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Sami m’a parler - Interview

Publié le 14 septembre 2011 dans Actu ciné

Sami Bouajila fête ses vingt ans de carrière avec une interprétation magistrale dans “Omar m’a tuer”. Rencontre avec l’acteur français, élégant et discret.
Sami Bouajila est, bien sûr, l’un des quatre mousquetaires d’"Indigènes". Mais, tout comme son ami Roschdy Zem, on le connaît depuis bien plus longtemps que cela. Chez Kéchiche ("La Faute à Voltaire") comme chez Téchiné ("Les Témoins"), aux côtés de Denzel Washington ("Couvre-feu") ou d’Audrey Tautou ("De vrais mensonges"), on a toujours été séduit par l’élégance de son jeu, la singularité de sa trajectoire, son extrême discrétion. Dans "Omar m’a tuer", il incarne de façon mimétique Omar Raddad. La performance est digne de Robert De Niro, on ne le dira pas car cela l’agacerait, mais on ne comprendrait pas qu’il ne figure pas parmi les prochains nominés du César du meilleur acteur.

Quelle fut votre réaction à l’idée d’incarner Omar Raddad ?

Ce n’est pas n’importe qui me l’a proposé, c’est Roschdy Zem. On tournait "Indigènes" à ce moment-là. Ça m’apparaissait cohérent.

Qu’entendez-vous par cohérent ?

Indépendamment de notre amitié, Roschdy et moi avons un parcours commun. On a tourné plusieurs films, tous les jours ensemble, dont "Indigènes" et "Hors la loi". Ce furent de grandes aventures humaines. La cohérence est aussi sur le chemin, en éclairant des points d’une histoire qui nous appartient.

Qui est Omar Raddad ?

C’est un paysan. Il vit de la terre, il se lève avec le soleil et se couche avec lui. Il n’aspire pas à la consommation. Il me fait penser aux personnages de Jean Giono, ces gens proches de la terre. Il n’est pas rongé par une angoisse particulière, ou une ambition. Je le connais inconsciemment, car il ressemble à mes parents, qui, pour des raisons économiques, ont quitté leur terre, émigré, mais ils restent ce qu’ils sont, des petites gens. Simples.

La simplicité, n’est-ce pas ce qui est le plus difficile à jouer ?

Tout à fait, car ce n’est pas une image simple qu’on propose. Elle est traversée par des interrogations. Omar est rongé par des énergies contradictoires. Il avait une confiance absolue dans l’Etat, les institutions, l’uniforme. Il attendait qu’on vienne lui dire : "Viens, on s’est trompé !" Il s’est rongé de l’intérieur. Sa tentative de suicide est un cri de détresse. Derrière la simplicité, il y a de la complexité, la recherche d’authenticité.

Ce rôle vous a-t-il demandé davantage d’engagement personnel ?

Sincèrement, pas plus que "Indigènes" ou "Les Témoins". "De vrais mensonges" était un film terriblement exigeant, il fallait trouver le rythme de la comédie. En revanche, "Omar" a nécessité plus de temps car il fallait construire sa façon de parler. Je n’ai pas d’accent particulier, je devais me libérer de ma façon de parler.

Et perdre 18 kilos aussi.

C’est anecdotique, une affaire de mimétisme et en même temps, ce n’est pas cela. Je me voyais mal camper Omar avec mes 78 kilos. Maigrir, c’était un moyen pour atteindre Omar. Je suis ici, il est là-bas, comment je fais pour le rejoindre. Roschdy, qui me connaît par cœur, me disait : "Sami, je ne veux pas te voir, je ne veux pas voir ta tête." On a caché les grains de beauté, j’ai essayé de maigrir pour avoir une silhouette longiligne comme une statue de Giacometti. Et puis j’ai adopté son parler. On a trouvé le brushing. C’est le chemin qui compte.

“Omar m’a tuer” sort en même temps que “Présumé coupable” : que vous inspirent ces rapports entre le cinéma et la justice ?

Ces affaires font partie de l’inconscient collectif français. "Omar" et "Présumé coupable" dénoncent surtout l’orgueil, la rigidité de la justice. C’est fréquent dans le cinéma américain et cela donne souvent des films attrayants. En France, et dans nos sociétés, se manifeste une nécessité, via l’art et la culture, d’envoyer un reflet du mal-être social, identitaire. Souvent cela passe à travers des faits divers. Il existe un besoin de dénoncer, de mettre en lumière, de poser des questions. J’ai toujours aimé ce cinéma des années 70, les films de Costa-Gavras... Cela a un peu disparu et cela revient aujourd’hui. Il y a peut-être aussi un phénomène de mode avec tous ces biopics : Gainsbourg, Mesrine, Omar. Mais la fonction de la culture, c’est de refléter notre société. Ce qui m’importe, c’est le point de vue de quelqu’un qui a pris du recul, le temps de la réflexion, qui cherche un sens à ce fait divers.

Omar Raddad est célèbre malgré lui. Quel est votre rapport à la célébrité ?

Omar n’a rien demandé, et surtout pas la célébrité. Moi, ce n’est pas simple. Je n’y aspire pas vraiment. Je ne vis pas à Paris, je m’isole à la montagne. J’ai grandi dans la région de Grenoble. Je suis vraiment provincial. J’ai été complexé très longtemps. J’arrive seulement à m’aimer maintenant, à m’accepter, à me décomplexer, à m’assumer. J’aime inscrire mon métier sur un parcours de vie. En allant au devant de mon métier, je vais au devant de moi-même. Je viens du théâtre, j’ai grandi dans un esprit de troupe à Saint-Etienne, on répétait dix heures par jour. Pour moi, le métier est un artisanat. Pierre Debauche, grand metteur en scène belge d’ailleurs, nous faisait lire "L’art chevaleresque du tir à l’arc chez les samouraïs". Au tir à l’arc, ce n’est pas la cible qu’on vise, c’est soi. C’est comme l’effort du marathonien, quelque chose qui lui échappe, il faut puiser dans son dépassement, l’acteur doit aller au-delà des apparences. Mais c’est entre soi et soi, c’est sa propre histoire qu’on raconte.

Votre père est Tunisien, votre grand-père Libyen; comment vivez-vous le printemps arabe ?

Pas plus intensément que vous. Woodstock, c’est là-bas maintenant. Je suis Français. Je suis Arabe aussi, mais je suis Français. J’appelle mes parents et je leur demande comment ça va là-bas. Ils sont plutôt sceptiques, car le pouvoir s’impose en écrasant le peuple.

Fernand Denis

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