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Interview de Bouli Lanners à l'occasion de la sortie des "Géants"

Publié le 13 octobre 2011 dans Actu ciné

“Ces ados dans la force de l’âge, ils développent une énergie de centrale nucléaire, un truc de dingue.”
Après avoir fait la clôture de la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes et l’ouverture du festival de Namur - ramenant deux prix à chaque fois -, Bouli Lanners fait accoster son troisième film sur les écrans avant de repartir pour de nouvelles aventures.

Ultranova”, “Eldorado” et “Les Géants” sont trois road movies atypiques. On a l’impression comme votre vie même relève du road movie.
C’est clair que ma vie est un trajet, même si je viens d’acheter une maison, j’ai vécu une vie de bohème. Je suis un vieil adolescent de 46 ans qui essaie d’être un homme.

Un adolescent qui dirige des adolescents. Est-ce moins compliqué ?
Ce n’est pas compliqué, c’est fatigant. Cela demandait une énergie de dingue. Il faut être à la fois le maître de projet, l’autorité et, d’autre part, être l’ami. C’est une position ambiguë qui demandait beaucoup d’énergie. Il fallait les garder concentrés pendant huit heures sur un plateau, les amener à avoir une rigueur - connaître son texte - qui n’est pas propre à leur âge. C’était un gros travail, mais cela a été une aventure exceptionnelle, encore plus dingue qu’"Eldorado". Humainement, c’était extraordinaire. Un moment très fort dans ma vie. Et pas que dans la mienne.

Comment l’expliquez-vous ?
C’est le fait de tourner avec trois ados, de partir tous les jours avec eux dans les bois, la rivière, dans un film qui raconte cela et avec une équipe qui se met complètement, y compris moi, à leur niveau, au niveau de ces ados dans la force de l’âge. Ensemble, ils développent une énergie de centrale nucléaire, un truc de dingue. A cet âge, il y a de l’irrévérence, mais il y a encore de l’enfance. On est parti dans ce délire adolescent avec des relations très fortes entre tout le monde. Se mettre à leur niveau nous a donné un grain de folie qui accompagne le film tout le long.

Comment gérez-vous cette prise de risque de ne pas vouloir faire coller le tournage au scénario?
Pour moi, le scénario propose une base d’histoire. Il faut l’adapter à ce qui se passe, ce qui se crée sur le tournage. Il faut dépasser le scénario et se mettre en danger tout le temps. Je n’aime pas cette société qui nous sécurise trop. Il faut pouvoir se mettre en danger. Cela fait avancer. Moi, ce n’est pas la sécurité qui me fait avancer, c’est la peur, c’est l’angoisse. Ça me fait chercher, sinon, on stagne, on meurt, on s’étiole, on disparaît. C’est bien de se mettre en danger comme cela, mais c’est un danger calculé. On ne tourne pas dans un pays en guerre. C’est juste un danger artistique. C’est très relatif. J’aime bien les gros challenges. C’est vraiment excitant d’emmener toute une équipe dans un projet artistique et humain et logistique. Et d’arriver au bout. C’est comme partir en mer. Je suis comme un type qui commande un trois-mâts, avec un équipage et une cargaison. Le bateau appartient à un armateur, et il faut le ramener. Le type doit toujours faire semblant de savoir où il va, même s’il ne le sait pas vraiment. C’est ça un tournage. Et je ne reviens pas au port comme Magellan, je reviens avec tout l’équipage, le bateau n’a rien et la cargaison est bien. Mais on peut couler, on peut se faire arraisonner, on peut souffrir de maladies. Mais jusqu’à présent, je suis chaque fois revenu au port avec le bateau.

Et avec l’envie de repartir de plus en plus tôt.
Oui, on tourne l’année prochaine. C’est un métier qu’on exerce très peu. Si on ne tourne pas de pubs, pas de clips, pas de films d’entreprise, on l’exerce huit/neuf semaines tous les trois ans quand tout va bien. C’est peu. Moi, j’ai toujours adoré le plateau. J’ai été artificier, régisseur, comédien, électro... J’adore cette communion, cette concentration, ce groupe humain embarqué dans un monde parallèle avec toutes ses histoires périphériques. J’adore cela, ce sont des vraies aventures humaines. L’écriture est un métier solitaire, mais le tournage, pas du tout. Et j’adore. Si j’adore ce métier, c’est parce qu’il possède des aspects très différents. Il y a la solitude de l’écriture et puis il y a ce truc de chef de guerre. J’aime vraiment le plateau.

Une aventure en famille.
Oui, il y a une famille, un noyau dur, mais il n’est pas fermé, pas figé. L’un n’est pas disponible, l’autre a quitté le métier; il y a du sang neuf qui vient, des coproductions qui nous obligent à prendre des techniciens étrangers. Ce n’est pas fermé.


Vous projetez de tourner votre quatrième long métrage l’an prochain déjà; cela signifie-t-il que vous allez mettre votre carrière d’acteur en veilleuse ?
Non. Je continue à garder cet équilibre. J’ai la chance de pouvoir choisir un peu. Et j’aime faire des choses différentes. Je trouve que j’ai fait une belle année. J’ai fait le film de Jalil Lespert "Des vents contraires", le nouveau Kervern et Delépine, un gros truc avec "Astérix", et je pars tourner avec Jacques Audiard. Cela m’apporte beaucoup de voir d’autres plateaux. Je me sens vraiment bien dans les seconds rôles. On me propose des premiers, mais je ne cours pas vers cela. On est dans une société où l’on est une star ou rien du tout. Mais entre les deux, il y a un espace énorme. Etre un Jean Carmet ou un Christian Marin, c’est très bien, ça me laisse du temps pour faire mes films. Je suis un peu populaire, mais je ne dois pas porter la promotion, c’est parfait pour moi. Donc, je vais essayer de garder cet équilibre. J’aime rencontrer des gens, voir comment les autres travaillent. C’est tellement différent d’un plateau à l’autre. Au gré des rencontres, des affinités se créent. Certains viennent ensuite travailler sur mes films. C’est comme si j’étais dans l’école de cinéma que je n’ai jamais faite, je continue à apprendre sur les plateaux des autres. Pour moi, c’est parfait, je ne peux pas rêver mieux que cela. Je suis connu, mais pas trop. Je peux toujours aller boire des coups et observer les gens. Je garde ma vraie vie comme elle était. Je voudrais juste que cela dure. Je ne veux pas plus, je veux juste que cela dure.

Il n’y a pas de raison que cela s’arrête, car vous pouvez tout jouer : un chanteur finlandais, un psychiatre parisien, un roi de Grèce, un douanier wallon…
Non, je ne peux pas, j’ai vu des films où j’étais une merde. Je connais mes limites, j’ai l’impression que je ne peux presque rien jouer. Je déteste me voir. Je ne vois mes films que très longtemps après.

Pourtant, même un personnage aussi inexistant que celui de “Kill me please”, vous parvenez à lui donner une épaisseur.
Oui, mais celui-là, je l’ai réécrit. C’était un tel tournage laboratoire, je me suis fait mon personnage tout seul. J’avais envie de jouer un méchant, un tordu, pour une fois. Mais je ne veux pas m’analyser en tant qu’acteur. Je suis trop fragile, je doute. Chaque fois que je fais un film, je suis mort de trouille. Chaque fois, je me dis que j’aurais dû dire non. Pourquoi ai-je accepté ? C’est pas facile d’être comédien pour moi. Il faut que je dépasse chaque fois quelque chose.


Fernand Denis & Alain Lorfèvre

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