Pourquoi Monsieur R. est-il atteint de folie meurtrière ?

Titre original: Warum läuft Herr R. Amok ?
Origine:
  • Allemagne
Genre:
  • Drame
Année de production: 1970
Durée: 1h28
Tout public
Synopsis : Herr Rabb est un homme bien sous tous rapports. Sa vie familiale est un modèle, son parcours professionnel exemplaire. Mais il est atteint de folie meurtrière...
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Publié le 6 août 2012
« C'est la faute de la société ! » s'écriait pour se défendre un meurtrier désigné de la main de Dieu elle-même dans un sketch fameux des Monty Python. Et la police alors présente arrêtait tous ceux qui faisaient partie de la société (c'est-à-dire toutes les personnes présentes, sauf le tueur) et s'en allait. Film malin et méchant, d'autant plus glauque que Kurt Raab y ressemble à Bart de Wever (surtout de profil), noyé dans la mocheté du formica, des tonalités grises-vertes horribles et une purée de 16mm, co-signé par l'assistant-réalisateur de Katzelmacher (1969) Michael Fengler avec lequel Fassbinder signera encore Die Niklashauser Fart la même année, Warum läuft Herr R. Amok? connait une petite polémique concernant sa signature : Hanna Shygulla affirmait dans Village Voice en 2002 que Fassbinder s'était rapidement désintéressé du tournage, et en effet le naturalisme psychologique des longues improvisations entre comédiens et la caméra mobile à l'épaule de ce film tranche radicalement avec les préoccupations d'alors du Fassbinder de l'antiteater, tandis qu'on jurerait y reconnaitre un certain art des situations et du dialogue fassbinderien... pourtant improvisé lui aussi par les acteurs. Peu importe finalement, ce film restera un jalon significatif du cinéma européen car Warum läuft Herr R. Amok? pourrait être le canon de centaines d'autres films d'auteurs centrés sur un anodin et anonyme pion du cours des choses devenant monstre sociétal (allant de L'argent de Bresson à Aurora de Puiu en passant par 71 Fragments de Haneke ou le fondamental Jeanne Dielman de Akerman). En retournant l'arme contre la société qui les a “formé”, ces personnages ne se hissent à aucun statut d'héroïsme sinon celui de réaliser leur hantise d'arrêter le temps, cet insupportable temps qui ne passait déjà plus : ils accèdent à la rubrique des chiens crevés avec la médiocrité qui a toujours été la leur. A la différence près que chez Fassbinder, aucun inconscient ne couve véritablement durant une heure vingt, aucune idéologie ne supporte le geste, aucun signe ne prépare au drame : c'est que les personnages sont sans arrière-pensées, souvent incapables de mensonge, d'une accablante naïveté dans l'expression de leurs intentions (et souvent au bord de l'hystérie). C'est la sincérité de Monsieur R. qui est véritablement monstrueuse : il est aussi sincère lorsqu'il fredonne un morceau entendu à la radio et dont il cherche le disque (scène d'une cruauté psychologique hallucinante, les disquaires se moquant de lui en étouffant leurs fous-rires face au client de plus en plus mal à l'aise) que lorsqu'il écrase le crâne de son épouse à coup de chandeliers. La vision marxiste de l'auteur sur la relation entre argent et sentiment (le premier n’achètera jamais le second : les antihéros fassbinderiens en souffrent, parce qu'ils veulent seulement qu'on les aime), la critique de l'arrivisme petit-bourgeois et l'esthétique de la gaffe dont parlait Serge Daney ne mènent à aucune élévation mélodramatique des laissés pour comptes ou victimes de ce système (les parents de Monsieur R., d'origine plus modeste, ont un esprit encore plus étroit que celui de Madame R.), mais trouvent ici une résonance humoristique et noire assez sarcastique et bienvenue au milieu de l'esprit de sérieux de cet austérité autoritaire. Disons-le : se lit dans ce meurtre un art du grotesque et du kitsch qui se meut avec l'évolution du système esthétique de Fassbinder, qui passera en quelques films -pour le dire simplement- du gestus brechtien au mélo hollywoodien avec une logique implacable. Raab a épousé une femme qui l'a élevé socialement, mais a corseté son existence dans un quotidien morne d'employé, entrecoupé de visites d'amis et de week-end à la campagne : ces dénotations de classes (son manteau à elle, ses parents à lui, balourds et traditionalistes) sont des indices marqués mais jamais soulignés, immédiatement coulés dans une foule d'autres non hiérarchisés, rendus dans leur équivoque, qui n'agrippent sur aucun signifiant (pour utiliser une terminologie dépassée). Warum läuft... n'offre pas de grille de lecture, accumule et entasse les scènes verticalement, enregistre une glissade lente et irréversible : en ce sens il est le modèle de ce type de dramaturgie qui « constate et ne juge pas » (un cliché devenu aussi insupportable que le concept d'incommunicabilité antonionienne avec lequel on aimerait étrangler ses créateurs). La plupart des séquences sont filmées en plan séquence avec une caméra qui oscille en panoramique d'un personnage à l'autre. L'effet de mise en scène le plus marqué consiste à dévoiler un tiers qui observait la situation depuis le début (lorsque le patron reproche à R. De téléphoner durant ses heures de bureau, on panote ensuite sur un collègue qui a assisté à toute la scène, effet que Bela Tarr reprendra dans Panelkapcsolat (1982)). Ce type de construction dramaturgique repose sur un système proche du sentiment de colère : on retarde, on retarde, le spectateur attend, sent que ça bouille, jusqu'à ce que la marmite explose (ici on attend 1h17). Tout l'horizon du scénario repose donc sur le moment de décision, le changement d'état d'un personnage passif à celui d'actif (actions antisociales et moralement répressibles s'entend : le meurtre souvent). Malgré l'attente, l'effet de surprise fonctionne très bien ici : Raab essaie de suivre un programme à la télé tandis que sa femme et une amie discute bruyamment, attrape mollement le chandelier et frappe. La sécheresse et la sobriété du cadre final puis du générique qui le suit donne au film beaucoup de sa force.
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