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Rafi Pitts : "Le cinéma tel que je le conçois est forcément politique"

Publié le 27 juillet 2011 dans Cinéphiles

A l’origine, le réalisateur de "The Hunter" souhaitait signer un diptyque, avec un film tourné aux Etats-Unis et un autre en Iran. Entretien au Festival de Berlin
Nous avons rencontré Rafi Pitts au Festival de Berlin, en février 2010. Quelques mois plus tôt, les élections présidentielles iraniennes s’étaient terminées par la victoire contestée de Mahmoud Ahmadinejad, suivie de manifestations de l’opposition réprimées dans la violence.

Est-il facile d’obtenir un certificat censure pour un film comme “The Hunter” ?

Non. Cela nous a demandé six mois de démarches. Au moment du tournage, on était proche des élections (de juin 2009, NdlR). Il y a eu un flottement : beaucoup de gens, jusqu’à des membres du ministère de la Censure, pensaient que Moussavi serait élu. On a tourné dans cette brève période d’euphorie. Aujourd’hui, par contre, je ne sais pas si le film sera montré en Iran. C’est une expérience étrange. Parce que normalement, avant que le film ne soit présenté à l’étranger, il doit être visé par la commission de censure. Mais c’est le coproducteur européen qui l’a présenté au Festival de Berlin. Résultat : le public et les professionnels du festival l’auront vu avant les autorités iraniennes. A mon corps défendant Car j’ai proposé de le montrer aux autorités. Mais ils n’ont pas donné suite avant le début du festival. Or, pour moi, il est important que le film soit vu en Iran, ne serait-ce que par vingt personnes. Je me suis toujours battu pour que mes films soient montrés. La censure en Iran est assez simple : soit vous avez un visa, soit on vous le refuse. Il n’y a pas de compromis. On ne vous dit pas : "Si vous coupez ceci, vous pourrez montrer votre film." Je joue le jeu dans le but que mes films soient montrés dans mon pays. D’autres refusent purement et simplement. Mais je fais d’abord des films pour les Iraniens.

Mais cela présente donc un risque pour vous, dès lors que le film fait parler de lui à l’étranger - et qu’une lecture plus politique peut en ressortir.

Le cinéma est un risque. Quand j’ai tourné le film, je l’ai fait avec une forme d’urgence, de rage. De rage créative. Quand le tournage s’arrête, les choses redeviennent réelles. J’ai soudain pris conscience de ce que j’avais fait. J’ai aussi éprouvé une forme de gêne, car ce film n’est qu’une fiction et la réalité était soudain devenue autrement dramatique. Ma présence devant la caméra apporte une autre portée au film que je n’avais pas anticipée. Ce n’est pas mon histoire, ce n’est pas moi, ce ne sont pas mes fantasmes. Mais la confusion se fait.

Pour un Européen, en plus, la perception du film n’est peut-être pas celle que vous avez voulu y mettre.

Au départ, je pensais à un homme qui écoute la radio, qui vit en vase clos. Il est dans une situation kafkaïenne. Quand les hommes sortent de prison, la réinsertion est difficile, quel que soit le pays. Un repris de justice peut péter les plombs n’importe où. La rage qu’il ressent concerne des tas des personnes. Ulu Grosbard avait déjà montré ça dans "Le Récidiviste" (1978), avec Dustin Hoffman. Après, on peut lire ça en regard de la réalité iranienne. Mon intention est de dire : "Attention, on peut créer des situations explosives en plaçant les personnes dans une situation intenable." Je sentais que les choses pouvaient exploser. Mais mon film arrive finalement trop tard : l’explosion a eu lieu alors que nous montions le film.

Pourquoi interpréter vous-même le personnage principal ?

Au départ, c’est un autre comédien qui devait jouer le rôle. Mais les choses ne se sont pas bien passées et, très vite, il a fallu le remplacer. Mais, en Iran, tout tournage est soumis à un certificat des services de la censure sur lequel doivent apparaître les noms des comédiens et des techniciens principaux. Pour remplacer un comédien, il faut repasser par la commission de censure. Par contre, il n’est nulle part spécifié que le réalisateur ne peut pas jouer dans son film. Plutôt que de recommencer la procédure, nous avons décidé que je reprendrais le rôle. Mais je ne l’ai pas fait par plaisir personnel.

Vous ne dites pas dans le film pourquoi cet homme a fait de la prison.

Ce n’est pas important, même si je sais pourquoi il a fait de la prison et que, je crois, le spectateur iranien le devinera. Sa femme est institutrice, ils sont issus de la classe moyenne. Et son travail à l’usine est clairement le résultat d’un déclassement social qui lui est imposé...

Donc, ce n’est pas un criminel de droit commun...

