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Eva Ionesco plonge dans son enfance manipulée: interview

Publié le 20 octobre 2011 dans Actu ciné

C'est à Namur que Fernand Denis a rencontré Eva Ionesco venue présenter "My Little Princess" au FIFF.
La question de l’autobiographie accompagne souvent un premier film. On a un peu peur de vous la poser.
Tout le monde sait que j’ai posé pour ma mère depuis l’âge de 4 ans, jusqu’à 12 ans, de la petite princesse jusqu’aux photos nues, érotiques, les jambes écartées. C’est notoire. Ma mère a fait scandale avec ses images. Le scandale était au centre de sa préoccupation. J’ai fait partie d’un scandale sexuel, je ne peux pas dire que ce n’est pas vrai. C’est une chose très douloureuse avec laquelle, j’ai dû composer. Cela a commencé de façon enchantée, le film le montre et cela s’est terminé douloureusement. Enfin, ce n’est toujours pas terminé.

La mère voit-elle sa fille comme un objet ?
Une poupée à qui elle dit : "Ecarte les jambes, mets des porte-jarretelles, maquille-toi, mets la robe, va chez ta grand-mère." Pour une petite fille, c’était amusant au début, de mettre du maquillage, des talons hauts. Pour ma mère, c’était une forme de prolongement d’elle-même, c’est fréquent dans l’art. Ce qui est différent, c’est que le prolongement est érotico-narcissique, répétitif, rituel, morbide, fétichiste. Très bordel des années 30. D’un certain point de vue, ces images peuvent être séduisantes, à tel point qu’une mère ne voit plus sa fille.

Le film s’interroge sur les limites de l’art ?
L’art est hypocrite et il trompe beaucoup son monde. Le film pose aussi un regard sur une époque où le mot pédophile n’existe pas. René Schérer, grand professeur de philosophie, défendait l’idée que les adultes couchent avec les enfants, les parents avec leurs enfants. Il y avait aussi Robbe-Grillet, tout un courant de l’intelligentsia française qui se posait ces questions à haute voix. Si c’est pensable pour un parent, c’est insupportable pour un enfant. Ma mère évoluait dans cette avant-garde, un courant assez régressif, qui faisait scandale. Photo magazine titrait "Eva Ionesco, l’enfant du scandale". Ma mère savait ce qu’elle vendait. Le scandale fait vendre. Ces gens trouvaient cela bien d’être dans le trash, cette forme de violence. Mais l’époque n’excuse rien, les photos sont rééditées.

L’instinct maternel existe-t-il ?
Il n’existe pas. Le personnage, c’est une sorcière, elle n’a aucun instinct maternel. Ce personnage a été coupé du regard de sa mère. Elle reproduit quelque chose, c’est que j’ai expliqué à la fin du film.

Que pensez-vous de l’interprétation d’Isabelle Huppert, de la façon dont elle interprète, comprend son personnage ?
Je n’ai pas montré les photos érotiques à Isabelle. Je ne lui ai pas parlé de ma mère. Je lui ai dit des choses qu’elle prenait ou pas. Je lui ai dit : "Elle n’est pas aimante - elle est frigide - l’acte photographique était quelque chose de sexuel." Isabelle m’a juste posé la question : "Le personnage est-il volontairement méchant ou totalement inconscient ?" Pour moi, elle est tellement inconsciente qu’elle en devient méchante. Isabelle prend possession d’un personnage car elle a l’intuition des choses à partir d’un texte, d’une situation. Le fait que je ne lui parle pas de ma mère, que je ne lui montre pas les photos; elle a vu ce que je ne voulais pas lui montrer. Et elle a vu juste. Elle m’a dit ensuite : "Heureusement que tu ne m’as pas montré les photos car cela aurait enclenché un mécanisme de méchanceté." Elle n’aurait pas joué pareil.

Elle montre aussi que cette femme n’est pas une flèche.
Oui, il y a une forme de bêtise : "Je suis une artiste, c’est formidable " Elle essayait de se faire un nom. Elle s’est prise au jeu. Elle a joué qu’elle était un monstre, elle l’est devenue.


Fernand Denis

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