder, Philippe nous a répondu : " Même si vous débordez vous n’atteindrez pas notre niveau."

N. : C’est une histoire cynégétique, ils ont vraiment roulé dans Paris, la nuit, en Maserati. Quand on travaillait aux repérages, il nous est arrivé de voir dans la même journée, une cité-dortoir de banlieue et un bijoutier de la place Vendôme. On était déjà dans le film, dans deux mondes, deux univers visuels. Comme dirait François Cluzet, qui nous a très impressionnés : " Ce qui n’a pas besoin d’être dit, doit être tu." Si cela peut être montré, pas besoin de le dire. Un plan de la salle de bains de Driss en banlieue et on ne doit plus raconter sa vie, on a compris. On s’est refréné sur le verbe pour montrer plutôt que raconter. Un regard de Cluzet, c’est plus fort qu’un mot de Cluzet.

Il y a une telle alchimie entre François Cluzet et Omar Sy que le film a parfois des allures de comédie romantique.
T. : Il fallait quelque chose d’extrême, Omar et ses shows à la télé d’un côté et de l’autre, Cluzet et ses trente ans de carrière. François Cluzet a donné à Omar, dans le regard, la vérité du personnage. Du coup, Omar est juste. Ce rapprochement avec la comédie romantique, c’est assez juste, si ce n’est qu’on est plus cru. On a enlevé les plumes du poulet pour laisser la peau, un peu rude car ce sont deux hommes. Les hommes, c’est pudique. Ils ne peuvent pas se dire trop. On a voulu respecter cette pudeur.

Une situation que vous connaissez bien.
T. : C’est vrai, cette pudeur existe dans notre tandem. On a beaucoup de choses en commun. On est marié tous les deux mais on passe plus de temps l’un avec l’autre qu’avec notre épouse respective.

C’est aussi une comédie sociale, le choc de deux handicaps, physique et social.
N. : Oui. Il y a un vrai handicap pour celui qui naît Noir, en banlieue, en France. Le problème n’est pas que français, il est mondial. D’ailleurs, le film a été acheté dans plein de pays, par les Weinstein aux EU. Etre Black à Londres, à New York, ce sont les mêmes problèmes. Il faut un événement dramatique, traumatique pour que ces deux mondes se rencontrent. On peut coexister sans se parler, sans savoir qu’on peut se sauver les uns les autres. C’est un peu béni-oui-oui, dit comme cela.

Le film ne l’est pas, il est plutôt “pas de pitié”, “pas de politiquement correct”.
T. : On fait partie d’une génération qui fait encore des compromis avec les conventions. Qui a encore besoin de s’en libérer. Vous remarquerez que l’humour d’aujourd’hui est transgressif, subversif. On libère un peu une parole cloisonnée. L’humour permet de faire passer la balle plus facilement de l’autre côté du filet. Une comédie peut dire des choses. La comédie italienne était phase avec ce qui se passait dans la société. On s’est senti libre.

Quel chemin vous a mené jusqu’au titre ?
N. : Un long chemin. Compliqué. On voulait éviter les clichés, ceux du rire comme ceux de l’émotion genre "A bras-le-corps", "Le second souffle", "A la vie, à la mort". C’était too much. Intouchables, c’est Philippe qui nous l’a soufflé. Il pensait aux castes indiennes, aux gens mis au banc de la société. De par leur condition, ils étaient à part.

T. : Le sujet est intouchable. Le handicap, c’est dur à toucher. On nous l’a dit : "Ne mettez pas un fauteuil sur l’affiche - les gens ne viendront pas si vous parlez de banlieue." On a additionné les choses auxquelles, il ne fallait pas toucher. Finalement leur relation les rend intouchables à l’image de la scène du parapente où ils volent au-dessus de tout le monde. Au-dessus des montagnes, au-dessus des conventions, au-dessus de ce qu’on pense d’eux.

Fernand Denis, entretien au FIFF à Namur 

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