Voilà.

Faire du cinéma en Iran aujourd’hui, c’est inévitablement faire de la politique ?

Oui et non. Le cinéma tel que je le conçois est forcément politique. Pas au sens de l’appartenance à une idéologie : je n’appartiens à aucun parti ou mouvement. Mais c’est politique parce qu’on parle de la société qui nous entoure. Moi, je pose des questions. Quand je fais un film, j’essaie d’abord de me comprendre moi, parce que c’est d’abord une expérience personnelle. Et, derrière, je dois aussi comprendre l’homme et l’humanité. J’essaie de mettre le doigt sur la partie absurde de nos comportements. Le cinéma me permet d’apprendre quelque chose sur la vie. Mais je ne prétends pas délivrer un message ou dire aux spectateurs ce qu’ils doivent penser. Je viens d’un pays où on fait ça trop souvent pour le faire à mon tour. Je n’aime pas les points à la fin d’une phrase. Je préfère les points de suspension Cela dit, il est impossible, je crois, de faire un film en étant pas marqué par son environnement, surtout dans un pays comme l’Iran. J’aurais fait une comédie ou un film sentimental, l’environnement social du pays aurait aussi été présent.

Quand vous filmez les périphériques urbains, les blocs de HLM, on a l’impression de voir des images de Los Angeles.

Cette ressemblance de Téhéran avec Los Angeles m’a toujours frappé. Certains Iraniens la surnomment "Téhérangeles" Les autoroutes urbaines datent de l’époque du shah, qui était obsédé par les Etats-Unis. A Téhéran, il y a 2 500 voitures supplémentaires tous les jours. C’est la ville la plus polluée au monde. Quand j’ai commencé à écrire le scénario, j’avais l’intention de faire deux films, dont le titre commun serait "The Hunter is Deranged". "Deranged" devait être un film formaliste tourné aux Etats-Unis, tandis que "The Hunter" devait être un film néoréaliste tourné en Iran. Et mon intention était de sortir les deux films en même temps. Je voulais ainsi souligner la ressemblance entre deux structures socio-économiques gouvernées par une forme de folie ou d’absurde - d’un côté Bush, qui était encore président aux Etats-Unis, de l’autre le système iranien. La religion est aussi présente dans les deux pays. Bush et Ahmadinejad parlent tous deux par imprécations ! Mais mes producteurs m’ont dit que ce projet était pratiquement impossible à monter. J’ai conservé l’idée du parallélisme entre Téhéran et une grande ville américaine et de faire un film qui se rapproche d’un thriller nord-américain.

Aviez-vous certains films en tête ?

Il y a effectivement des influences de ce cinéma américain, que j’ai vu quand j’étais plus jeune. Les grands formalistes du monde, sont les réalisateurs américains mais durant les années 70, ils ont effectivement intégré des éléments du cinéma néo-réaliste européen. J’ai essayé de refaire un western urbain. Il y a d’ailleurs en Iran une fracture violente entre les réalisateurs de type néoréalistes et ceux de type formaliste. J’avais ici en tête des réalisateur comme Melville, Antonioni, Monte Hellman et Peter Bogdanovitch. La scène de la fusillade sur l’autoroute est inspirée par celle de "La Cible" (1968). Mais lui avait en tête les images de la mort de Kennedy.

Est-il aisé de tourner en Iran une scène où deux policiers sont pris pour cible ?

Non, bien sûr. La police a refusé autorisation sur autorisation. On a fini par maquiller une voiture en véhicule de police. Avec trois voitures, une par bande, on a ralenti la circulation et on a filmé très vite. On craignait les réactions des témoins, car personne ne savait ce que nous faisions. Mais personne ne s’est arrêté pour porter secours aux policiers

La voiture d’Ali évoque aussi la culture américaine.

Ce genre de véhicule a fait partie du paysage iranien. Mais on ne peut plus en obtenir. Celles qui restent sont vouées à la casse. Pour un spectateur iranien, cette voiture est déjà condamnée. Elle appartient au passé. C’est un symbole du destin du personnage qui, par ailleurs, travaille dans une usine qui fabrique des voitures iraniennes.J’ai trouvé cette voiture dans la rue, un peu par hasard. Elle a tout de suite capté mon regard. Parce que sa couleur évoque la nature, les bois.

D’où provient la photo qui ouvre le film ?

Cette photo date de la révolution. J’ouvre sur ce drapeau américain et avec cette musique, c’est trompeur. C’est une manière de suggérer qu’on peut toujours détourner le sens d’une image. Puis on voit les motos, qui ont aussi un côté très américain, mais ce sont des gardiens de la révolution qui roulent sur la bannière étoilée.

Alain Lorfèvre

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