Le Fossé

Titre original: Jiabiangou
Réalisateur:
Origine:
  • Chine
Genre:
  • Drame
Année de production: 2010
Durée: 1h53
Tout public
Synopsis : À la fin des année 50, en pleine épuration droitière, le régime de Mao envoie ses supposés ennemis dans des camps de rééducation inhumains dans le désert de Gobi. Un grand nombre d’entre eux succombent, face à la dureté du travail physique puis à la pénurie de nourriture et aux rigueurs climatiques.
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Publié le 7 février 2013
On nous les casse depuis un mois avec les fausses questions de genre, les tarantineries habituelles de pseudo-réinterprétation des codes, le rapport soi disant ludique au western dans « Django Unchained »... S'il y a un western projeté ce mois-ci, c'est bien « Le Fossé » (et bien sûr, il ne l'aura été qu'une seule fois) ! Le seul à poursuivre une réflexion sur les rapports impassibles du fond (le paysage) et les formes qui s'en détachent (les silhouettes frêles des humains). Le western -où plutôt l'eastern- dans son essence : pas de substantialité entre arrière et avant-plan ; assèchement de la forme, fatigue des hommes, déflation du récit. Le seul à montrer une vision aussi indélébile que celle-ci : après une tempête de sable, les cadavres d'un cimetière, à peine recouverts de couvertures, affleurent de la terre par centaines sur le désert. Mais tout ceci n'est que périphérique... « L'Histoire, rien que l'Histoire », martèle Wang Bing avec cette reconstitution d'un camp de travail de 1960 sous Mao de « droitistes » subissant la rééducation par le travail et pendant fictionnel au récit de He Fengming (« Fengming, chronique d'une femme chinoise », montré en 2007 à Cannes et sorti l'an dernier en France). Dans un premier temps éprouvant, le film se concentre sur le quotidien du travail et le manque de nourriture. Sujet redoutable que la faim, plus terrible que tous les autres parce qu'il leur préexiste (là, ça rejoint le Luc Moullet de Genèse d'un Repas). Nous savons gré à Wang de nous épargner les horreurs de la “mode rétro” galopante (revenant avec la crise économique comme le naturel, au galop), sensé nous faire voir qu'il y a de la jouissance dans la servitude et qu'on doit aimer son bourreau : Trois Mondes de Corsini, Amour de Haneke, Después de Lucia de Franco, Au Dela des Collines de Mingiu, etc. Position intenable chez Wang et sous Mao, et il faut traverser un petit calvaire de spectateur, porter une croix de plans séquences bien longs qui s'enfoncent dans les tréfonds d'un désert aride, écouter le vent ininterrompu qui les balaie, subir l'apathie généralisée des hommes affamés sous quelques mètres de terre, l'insalubrité, la mort qui rampe dans les couches. Le film est honorable en ça, mais lui qui clame si haut et si longtemps, comme une note tenue, qu'il ne faut pas cesser de s'indigner (c'est ce que l'épouse de Lao Dong hurle au responsable des enregistrements) a la main paradoxalement lourde lorsqu'il s'agit de convoquer le pathos. Ainsi la scène précitée devient complaisante lorsqu'elle s'attarde sur la performance de l'actrice, filmée dans sa douleur, ses larmes et ses cris qui viennent fendre le vent qui souffle sur la plaine. Ainsi par contraste la « radicale radicalité » de Wang Bing frise par instants le caricatural, l'aridité du paysage vide formant un complément ironique à la monumentalité en voie d'effondrement de « A L'Ouest des Rails » (1999-2003). Il ne s'agit pas de critiquer la teneur en émotion bien réelle de l'Histoire, qui exorcise ici son trop long silence dans l'exposition de ces stigmates refoulés, mais son filmage trop exclusif sans décollement d'un naturalisme strict mais parfois ampoulé, surtout lorsque la négation de l'humain dans ces goulags ne peut éviter à une conscience occidentale d'être renvoyée à la représentation de l'enfer des camps nazis (les images du cimetière rappellent celles des charniers). « Rien que les faits » assure Wang, « je n'ai rien rajouté » et pourtant si : un jeu d'acteur qui se regarde jouer, et Wang, en documentariste puceau de la fiction, s'étonne de ces prouesses en les jugulant comme il peut dans un montage en forme de test de rattrapage pas toujours assumé (le final, médiocre errance de parcours). Ce pathétique, jamais misérabiliste, plutôt du niveau d'une tragédie antique, jure dans un paysage moral qui atteint souvent à l'épure expressionniste du Trou de Jacques Becker, auquel on pense tout le temps. Et il ne rejoint que dans une scène (l'échappée nocturne du « professeur » et son élève) le grotesque qui donnait sa résonance si puissante à la scène bouffonne et sidérante du réveillon avec le père cheminot et son fils mort bourré dans « Rails »(« A L'Ouest des Rails », 2003). Les projets d'évasion se résument à des embryons de fiction (la prison à ciel ouvert est plus cruelle que quatre murs) là où prime un rapport documenté au décor: c'est l'épuisement d'une obsession et l'obsession d'un épuisement qui guide tout le geste artistique. Comme dans « Rails » , les manœuvres de travail sont d'absurdes entreprises qui maintiennent en vie autant qu'elles étouffent l'existence. L'amoncellement de cadavres qui rythme la narration n'est pas aussi glaçant que les gestes répétés, d'empaquetage de ces cadavres dans les couvertures, les trois nœuds faits avec de la corde, que le film répète avec pédagogie : pour ne pas qu'on oublie ce qu'on voit.
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