Adieu au langage

Origine:
  • France
Genre:
  • Drame
Année de production: 2014
Date de sortie: 10/12/2014
Durée: 1h10
Tout public
Synopsis : "Le propos est simple. Une femme mariée et un homme libre se rencontren. Ils s'aiment, se disputent, les coups pleuvent. Un chien erre entre ville et campagne. Les saisons passent. L'homme et la femme se retrouvent. Le chien se trouve entre eux. L'autre est dans l'un. L'un est dans l'autre. Et ce sont les trois personnes. L'ancien mari fait tout exploser. Un deuxième film commence. Le même que le premier. Et pourtant pas. De l'espèce humaine on passe à la métaphore. Ca finira par des aboiements. Et des cris de bébé."
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Publié le 24 janvier 2015
Le nouveau Godard. Un film faisant plutôt appel à nos sens qu'à notre raison, à notre sensibilité du monde qu'à notre esprit analytique. Ainsi, il est difficile d'écrire une critique traditionnelle sur cette oeuvre qui questionne de bout en bout le spectateur bien qu'au final le propos soit simple et direct. Ce dernier ne demande qu'à être ressenti. Et si cela doit se faire depuis le trône des toilettes, qu'à cela ne tienne ! Comme le souligne très justement Godard « le caca met tout le monde à égalité ». Et c'est peut-être bien cela la morale du film. Dans tous les cas, ce qui frappe dans « Adieu au langage », et qui en fait sa force émotionnelle et cinématographique, c'est que chaque plan pris indépendamment d'un autre représente une idée. Un plan est égal à une idée, une représentation du monde, une pensée philosophique, un projet filmique. A l'image de ce film, que certains qualifieront volontiers de « décousu », d'« indéchiffrable » ou d'« agressif » mais qui en aura laissé plus d'un sans voix, voici des flashs d'idées comme des surgissements sensoriels forts et poignants. Godard ne fait pas de consensus et c'est tant mieux pour nous. Au final, chacun ressent le film d'une manière qui lui est propre. Voici la mienne  : « Les deux grandes inventions : le zéro et l’infini. Mais non : le sexe et la mort ». « Le philosophe est celui qui se laisse inquiéter par la figure d’autrui ». « Il faut que je fasse ». « Ah Dieux ». « Oh langage ». « Evite, et vite, les souvenirs brisés ». « Ne pas peindre ce qu'on voit puisqu'on ne voit rien, mais peindre qu'on ne voit pas ». «Une femme ne peut pas faire de mal. Elle peut vous gêner, elle peut vous tuer, c'est tout ». « Vous me dégoûtez tous avec votre bonheur. La vie qu’il faut aimer coûte que coûte. Moi je suis là pour autre chose. Je suis là pour vous dire non et pour mourir. Pour vous dire non et pour mourir ». « La pensée retrouve sa place dans le caca ». « Dès que les regards se prennent on ne peut plus être seul. Il y a de la difficulté à rester seul ». « Je suis à vos ordres ». « Je cherche de la pauvreté dans le langage ». « Reste à savoir si de la non-pensée contamine la pensée ». « Seuls les êtres libres peuvent être étrangers les uns aux autres. Ils ont une liberté commune, mais précisément cela les sépare ». « Tout ce qu'Hitler avait dit, il l'a fait. Ce n'est pas la première fois que le vaincu par les armes arrive à vaincre politiquement son vainqueur. Par exemple, les armées de la Révolution et de l'Empire furent en définitive vaincues, mais elles avaient porté dans toute l'Europe l'idée de République ». « Et Darwin, citant Buffon, affirme que le chien est le seul être sur terre qui ne vous aime plus qu'il ne s'aime lui-même ». « Il va falloir qu'on engage un interprète. Bientôt on aura tous besoin d'un interprète pour se comprendre ». Pas besoin d'interprète dans ce long-métrage pour comprendre l'essentiel de cette oeuvre où à la fois tout semble être dit mais où rien ne l'est réellement. Adieu au langage donc, mais pas à Godard ! Le philosophe est celui qui.

