Le Vent se lève
Titre original: Kaze tachinu
Réalisateur:
Origine:
- Japon
Genres:
- Film d'animation
- Drame
Année de production: 2013
Date de sortie:
05/03/2014
Durée: 2h06
Synopsis :
Inspiré par le fameux concepteur d’avions Giovanni Caproni, Jiro rêve de voler et de dessiner de magnifiques avions. Mais sa mauvaise vue l’empêche de devenir pilote, et il se fait engager dans le département aéronautique d’une importante entreprise d’ingénierie en 1927. Son génie l’impose rapidement comme l’un des plus grands ingénieurs du monde.
Le film raconte une grande partie de sa vie et dépeint les événements historiques clés qui ont profondément influencé le cours de son existence, dont le séisme de Kanto en 1923, la Grande Dépression, l’épidémie de tuberculose et l’entrée en guerre du Japon. Jiro connaîtra l’amour avec Nahoko et l’amitié avec son collègue Honjo. Inventeur extraordinaire, il fera entrer l’aviation dans une ère nouvelle.
Avis des internautes du film Le Vent se lève
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Publié le 26 mars 2014
Cette œuvre testamentaire, annoncée comme telle par Miyazaki, comporte sa part inévitable de dialogues à double sens (le film se clôt sur les remerciements à la vie du personnage principal pris au milieu de sanglots et l'invite à quelques plaisirs terrestres comme un bon vin), de figures semi-biographiques (celle du dessinateur-ingénieur, qui se définit comme artisan de l'imaginaire avant tout), de sérieux « réaliste » face aux décollements incessants vers les nuages ― quitte à lasser, quitte à ne se construire d'idéal que dans une suite de chausses-trappes oniriques gigognes. Ce réalisme, dont le film fait toute une question de représentation, à un évident double fond : celui de l'animation évidemment, qui empoigne pour la première fois un personnage de l'Histoire du Japon au XXe siècle pour en dessiner le portrait (littéralement), l'ingénieur Jirô Horikoshi. Celui du rapport à l'Histoire ensuite, le récit se faisant charge d'historiciser le traumatisme de l'entre-deux guerres dans le camp japonais avec le paradoxe de se présenter comme une suite bunuelienne de rêveries enchâssées à bord d'engins fabuleux mais presque tous tirés d'avions réellement inventés, notamment le fameux chasseur Zero qu'a concu Horikoshi, et qui sera l'ange exterminateur des kamikazes de Pearl Harbor. Le film est placé sous l'exergue entêtant de la phrase de Paul Valéry : « Le vent se lève, il faut tenter de vivre ». Tenter de vivre, pris dans une parenthèse de l'Histoire entre deux désastres (« Le Japon va éclater! » entend-on à plusieurs reprises), parmi les ruines, dans l'abattement national généralisé, les suspicions qui s'en suivent (Jirô est toujours surveillé par une instance supérieure), vivre dans le réel en ménageant l'espace nécessaire pour ses rêves (le film montre aussi l'admiration des supérieurs pour l'inventivité de Jirô et le respect qu'ils ont de ses divagations diurnes). D'apparence linéaire, c'est peut-être son récit à la structure la plus complexe, troué par des ellipses particulièrement énigmatiques (celle qui explique le passage à l'hôtel où il rencontre sa future épouse par exemple, ou le voyage en Allemagne). D'apparence sagement limité à cet horizon et sans l'animalerie monstrueuse et baroque qui peuplait à foison « Le Voyage de Chihiro », « Le Château Ambulant », ou « Totoro », c'est sûrement son film le plus violent. Dès le cauchemar initial de Jirô enfant, il est évident que cet aspect « adulte » du film devra essentiellement son tribut à cette singularité à approcher, dans chaque scène comme un phare éblouissant, la violence : tout une manière de montrer frontalement, à la faveur d'une coupe de montage sciante de férocité, les dégâts sur la population, les ruines, avec une économie et une vitesse toute fordienne (le spectaculaire tremblement de terre de 1923, comme un flash barthésien), qui fait écho aux vues de villes embrasées dans le « Lincoln » de Spielberg sorti l'an passé, film à plus d'un égard proche de celui-ci. Les ailes métalliques découpant les nuages sont des oiseaux fabuleux autant que des engins de mort, dès le cauchemar inaugural de Jirô enfant. Cette dimension « adulte » de la violence ne vient pas seulement de la représentation de cités dévastées par les raids de la Guerre mais aussi dans l'histoire intime que lie l'ingénieur avec sa future épouse Nahoko, peintre à ses heures et condamnée par sa tuberculose. Apprenant que celle-ci a fait une crise, Miyazaki nous met sous les yeux cette image qui apparaît à son héros, d'une brutalité inouïe dans son œuvre, de la femme qu'il