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Michel Ocelot, le voyageur immobile : interview

Publié le 20 juillet 2011 dans Cinéphiles

Le réalisateur français des "Contes de la nuit" aime faire voyager le spectateur. Et lui donner envie de découvrir d’autres cultures. Entretien à Berlin
Né sur la Côte d’Azur, Michel Ocelot a vécu son enfance en Guinée et son adolescence en Anjou -il en a gardé un accent délicieusement chantant qui nous réchauffait au moment de cet entretien, un jour très froid de février, au festival de Berlin, où "Les Contes de la Nuit" était le seul film français de la compétition.

Pourquoi reprendre la série télévisée et en faire un long métrage ?

J’aime bien que mes films sortent au cinéma sur grands écrans. J’ai proposé à mon producteur Christophe Rossignon de transposer pour le cinéma certains contes sous forme de courts récits. Il a alors proposé d’en faire une série télévisée et a trouvé des financements auprès de chaînes de télévision, notamment Canal+. Mais quand il a vu les premiers épisodes réalisés, il m’a dit : "Mais c’est du cinéma !" Je lui ai rappelé que ça avait toujours été mon intention originale. Avec Studio Canal, est donc vite née l’envie de faire une version cinéma. Parallèlement aux dix épisodes de la télévision, nous en avons immédiatement retravaillé cinq pour une sortie en salles, avec une sixième originale spécialement pour les salles.

Quand est venue l’idée de sortir le film en relief ?

En fait, je vais vous surprendre, mais c’est à ma demande. J’avais envie d’y revenir après l’expérience de "Azur et Asmar". J’ai une petite "puissance" qui me permet de faire des caprices. De toute façon, quand j’ai parlé de relief, les producteurs ont tout de suite dit : "Quelle bonne idée !" Mais ce qui importait d’abord, c’étaient les histoires.

Etait-il dans votre intention de recréer avec le relief l’impression du théâtre en ombres chinoises?

Le relief me ramène vingt ans en arrière. Quand je réalisais mes premières histoires en théâtre d’ombres, je travaillais sur plusieurs couches. Les silhouettes étaient posées sur des vitres multiplanes. On croit que c’est une technique de pointe, mais en fait, cela est presque un retour en arrière. On retrouve la profondeur de champ des décors en trompe-l’œil du théâtre. J’ai aimé jouer avec cette sensation d’espace. Et le bord de l’écran redevient le cadre de la scène. La modiste de Marie-Antoinette disait : "Il n’y a rien de nouveau, seulement des choses que l’on avait oubliées."

De même, vous allez reprendre des contes classiques, mais vous les remettez à votre sauce…

Je papillonne. Je me laisse porter par des souvenirs d’histoires. Quand le déclic se fait, je ne vais pas forcément relire l’histoire. Je ne fais pas d’adaptation. Je prends quelques pépites dans mes souvenirs, et j’essaie de reconstruire une histoire. Je raconte les récits qui me tiennent aux tripes. J’ai commencé il y a vingt ans cette collection d’historiettes avec un garçon et une fille. L’histoire de ces films découle d’une réalité un peu pathétique : j’ai eu de grandes périodes de chômage dans ma vie. Pour ne pas perdre mon temps, j’écrivais. Ces histoires sont les histoires écrites par un chômeur ! C’est, finalement, une satisfaction : je n’ai pas totalement perdu mon temps. C’est magnifique que ces petites choses, nées dans une période d’inactivité, puissent devenir un film.

Vous modifiez la fin de certaines histoires, parce que, pour paraphraser un de vos personnages, certaines “ne sont pas morales”. Qu’entendez-vous par là ?

Je crois beaucoup à la morale. C’est une chose qui ne se démode jamais : faire le bien plutôt que le mal. Ceux qui crachent sur la morale crachent dessus par morale. En réalité, ils crachent sur l’hypocrisie. Il se passe tellement de choses horribles dans l’humanité, si je peux répandre quelques petites gouttes de gentillesse ou passer quelques messages, je le fais. Une histoire doit apporter quelque chose.

Le deuxième segment du conte, “La ville d’or”, est une parabole sur les faux prophètes et la religion…

Les religions violentes mêmes, on peut le dire Les gens aiment tuer pour des raisons inutiles. Au nom de la religion, aujourd’hui, on tue un peu partout dans le monde. Cela m’effraie. Le repli de la condition féminine m’inquiète également. Cela m’interpelle de voir dans nos villes des femmes couvertes de la tête aux pieds. Cela n’avait jamais été à ce point. Le rejet de la femme a existé de tout temps et dans toutes les religions, mais j’ai le sentiment que l’on a dépassé un cap. Mais je ne fais qu’un film. J’essaie de faire un film de divertissement, où les personnages font preuve d’humanité. Je ne fais pas de campagne pour la tolérance. Dans "Azur et Asmar", je racontais d’abord une histoire d’amour, pas une histoire de tolérance.

Une autre étiquette qui semble vous agacer parfois, c’est celle de “film pour enfants”.

Cela a été le cas, mais ce qui me gênait surtout, c’était l’amalgame : "Cinéma d’animation = cinéma pour enfants." Heureusement, la perception du public a changé. Quelque part, raconter des histoires pour les enfants me permet de m’adresser indirectement aux adultes, sans en avoir l’air Je suis heureux de constater que le public de mes films est très varié, avec des adultes comme des enfants, mais aussi des hommes et des femmes.

L’une des originalités des “Contes de la Nuit”, c’est qu’au début de chaque historiette, vous donnez en quelque sorte un petit court d’Histoire de l’art.

Je n’ai pas peur de citer mes sources. J’aime bien partager mes bonnes "adresses". Un des plaisirs de cette série, c’est de pouvoir voyager à travers les cultures. Bien sûr, celles-ci ne sont que suggérées. Mais c’est une invitation pour les jeunes spectateurs à aller consulter des livres. D’abord, en regardant les images des costumes ou des décors, puis, je l’espère, en lisant les textes, qu’ils soient historiques ou légendaires. J’espère que ces films pourront être une fenêtre sur une découverte plus large.

Alain Lorfèvre

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