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Les tribulations d’un trio de clowns derrière la caméra : interview de Bruno Romy, Dominique Abel et Fiona Gordon

Publié le 29 septembre 2011 dans Actu ciné

La Fée : le choix du Havre, rire ou ne pas rire sur le plateau, décor réel ou studio : de l’art de faire un cinéma à part...
Dans “La Fée”, Fiona offre trois vœux à Dom. Mais Dom ne trouve jamais d’idée pour le troisième. Etait-ce la même chose pour votre troisième film ?

Dominique Abel : non. On parle souvent d’une trilogie à propos de nos films. Mais nous ne les avons pas conçus comme ça. On part des frustrations des films précédents et des envies nouvelles. Pour celui-ci, on avait envie de faire un film urbain et de tourner au Havre.

Bruno Romy : en réalité, nous n’avons pas trouvé le troisième vœu. Pendant l’écriture, on se creusait sans cesse la tête. C’est finalement devenu la réplique récurrente du film.

Précisément : prenez-vous le temps pour trouver vos gags, vos scènes ?

D.A. : on prend le temps, mais peut-être pas assez. "Mon Oncle" de Tati a été tourné pendant six mois, "Les Lumières de la ville" de Chaplin en deux ans. On voit le résultat à l’écran. Bien sûr, on ne se compare pas à eux. Mais on voit qu’ils ont été jusqu’au bout de la recherche. On aime prendre le temps. Parce que nous sommes dans un registre non réaliste. Nous devons choisir nos couleurs, nos matières. Cela implique du temps de repérage, de mise en place. Mais nous sommes dans un entre-deux. Nous prenons le temps nécessaire, mais après chaque film, on se dit qu’on pourrait faire mieux dans le prochain.

Fiona Gordon : à chaque nouveau film, nous bénéficions d’un budget un peu plus important. Nous investissons cet argent dans le temps, pas dans les effets.

B.R. : c’est notre plus long tournage. Sept semaines pour "L’Iceberg", neuf pour "Rumba", onze, ici. Et ce n’était pas encore suffisant.

A quoi est consacré ce temps ?

D.A. : à répéter les scènes qui sont très physiques. Aussi, parce que sur le tournage, nous sommes confrontés aux vrais éléments : le décor, les accessoires, les autres acteurs. Et, donc, nous prenons le temps de revoir les choses, d’adapter. Nous aimons aussi tous les éléments naturels forts. S’il pleut, on en profite. On peut jeté ce qu’on avait préparé pour profiter de l’occasion.

F.G. : la comédie, c’est physique et mécanique. Le timing est très important. Parfois, durant les répétitions, il se produit quelque chose de magique, que l’on ne peut pas retrouver sur le tournage. C’est pour cela que l’on essaye de se donner du temps, pour affiner les scènes sur le plateau.

B.R. : le luxe, si on a raté une scène, c’est d’ajouter un jour de tournage pour la recommencer.

Arrive-t-il à l’équipe d’éclater de rire pendant une prise ?

D.A. : quand on dit "action", on ne peut plus rire. Ce qui est dommage : sur scène, le rire nous supporte.

F.G. : il est arrivé que l’équipe rie beaucoup pendant une prise. Mais quand on revoyait la scène au montage, ce n’était pas bon. C’était trop potache ou ridicule.

B.R. : disons que lorsque l’équipe rit, ce n’est pas drôle

Vous avez évoqué l’importance des lieux. Vous apportez, ici au Havre, une forme de poésie. Avez-vous tout tourné en décors réels ?

D.A. : nous avons découvert le Havre lors de nos tournées théâtrales. C’est une ville unique. Elle a été ravagée pendant la guerre, et tout le centre a été reconstruit dans un style unique, moderniste, par un seul architecte. Ce qui lui donne une ambiance particulière : on ne sait pas si on est dans un pays de l’Est, à New York et en quelle année. Le Havre nous a donné beaucoup d’idées.

B.R. : nos films sont des contes. Ils ne sont pas réalistes. Et au Havre, il y a cette confusion : la ville ressemble à un décor. Pour les scènes sur le toit de l’immeuble, nous n’avons jamais reçu l’autorisation de tourner, parce que ces toits plats sont fragiles. Nous avons reconstitué le décor en studio, avec une fausse perspective et une rétroprojection sur écran de la ville. Ce qui nous a ouvert des possibilités plus importantes que ce qu’on imaginait.

On court beaucoup dans vos films. Est-ce un élément incontournable du burlesque ?

D.A. : je ne pense pas. Mais, par contre, le burlesque repose sur le corps. Même si on ne se prive pas de parler. Nous avons une approche de la vie qui est physique. Ça nous passionne : la manière de courir, de tomber, ça dit des choses. Le corps exprime la personnalité, l’émotion. Ce sont les moments entre les mots qui sont révélateurs dans nos films.

F.G. : "Rumba" était le film des gens qui tombent, "La Fée", celui des gens qui courent. Fiona et Dom fuient une réalité trop dure pour une réalité plus juste. Mais pour les clowns, l’incontournable, ce sont les objets, comme les lunettes de Bruno qui joue le patron du bar, ou les béquilles que j’avais dans "Rumba". Ces outils révèlent la fragilité de nos personnages.

B.R. : l’autre jour, j’ai assisté à un marathon. C’est génial de voir qu’il n’y a pas deux personnes qui courent de la même manière. On peut deviner la personnalité des gens en les regardant courir.

La Fiona de vos films est toujours le moteur de l’histoire : c’est elle qui cherche à séduire le garçon. Est-ce conscient ?

D.A. : cela fait partie de nos personnalités de clowns. Moi, je suis plus lunaire et aérien, Fiona est dans l’action. Et c’est bien d’avoir une femme qui a ce genre de rôle.

F.G. : mais on avait aussi imaginé une autre histoire, où Fiona aurait fait sortir un génie d’un bidon d’huile. Ça aurait été un autre film.

Ce troisième film était-il plus facile que les précédents ? Avez-vous le sentiment de maîtriser désormais votre cinéma ?

D.A. : les difficultés sont toujours les mêmes. Si un passage ne fonctionne pas à l’écriture, il coincera toujours au tournage ou au montage. Nous nous remettons toujours en question. Nous évoluons. Par exemple, nous n’accumulons plus les plans-séquences. On découpe plus.

F.G. : j’aimerais bien arriver à réaliser quelque chose de très simple. Mais on ne peut pas construire comme ça. On est convaincu que tout ce qu’on peut créer en se jetant dans le bain sera toujours plus original et plus fort que tout ce qu’on peut concevoir en amont.

B.R. : moi, j’ai toujours l’impression de recommencer à zéro. Comme un acteur qui monte sur scène, tout est remis en jeu à chaque fois.


Alain Lorfèvre

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