aime recroquevillée à genoux dans les herbes et secouée de spasmes, toussant du sang comme si elle le pleurait à verse sur sa toile. Qu'il s'agisse d'irruptions dans le flux de conscience du personnage comme l'Histoire sonnant son glas ou d'envolées oniriques subjectives, les cauchemars sont toujours contenus dans le réel, et que ce soit le sommeil ou la conscience la plus éveillée qui les suscite, ne change pas leur natures mais seulement leurs statuts, lesquels se brouillent de toutes façons vite en cours de récit. Le fantôme du « Ciel est à Vous » de Grémillon traverse bien entendu ces images d'une passion dévorante qui tient le cours des visions les plus folles des éléments se mêlant (le rendu et l'animation du vent dans les cheveux est d'une fluidité jamais atteinte, la puissance de l'élément donne sa force plastique au film comme lorsque Jirô retrouve Nahoko dans la clairière pour se déclarer à elle et que les éléments -eau du ruisseau, vent dans la jupe- s'associent à la vision édénique de l'instant), contre la folie raisonnée de l'idée fixe de Horikoshi. De façon significative (et au contraire d'un autre film sur l'aviation comme « Porco Rosso »), ce lyrisme grémillonien, mais aussi fordien (par un court-circuitage culturel étrange mais limpide), s'exprime dans les cadrages. Presqu'aucun plan dans le film n'est cadré « à hauteur d'homme ». Observez n'importe quelle scène, debout sur les ailes d'un avion comme dans un bureau, la « caméra » se trouve toujours en plongée ou en contre-plongée, même légère. Autre leçon de Ford bien intégrée par Miyazaki : la co-présence des éléments dans le cadre. Jamais le ciel et la terre n'occupent chacun une moitié de cadre, c'est toujours 1/3 de l'un contre 2/3 de l'autre, sans compter les innombrables plans de personnages au sol, le regard vers le haut, où seul un ciel ennuagé occupe l'arrière plan. Puissance épique de ce paradigme de western donné à la stature frêle de Horikoshi contre frénésie de l'imaginaire galopant. De l'un à l'autre : mouvement brusques où le verbe « décoller » prend tout son sens. Et surtout un recours bouleversant au mélodrame, qui donne son caractère décisif et tragique à la seconde moitié du film, le spectateur sachant dès les retrouvailles entre Jirô et Nahoko que cette dernière est condamnée par la tuberculose qui la ronge. Dans ce qui restera comme l'une des plus belles scènes de son œuvre, celle des retrouvailles, Jirô se promène en flânant rêveusement sur un sentier de campagne. Bouffée de verdure, élargissement des cadres. On quitte son point de vue un instant pour celui d'un jeune fille qui peint au sommet d'une colline, protégée par un paravent. Elle aperçoit Jirô, et son père marchant sur le même sentier en sens opposé. Les deux hommes se croisent sans se voir. La déception de la jeune fille est aussitôt balayée par un courant d'air frais qui fait s'envoler son paravent. Celui-ci échoue au pied de Jirô, qui le retenant par réflexe est entrainé avec lui, toujours gonflé par les vents. Non sans un certain effort burlesque, il parvient à le replier et est salué par la fille et le père. Mais la plus belle scène de couple, celle qui fend définitivement le cœur et fait gonfler les yeux de larmes, est d'une simplicité désarmante, mizoguchienne : son épouse alitée insistant pour qu'il reste auprès d'elle alors qu'il vient de rentrer avec du travail, Jirô lui tient la main tandis que de l'autre il continue à tracer ses plans. Il exprime le désir de fumer, son épouse lui dit que ce n'est pas grave, qu'il peut le faire. Et d'un simple plan large du couple de dos, tandis que le destin du pays se trace sur le papier, l'addiction de l'homme tue à petit feu les poumons de l'être aimé, bientôt repartie au sanatorium pour ne jamais en revenir.
Publié le 6 mars 2014
Le dernier film de Miyazaki est un chef d'oeuvre. Nous plaçant dans le contexte du Japon de l'entre-deux guerre, il est déjà un témoignage intéressant car trop rare dans le paysage historique et cinématographique. Miyazaki dépeint son héros comme un doux rêveur et n'hésite pas à mettre en avant le paradoxe du passionné d'avion qui finalement crée une arme de guerre. Ces paradoxes, ces oppositions, traversent tout le film (voir les rêves du héros, déchirés par la guerre) qui brasse une multitude de thèmes. On est emporté par le souffle épique du film, par l'émotion aussi, qui affleure à chaque image. Miyazaki atteint une maîtrise parfaite du dessin et de la narration, qui au-delà de vaines polémiques, accouche d'un film somptueux et magique. Un grand moment.
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Ourson 97