Publié le 22 janvier 2015
« Le propos est simple » annonce Godard. Mais comme l'observe Jean-Michel Frodon, « plus il est clair moins on le comprend ». Il y a l'homme et la femme, ensemble puis séparés, qui ne communiquent plus. Un chien traverse les saisons, puis comble le chemin laissé vide entre eux deux. Il y a aussi le ciel et la terre, et les arbres entre les deux. Il y a Soljenitsyne, Beckett, les paquebots pleins de touristes de « Film Socialisme », les Indiens de la tribu des Chikawas qui appellent le monde la forêt, des fleurs et du caca, des essuies-glaces qui balaient nos lunettes 3D, des guerres, ici et ailleurs, Badiou et Mary Shelley, Frankenstein et Hitler. Deux fois un homme et une femme. La nature et la métaphore. L'« essai d'investigation cinématographique » de Godard en 3D contient plus d'idées en une heure dix (presqu'une par plan) que la filmographie entière de la plupart de ses contemporains. L'exploit ne se situe pourtant ni dans la philosophie ni dans l'invention, mais dans l'imaginaire, et le cinéma parce qu'il n'a jamais été aussi peu évident que « les idées nous séparent, les rêves nous rapprochent ». Godard est le plus grand « monteur de spectateurs » qui soit, comme Hitchcock était un directeur de spectateurs plus que d'acteurs. « Adieu au Langage » fait littéralement vriller le nerf optique et le cerveau, dans lequel il opère, là encore plus nettement qu'à l'écran, de fulgurants raccords d'images, de sons, de pensées. Du relief, ce gadget un peu débile à effets de surgissements, Godard démonte l'inanité tout en jouant avec en garnement qu'il a toujours été avec le procédé technique. C'est une épiphanie de la perception indexée à un régime d'images d'une souplesse jamais vue. Chemin faisant, la 3D, ce « malheur historique », se met à raconter une histoire qui n'est ni la sienne ni celle de l'industrie, l'outil n'ayant jamais été pour Godard qu'un moyen de s’affranchir pour parvenir à davantage d'autonomie artistique et financière (D.Tomasovic l'a justement rappelé), donc de réclusion et de solitude. Mais loin de l'austérité poétique de « Notre Musique » ou « Éloge de l'Amour », « Adieu au Langage » trouve un Godard d'humeur spirituelle (aux multiples acceptions du terme), pour ne pas dire panthéiste, revenant de façon fulgurante à ses expérimentations sur la couleur, à force de tourner sa caméra et son téléphone vers le ciel pour capter les feuilles, le bleu du ciel, le soleil à travers les branches et l’œil (toujours un peu triste) du cabot. C'est un peu « Tree of Life » en home-movie, à Rolle. Le film contient parmi les plus beaux plans de forêt et d'eau jamais tournés, excédés de leur plastique dans un étalonnage indexé à un régime de saturation qui rend les feuilles d'automnes orange fluo, les ondoyances d'un lac mauves, le soleil filtrant à travers les branches créant d'autres embolies d'une rudesse esthétique digne de Cézanne ou De Stael : littéralement personne n'avait vu ces couleurs-là avant qu'il ne nous les révèle. Godard est un scientifique : il prélève, isole (ses citations d'images ou texte, qui vont grosso modo de la chevelure dans l'hélice de Piranha 3D au « Réveil de l'Histoire » d'A.Badiou), il croise, entrechoque (il est , avec Welles, un des grands chevaucheurs de répliques du cinéma), il bouture, abouche les sources autant que les formes, les sons directs – d'une agressivité permanente – que les lambeaux de musique : « Adieu au Langage » est une immense somme de propositions qui ne sera toujours pas assimilée dans 10 ans, comme ses « Histoire(s) du Cinéma » restent un fleuve constant d'idées, d'un créateur qui refuse sciemment de se reposer dessus. Le film est un modèle absolu d'absence de complaisance dans ses « effets-cinéma » : cette rigueur, sécheresse même, du tempo, cette musicalité du silence touche d'autant plus durement que la dimension testamentaire est limpide. Voulant jouer aussi bien sur les distorsions de l'image que du son, Godard inventorie une véritable histoire de l'accident digital, faisant vriller sa stéréo de droite à gauche puis au centre, lui faisant acquérir par strates et distorsions successives la même profondeur que l'image (les sources étant aussi variées que des iPhone, des Go-Pro, un rugged d'appareils Canon, etc.). Un grand film didactique court toujours souterrainement : traitant la parole d'écrivain à même niveau qu'une réflexion scatologique, chaque élément est décomposé, avant d'être répété, afin d'être mieux assimilé. Le propos de l'auteur de "Week-End" (1967) et "Puissance de la Parole" (1988) n'avait plus été aussi dense depuis le court-métrage "De l'Origine du XXIè Siècle à Nos Jours" (2001). Significativement, Godard simplifie, élague et revient de l'allégorie (le paquebot-Europe de "Film Socialisme") à la métaphore, qui alterne ici avec le filmage « porté à la main » de la nature (sans compagnonnage humain, mais parfois canin) des appareils légers. C'est que l'art n'est pas là « pour peindre ce qu'on voit, puisqu'on ne voit rien, mais peindre qu'on ne voit pas » (Proust à propos de Monet). On en trouvera encore pour se plaindre que Godard est obscur alors qu'il n'a jamais été aussi limpide, rouspéter qu'on n'y comprend rien, vouloir créer du sens alors qu'il n'y avait qu'a (res)sentir les choses. Ces « senseurs » se privent d'accéder à l'expérience totale que peut être le cinéma, qui n'est pas art du récit ou de la forme, mais de la sensation ; leur « sensure » est une auto-censure. Retour à l'envoyeur (averti pourtant), petit sésame silencieux extrait du noir profond de la salle : « Tous ceux qui manquent d'imagination se réfugient dans la réalité. »
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