Les Vacances du cinéaste

Titre original: Vakantie van de filmer
Réalisateur:
Origine:
  • Pays-Bas
Genres:
  • Court métrage
  • Documentaire
Année de production: 1974
Durée: 0h39
Tout public
Synopsis : La vie d'un vieux couple villageois, "en images mentales autonomes", selon le réalisateur.
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Publié le 9 mars 2015
Le cinéaste, sa femme (qui est aussi sa preneuse de son) et ses trois enfants prennent des vacances, à Tournebouix, petit village français de l’Aude. Il y a là une vieille femme et son mari paralysé, des rues aux murs de pierre, des tuiles sur les toits, le facteur, des promenades en forêt, des moments de bonheur simple au pied de la rivière. Il y a un cimetière aussi. Tout cela charrie de la mémoire qui s’écoule vive comme de la lave en fusion entre les arêtes de pierre ou de terre que n’arrête pas de filmer van der Keuken. Mémoire du père photographe sur lequel s’ouvre le film, d’un ami d’enfance, Remco Campeert, mémoire d’un poème de Lucebert, auquel il consacra un film, mémoire de Ben Webster qui vient de mourir, qu’il filma lui aussi ("Big Ben/Ben Webster in Europe", 1967). Les strates temporelles et spatiales s’entremêlent, dans un maelström de jazz, d’autocitations filmiques, de décrépitude (le vieil homme mutique auquel on ne cesse de revenir), de réflexions sur l’image qui passe et le temps en mouvement (« Le film ne se souvient de rien. Il se déroule toujours, maintenant. »), de notes sur son travail (à partir de Bazin qui disait que le cinéma était le seul média à pouvoir montrer le passage de la vie à la mort, JvdK trouve que « l’inverse est plus difficile à filmer. Mais il faut créer ce passage, car il ne se passe rien. »), du "Douce France" de Charles Trenet. Les célèbres panoramiques formels de l’auteur reviennent fouiller le film comme une plaie de l’intérieur : aucun plan n’est au repos, le cadre est cherché chez JvdK, pas trouvé. C’est le manifeste d’un documentariste paradoxal pour lequel le rapport au réel n’est jamais fruit de l’évidence, mais d’un échafaudage constant de la pensée (dans ces mots, on entend aussi : échauffement), d’une incessante recherche plastique de la « bonne place » dans le monde. « Les relations entre le cinéaste et la réalité (approche, conflit, entente, fascination, contemplation, trucage) se lisent physiquement (le cadre bouge, tremble, se fige), s'expriment corporellement (le cadre vacille, tâtonne, griffe), se dessinent plastiquement (le cadre trace, balaie, entoure). Est indiqué tout ce qui constitue l'espace : l'autour, le bord, l'extérieur et le dedans, l’ailleurs et encore au-delà. Profusion de décadrages, surcadrages, cadres dans le cadre, surfragmentations. Tout finit sur l'aplat de l'écran, mais l'espace a été creusé, vidé, parcouru, saturé et finalement reconstruit. La caméra solitaire et solidaire devient personnage, l'image se relativise, explose hors de son petit logement habituel. Elle se désigne comme image, puisqu'elle a toujours un à-côté, qui est aussi une image. » écrit Thierry Nouel. Faussement simple et faussement rivé à son principe de base dans un premier temps (faux film de vacances), comme d’autres chefs-d’œuvre de van der Keuken ("Beppie", "L’œil au Dessus du Puits", "Bert Schierbeek - De Deur"), "Les Vacances du Cinéaste" est en vérité une construction formelle d’une rigueur architecturale impressionnante. « L’impression, c’est que nous échappent les règles d’un jeu nouveau. On est à l’orée d’un mystère. » écrivait encore Thierry Nouel dans son bel essai sur celui qu’il appelle le « Cinéaste des Seuils ». Une très littérale illustration en est donnée dans "Les Vacances du Cinéaste" où van der Keuken marche dans les traces de Muybridge, en filmant émerveillé mais consciencieux - héritage de l’école documentaire néerlandaise remontant à Ivens : immortaliser l’instant le cœur chaud et la tête froide - les pas de son dernier enfant comme les premiers de la civilisation. Van der Keuken travaille à focale fixe, s’il veut se rapprocher en gros plan, il doit se rapprocher physiquement de son sujet. Gheerbrant et Wang Bing entre autres hériteront de cette éthique de cinéaste. « En principe, je filme à la distance où je peux toucher, où on peut me toucher. » disait-il. Si comme Einstein l'affirmait, « la plus belle sensation qui soit est l’impression de mystère », alors les films de van der Keuken ont souvent su capturer et rendre le plus profond de ces sens : celui de la vie elle-même. La modestie des "Vacances..." et sa « petite cosmogonie portative » est de paraître comme un petit film, alors qu’il contient l’univers tout entier.
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